Un berger sans troupeau, avec ses frères
Par Michel Deheunynck
Nous voici donc au milieu du temps d’après Pâques, ce temps de Jésus ressuscité, vivant et bien vivant parmi nous. Cela a commencé avec une femme, Marie Madeleine, la première arrivée au tombeau vide. Il y a deux semaines, c’était Thomas, lui qui ne voulait pas seulement se laisser dicter sa foi, mais lui donner toute son authenticité. Dimanche dernier, c’était nous, sur la route d’Emmaüs, la route de notre vie, de notre histoire, avec ses étapes, ses épreuves, ses rencontres. Alors, on peut déjà dire merci à Jésus de toutes ces chances de le reconnaître qu’il continue de nous donner. Si c’est cela la Résurrection, alors, nous aussi, on veut y croire, parce que ça nous donne envie, nous aussi, d’être bien vivants avec lui !
Mais voilà qu’avec cet Évangile du quatrième dimanche de Pâques, dit du « bon pasteur », il a l’air de nous traiter comme… un troupeau de moutons ! Comment peut-il nous faire ça à nous, ses amis, nous, ses frères ? Un troupeau enfermé dans une bergerie ! Ou marchant les uns derrière les autres, à la queue leu leu, chacun avec le nez dans le derrière de celui qui est devant.
Que Jésus soit un bon pasteur… on veut bien le croire. Quoiqu’on l’imagine mieux au coude à coude avec nous dans les combats de la vie, plutôt que nous faire avancer à la voix et au bâton. Qu’il soit un bon berger, passe encore. Mais nous, nous ne voulons pas être des moutons. Nous ne voulons pas que notre Église soit une bergerie, mais un lieu de vie en humanité. Non, nous ne sommes pas des moutons. Même si certains croyants pensent avoir la vocation en se contentant de suivre. Et si l’un d’eux s’échappe, on le rattrape vite. Nous, ne voulons pas être des moutons. Jésus le sait bien et il nous comprend, lui qui a voulu sortir de la bergerie religieuse pour se rapprocher des exclus, des marginaux, des différents. L’ambition qu’il a pour nous, ce n’est jamais de nous ramener au bercail, mais que chacune, chacun, sur son chemin, on soit le plus possible soi-même et pas ce qu’on nous dit qu’on doit être. Qu’on puisse penser soi-même, pas comme les bien-pensants nous disent qu’il faut penser. Qu’on puisse aimer comme on est et pas comme les spécialistes de l’amour disent qu’il faut aimer… Jésus a suscité en nous un esprit critique, car il voudrait qu’on croie en lui comme on est. Et s’il nous rassemble, ce n’est pas pour que l’on soit tous pareils, mais c’est parce qu’il veut apprendre à nous connaitre, chacune, chacun par notre nom ; et que nous nous connaissions nous, entre nous. Pour donner ensemble plus de sens à chacune de nos vies. Pour éveiller la liberté de chacun. Pour s’épanouir et grandir les uns par les autres. C’est bien autre chose que de nous faire avancer comme un troupeau bêlant.
Voilà les moutons rebelles, révoltés et combatifs quand il le faut, que nous voulons être dans la bergerie de Dieu, pour reprendre cette image pastorale de l’Évangile. Comme Jésus, ne nous laissons pas impressionner par les gardiens du temple. Mais reconnaissons la voix de celui qui, comme pasteur, est un vrai pro, quelle que soit notre façon d’entendre cette voix qui nous parle avec chacun de nos mots à nous. Et que dans tous les pâturages les plus éloignés, les plus dispersés, tous entendent et reconnaissent la voix de ce Dieu qui, en Jésus, les aime comme ils sont et vient à leur rencontre pour qu’eux aussi aient la vie et qu’ils l’aient en abondance !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile, p. 215