CATHOLIQUES ATHÉES
Par Peio Ospital
C’est toujours avec beaucoup d’intérêt que je lis chaque dimanche l’éditorial rédigé par Jean-Claude Guillebaud, journaliste et grand reporter au quotidien Sud-Ouest, qui ne manque pas d’afficher ses convictions chrétiennes chaque fois qu’il en a l’occasion. L’objet de mon article aujourd’hui est de revenir sur son éditorial du dimanche 20 février intitulé « L’étrange catholicisme d’Eric Zemmour ».
Dans la même ligne, dans un livre récemment traduit en français (Dieu ? Au fond à droite. Salvator), le journaliste italien Iacopo Scaramuzzi décortique les modalités avec lesquelles les populistes d’extrême droite en Europe, de Salvini à Zemmour, réutilisent les symboles, le langage et les rituels du christianisme pour servir leur propagande et pour en faire une défense contre l’étranger et renforcer un sentiment d’identité occidentale. Que ce soit Poutine, Orban, Bolsonaro, Zemmour, Salvini ou Trump, c’est le même appel aux valeurs chrétiennes, la même exaltation d’un patrimoine perdu.
En réalité, on voit réapparaître au cœur de l’extrême droite française un courant de pensée qu’il faut bien qualifier de catholicisme athée. L’expression se réfère à une formule de Charles Maurras, fondateur de l’Action Française : « Je suis athée, mais catholique. » Maurras voulait dire par là que le message évangélique ne l’intéressait pas, mais qu’il voyait dans l’Église une institution garante de l’ordre social. En gros, non au christianisme, mais oui à l’Église ; non àl’Évangile, mais oui à ce que Bernanos appelait « l’esprit clérical » … Bernanos, ce grand chrétien, qui, après sa rupture avec Maurras, ne cessa de combattre ce cléricalisme conservateur et belliqueux.
Rappelons pour mémoire que Charles Maurras (1868-1952) a été le théoricien du « nationalisme intégral », c’était un antisémite virulent, qui a séduit et influencé de nombreux catholiques en son temps. Il continue d’avoir aujourd’hui encore de nombreux « disciples » y compris dans notre diocèse… Ceux-ci reprennent à leur compte le catholicisme athée de Maurras, ainsi dans les réseaux de Zemmour et les milieux catholiques conservateurs se réclamant notamment de Sens Commun, à une époque où les relations avec la République laïque sont tendues, voire brutales, avantet après la loi de Séparation de 1905. Ils se montrent aussi peu concernés que lui par le message évangélique et le « christianisme moderne » qui, aux yeux de Zemmour, serait devenu une « folle machine à aimer l’autre ».
De fait, ils instrumentalisent la religion pour en faire une identité culturelle de protection contre l’étranger, en surfant sur un sentiment de peur. Ce qui a pour effet de dévitaliser la foi. Il est à noter que ces populistes qui s’autoproclament défenseurs de la tradition chrétienne ont trouvé leur plus ferme ennemi au cœur de ce christianisme, à Rome, en la personne du pape François.
Dans la communion avec ce dernier, je reprends à mon compte le commentaire d’évangile de dimanche dernier de José Antonio Pagola: « Nous, disciples de Jésus, nous ne vivons pas selon une croyance quelconque, une simple règle ou un rite. Une communauté devient chrétienne lorsqu’elle met au cœur de sa vie l’Évangile et uniquement l’Évangile. C’est là que se joue son identité. Il n’est pas facile d’imaginer un événement social plus humanisant qu’un groupe de croyants qui écoutent ensemble “le récit et le message de Jésus”. Chaque dimanche, nous pouvons ressentir son appel à regarder la vie avec des yeux différents et à la vivre avec plus de responsabilité, en construisant un monde plus vivable. »
Traduction de l’article paru dans HERRIA du 17-03-2022