Par Michel Leconte
Durant des siècles, jusqu’à aujourd’hui, l’Église romaine n’a pas annoncé le Dieu de Jésus Christ, mais une sorte de Jupiter et un Dieu conçu par la pensée grecque, très éloigné du Dieu que Jésus avait annoncé en paroles et en actes.
Le Dieu que prêcha l’Église était l’être suprême tout-puissant, omnipotent, immuable, omniscient, qui trônait dans les cieux entourés d’une multitude d’anges et de séraphins. Ce Dieu inspirait plus la crainte que l’amour. C’était le créateur qui dominait l’univers et les hommes, celui qui dictait ses commandements et menaçait de l’enfer ceux qui osaient les transgresser. Ce Dieu juge inflexible et vindicatif éprouvait une colère terrible envers les hommes qui, en Adam, avaient osé transgresser son ordre de ne pas manger le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal — Je n’entre pas dans les subtilités interprétatives qui dépassaient l’écrasante majorité des fidèles catholiques. Le plus tragique fut quand l’Église affirmant la divinité de Jésus décréta qu’il était de même nature que ce Dieu-là. Ce fut la première trahison de Jésus Christ. Pour comprendre ce qui suit, je ne présuppose aucune représentation philosophique préalable de Dieu sinon celle qui résulte de ma foi : le Christ est le « visage humain du Dieu vivant ».
C’est ainsi que l’Église instilla la culpabilité, la honte de soi, la haine de soi et pour tout dire la mort à l’humanité chrétienne. La mort était la punition suprême que ce Dieu impitoyable infligeait à l’homme pour le punir de sa transgression originelle. Augustin déclara que désormais l’homme était marqué par ce « péché originel » transmis par l’acte sexuel, entraînant pour des siècles la dévalorisation de tout ce qui concerne la sexualité humaine. Le Dieu tout-puissant décréta dans « sa grande magnanimité » qu’à cet homme coupable, il fallait un rédempteur — c’est du moins ce qu’affirma l’Église.
L’Église enseigna alors une doctrine terrifiante. Elle déclara que le Fils de Dieu est descendu du « ciel » et a pris notre condition humaine afin de souffrir et de mourir pour que son Père offensé puisse apaiser sa colère envers nous du fait du « péché originel » de nos premiers parents.
Cette théologie est incroyablement infantile (et non pas enfantine) : elle nous présente un Dieu courroucé, auquel il faut offrir un sacrifice humain et divin à la fois, pour apaiser sa colère et libérer sa miséricorde ligotée jusque là par sa propre justice ; un Fils dont le métier de Fils consiste à s’écraser jusqu’à la mort devant son Père, mais qui sera récompensé par ce Père qui le fera Seigneur en le faisant siéger à sa droite ; des humains désormais rachetés, mais qui – comme par hasard – ne seront pas pour autant délivrés de leur culpabilité, puisque chacune de leur faute, jusqu’au dernier instant de leur vie (et comment ne pêcheraient-ils pas ?), les expose de nouveau au juste châtiment de Dieu, impose de nouveau l’intervention du Christ rédempteur et, pour faire bonne mesure, l’intervention de sa Mère – devenue la nôtre – et de toute la cohorte des saints, la faute des pécheurs s’aggravant du fait qu’elle représente désormais une insulte à ce Fils qui s’est offert à la mort pour nous, et à ce Père qui nous a « aimés » au point de sacrifier son Fils. Mais ce Dieu qui nous a sacrifié son Fils par amour nous aime-t-il vraiment ? N’est-il pas plutôt « le Dieu pervers » dénoncé par Maurice Bellet ? Le Dieu présenté dans ces doctrines ne veut-il pas la destruction de l’homme plutôt que la vie vivante que Jésus prêchait ? L’Église n’a-t-elle pas encore trahi le Christ ?
Le Dieu de Jésus n’est pas celui que l’Église nous a présenté. Il ne faut pas voir une sanction divine dans le malheur qui s’abat sur les gens, nous dit Jésus ! Dieu n’est pas comme cela. L’Église l’a, hélas, conçu ainsi durant des siècles. C’est celui que l’ordre de la culpabilité lui fait concevoir : un Dieu de colère devant lequel nous n’avons plus qu’à nous soumettre en tremblant. Pourtant Jésus dit aussi : « … Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Serait-ce une menace de sa part ? Après avoir dit que la mort des Galiléens et des bâtisseurs de la tour de Siloé n’était pas un châtiment de Dieu, Jésus se contredirait-il lui-même ? Ce n’est pas possible.
Le mot de conversion signifie toute autre chose que le simple retour à de meilleures dispositions dans l’application de la Loi et de la morale. Il signifie un changement de regard sur Dieu et sur le monde. Jésus affirme donc : si vous ne changez pas votre vision de Dieu et si vous ne cessez pas de le voir comme celui qui châtie les pécheurs, votre vie entière sera surplombée et infestée par ce Dieu vengeur et vous mourrez alors dans la terreur de ce Dieu-là. La véritable conversion, celle qui peut changer notre cœur en profondeur, consiste à découvrir avec Jésus le visage du Dieu aimant, amis des pécheurs et des publicains ; le Dieu de Grâce, le Dieu qui aime chacun de nous indépendamment de nos qualités et de nos péchés. Par sa mort, il s’agissait pour Jésus de libérer les hommes d’une mauvaise image de Dieu, de libérer Dieu lui-même en lui permettant, par la destruction de cette image déformée, d’être vraiment parmi les hommes celui qu’il est : un Dieu de vie, un Dieu qui veut les hommes vivants et libérés de toute peur. Mais l’Église interpréta cette mort avec les notions d’expiation, de satisfaction et de substitution qui sont absentes dans l’enseignement de Jésus. Jamais Jésus ne présente le pardon de Dieu comme s’exerçant grâce à un sacrifice ou un acte rédempteur dont Dieu aurait l’initiative et qu’il proposerait à un envoyé quelconque. Jésus a fait et dit exactement le contraire. Le Dieu que Jésus annonce dans ses paraboles de la brebis perdue, de la drachme perdue, de l’enfant prodigue, des ouvriers de la onzième heure, du festin auxquels sont invités mendiants et infirmes, le Dieu qui exauce non le pharisien, mais le publicain, celui au nom duquel Jésus s’invite chez Zachée, est exactement le contraire d’un Dieu qui aurait besoin d’un sacrifice rédempteur, celui que prêche toujours l’Église romaine et d’autres. Par cette doctrine, l’Église lui a volé sa mort, car celle-ci consistait à témoigner de son Dieu jusqu’à l’extrême. L’ironie est que c’est grâce à un péché beaucoup plus grave — l’assassinat de Jésus — que nous sommes pardonnés !
Le Dieu de Jésus n’est pas le maître rigide, rigoureux et impitoyable qui trop souvent règne dans nos cœurs comme le « surmoi » cruel de notre inconscient en recherche de punition. Ce Dieu-là ne fait que susciter une peur paralysante et un sentiment de désespoir. Non, le Dieu de Jésus, lui, suscite la gratitude, la joie, la paix intérieure, la certitude d’être aimé par plus grand que soi. Dieu est vraiment plus grand que nos cœurs étroits et angoissés par l’enseignement de l’Église romaine. Son amour bannit toute crainte. Jean dans son épître n’écrit-il pas : « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jn 3, 20) ? C’est pourquoi il est vraiment impératif et urgent de changer notre image de Dieu : c’est notre santé et notre bonheur qui en dépendent. Je pense même qu’il y va de l’avenir du christianisme même. L’Église romaine qui s’affirme instituée par le dieu qui est le sien n’est pas encore prête à se convertir au dieu qu’elle proclame urbi et orbi. C’est le Dieu humain de Jésus que nous sommes appelés à suivre.
Dieu est agapè, bienveillance et tendresse créatrice : telle est l’essence du Dieu de Jésus. Le péché suprême, celui contre lequel Dieu lui-même est impuissant et désarmé, c’est bien que l’Église et nous-mêmes, ne parvenions pas à croire cela et que nous inventions un dieu qui envoie son Fils à la mort pour pardonner nos inévitables péchés. Son ultime Parole est celle du pardon inconditionnel et sans préalable de la croix : « Père, pardonnez-leur… » En ressuscitant Jésus, Dieu lui répond par son grand oui. Soyons comme le vigneron de la parabole, laissons une chance au Dieu de Jésus. Mais l’Église a prêché un Dieu tout-puissant capable de nous sauver de la mort physique — ce que tout le monde et toutes les religions souhaitent et enseignent — au lieu du Dieu de Jésus qui nous libère d’une mort plus destructrice de notre humanité, car elle fait de nous des êtres aliénés aux puissances qui nous dominent.
Convertissons-nous et échangeons notre esprit contre l’Esprit du Christ et son Dieu, car le temps presse !
Source : « Pour un christianisme d’avenir » https://www.facebook.com/groups/965806850460158/permalink/1581353475572156/
Un texte très intéressant après notre étude sur le péché originel… Merci à Michel Leconte d’écrire “Par sa mort, il s’agissait pour Jésus de libérer les hommes d’une mauvaise image de Dieu, de libérer Dieu lui-même en lui permettant, par la destruction de cette image déformée, d’être vraiment parmi les hommes celui qu’il est : un Dieu de vie, un Dieu qui veut les hommes vivants et libérés de toute peur”