Les nouveaux pharisiens
Par Sylvaine Landrivon [1]
À l’heure où les traditionalistes et, à leur suite le diocèse de Paris, sont vent debout parce qu’une femme a lu l’Évangile, il est intéressant d’analyser l’affaire. La paroisse Saint-Pierre de Montrouge accueille le groupe Féminisme en Église qui, depuis plusieurs mois, organise des rencontres et des débats qui connaissent un vif intérêt. Subitement, le curé de la paroisse, destinataire de toutes les newsletters et projets, prétend n’avoir pas été informé du déroulement d’une messe dite « inclusive » qui s’est tenue le 3 avril et expulse ce mouvement de sa paroisse…
La faute consiste à avoir rassemblé des femmes et des hommes pour l’eucharistie (célébrée par un prêtre), en recevant la lecture de l’Évangile sur la « femme adultère », à travers la voix d’une femme. Face aux réactions haineuses transmises par les réseaux sociaux, le prêtre et le diocèse de Paris réagissent par l’exclusion. En somme, ils jettent non pas la première pierre, mais tout le reste du seau de cailloux, dès que les extrémistes ont lancé les leurs. Si l’institution savait interpréter ce qu’elle prétend transmettre, comment pourrait-elle intervenir dans ce registre de condamnation, alors que la situation incriminée répond si directement au texte de l’évangile de Jean, lu ce jour-là ? Comment ne pas voir que la réaction « officielle » revient à participer à la métaphore exposée en choisissant le rôle des pharisiens ? De quoi est-il question au fond, dans l’histoire de la « femme adultère » ?
La loi instrumentalisée
Le récit nous présente des adversaires avérés de Jésus qui interviennent au cours de son enseignement afin de lui tendre un piège : comment fera-t-il coïncider la Loi mosaïque qui prévoit la lapidation de la femme en cas d’adultère, avec l’injonction de miséricorde qu’il recommande ? C’est, de leur part, un test fourbe sur la manière dont Jésus va se situer par rapport à la Loi. Transposé dans l’affaire présente, cela se traduit par : qu’allons-nous faire d’un groupe qui laisse une femme lire l’Évangile durant une messe, en contrevenant aux règles du Magistère ? On pointe sans effort l’identité de postures.
La Torah, comme la loi d’amour du Christ, représente la trace de la relation d’amour de Dieu avec son peuple ; ne pas l’appliquer dans la justice et la charité serait la transgresser. Cependant, telle qu’elle est présentée par les scribes et les pharisiens, il est évident que la loi est instrumentalisée au profit non pas de l’amour et de la vie, mais de la mort ou de l’exclusion, et alimente soit leur incompréhension de la Loi, soit leur fourberie. Dans le texte biblique, Jésus réagit par sa gestuelle autant que par ses mots. Non seulement il est assis quand interviennent ces intrus, mais, à leur interpellation, il baisse la tête et écrit, signifiant qu’il n’entrera pas dans leur jeu. Il ne les affrontera que pour leur rappeler le fondement de la Loi qui est une prescription d’amour et de justice pour des humains désireux d’amour et de justice. Il renvoie chacun face à lui-même, avant de reprendre sa position de retrait. Ce n’est qu’après leur départ qu’il renouera le dialogue, mais seulement avec la femme pour l’inciter à trouver le bon chemin sur lequel, convaincu de sa bonne foi, il l’enverra en disant : « Va. » Elle peut poursuivre sa route. Ainsi relu, ce texte montre une femme sommée d’assumer une faute, face à des hommes qui clament, par leur condamnation, une forme bien plus pernicieuse de péché qui échappe à la justice des hommes, mais dont Dieu n’est pas dupe.
Au nom de quelle exemplarité ?
Aujourd’hui, une femme lit l’Évangile devant l’assemblée. N’est-ce pas ce qui lui est demandé dans les célébrations de funérailles que les prêtres fuient si volontiers ? Sur quoi repose ce droit des ministres à s’approprier la lecture et le commentaire d’un message qui appartient à toutes et tous, sinon sur une règle humaine qui enracine cette décision dans sa volonté de toute-puissance sur la communauté ? Rien dans l’Écriture, rien théologiquement, ne peut justifier cette exclusion. De même qu’aucun des membres du groupe qui conduisent une femme devant Jésus ne peut ignorer que la Loi est faite pour l’humain et non l’inverse, sans commettre la pire des fautes au commandement d’aimer son prochain. La péricope utilise l’exemple d’un adultère, c’est-à-dire d’une rupture de relation dans un couple. Mais quid de cette fracture du lien entre l’Église et celles et ceux qui la composent, quand certains sont autorisés à lire et commenter, devant d’autres, sempiternellement invités à se taire ? Ceux qui accusent : au nom de quelle exemplarité condamnent-ils ? Ne faut-il pas d’abord étendre la métaphore de l’infidélité à ceux qui jugent ? Ne sont-ils pas, eux, infidèles à l’alliance avec Dieu ? Ainsi interprété, tout le propos de Jésus consiste à rappeler que personne ne peut s’approprier la Loi pour confondre, et cette Loi est avant tout le signe d’une alliance qui invite aux retrouvailles, quels que soient les sentiments de transgression.
Nous sommes alors renvoyés au reproche d’Isaïe 29,13-15 : « Ce peuple est près de moi en paroles et me glorifie de ses lèvres, mais que son cœur est loin de moi et que sa crainte n’est qu’un commandement humain, une leçon apprise ! Voici que je vais continuer à étonner ce peuple par des prodiges et des merveilles (…) Malheur à ceux qui se terrent pour dissimuler à YHWH leurs desseins, qui trament dans les ténèbres leurs actions. » Cet épisode devient caractéristique de l’enseignement de Jésus dans l’évangile de Jean par lequel, comme l’explique Jean Zumstein : « L’offre de la vie précède toujours la menace de jugement et elle est plus grande que lui. » [2] Il est vraiment urgent de se réinterroger sur la place des femmes dans l’assemblée ecclésiale. Déposée en juillet 2021 par Toutes Apôtres ! auprès de la Conférence des évêques de France, la demande de Commission d’enquête sur la place des femmes dans l’Église mériterait d’urgence une réponse et une mise en place d’actions concrètes.
Notes :
[1] Théologienne, auteure du livre Les Leçons de Béthanie, éd. du Cerf. [2] Jean Zumstein, L’Évangile selon saint Jean (1-12), Genève, Labor et Fides, 2014, p. 43.Source : https://www.golias-editions.fr/2022/04/27/les-nouveaux-pharisiens/
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