De Shireen à l’ICE
Par Laurent Baudoin
Le meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh et la reconnaissance d’Israël comme État d’apartheid doivent inciter les hommes et femmes de progrès à soutenir massivement l’Initiative citoyenne européenne (ICE) en cours.
Le vendredi 13 mai, toutes les églises de Jérusalem ont retenti en hommage à la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, tuée deux jours plus tôt par l’armée israélienne à Jénine, en Cisjordanie occupée. Ce meurtre, ainsi que la profanation de son cortège funèbre par les forces d’occupation sur le chemin de l’église, ont bouleversé l’opinion internationale.
Shireen était femme, Palestinienne, chrétienne, journaliste réputée et témoin de l’occupation. C’était trop pour l’un des derniers États coloniaux de la planète, dont le comportement montre à quel stade de déliquescence morale il est arrivé. Réprimer les journalistes pour cacher la vérité est une constante des États qui se croient forts militairement, mais se savent faibles moralement (ainsi la destruction du grand immeuble de presse internationale de Gaza lors de l’offensive de mai 2021). Certes, l’impunité dont les dirigeants israéliens bénéficient sur la scène internationale ne les aide pas à prendre conscience de leurs excès, mais au contraire les incite à en commettre davantage avec une bonne conscience affligeante (ainsi les expulsions massives de Palestiniens au profit des colons à Jérusalem-Est).
Puisque les gouvernants ferment les yeux ou émettent quelques soupirs vite étouffés, c’est aux peuples qu’il revient d’agir pour qu’enfin la justice règne sur cette terre qui a vu naître et enseigner Jésus, « le prince de la paix ».
La pertinence d’une action citoyenne massive nous est offerte par ce que plusieurs ONG réputées et personnalités de renom (y compris israéliennes) ont démontré et que l’ONU reconnaît désormais : Israël remplit tous les critères pour être déclaré « État d’apartheid ».
Un consensus de la société civile internationale
L’application du concept d’apartheid à la situation palestinienne fait en effet l’objet d’une reconnaissance croissante. Le rapport de l’association Human Rights Watch du 27 avril 2021 et celui d’Amnesty International du 2 février 2022 concluent que le gouvernement israélien a démontré son intention de maintenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens en Israël et en Palestine occupée. Alors que la société civile palestinienne fait référence à un apartheid depuis les années 1980, les ONG israéliennes Yesh Din et B’Tselem ont pris position en 2020 et 2021. En mars 2022, le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens occupés a conclu que la situation dans ces territoires s’apparente bien à un apartheid.
L’apartheid n’est donc plus le marqueur d’un seul régime politique – l’Afrique du Sud des années 1948-1991 –, c’est désormais un terme universel et intemporel, utilisé pour décrire un système répondant à des critères juridiques et politiques précis.
Selon l’ONU, les conditions à remplir pour parler d’apartheid sont l’existence :
– d’un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques, appliqué à un groupe racial par un autre groupe racial ;
– d’une intention claire de maintenir ce régime ;
– d’un ou plusieurs actes inhumains tels que décrits par la Convention sur le crime d’apartheid (1973) ou la Cour pénale internationale (Statut de Rome de 2002).
Ces conditions permettant de qualifier le régime israélien d’apartheid sont réunies. Fin 2021, les associations membres de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine [1] ont voté à l’unanimité une motion adoptant l’apartheid comme un cadre d’analyse complémentaire, tout en continuant de dénoncer les pratiques liées à l’occupation et à la colonisation et l’ensemble des violations des droits humains. « Dénoncer l’apartheid, c’est dénoncer un crime contre l’humanité, dont découlent des obligations pour les États tiers. Au regard des violations quotidiennes et historiques que subissent les Palestiniens, parler de régime d’apartheid en Israël fait désormais consensus au sein des organisations de défense des droits humains. [2]
Dans ses recommandations aux autorités françaises, la Plateforme appelle notamment à :
– reconnaître l’existence d’un régime israélien d’apartheid à l’encontre de la population palestinienne ;
– ratifier la Convention sur l’élimination du crime d’apartheid ;
– interdire le commerce des produits et services provenant des colonies israéliennes sur les marchés français et européens.
C’est sur ce troisième point qu’a décidé d’intervenir la société civile internationale.
Agir concrètement grâce à l’ICE
Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’Union européenne a rapidement interdit l’importation des produits qui y sont fabriqués, en avançant que la Crimée n’est pas un territoire souverain de la Russie. Elle a fait de même en 2022 pour les territoires contrôlés par la Russie dans le Donbass lors de la guerre contre l’Ukraine.
C’est dans la même logique de sanctions fondée sur le droit international que le 20 février 2022 – Journée mondiale de la justice sociale – a été lancée une « Initiative citoyenne européenne » (ICE) visant à mettre fin au commerce avec les colonies israéliennes – toutes illégales – en Palestine.
L’ICE permet à un groupe de citoyens issus de sept États membres de l’UE de demander à la Commission européenne de prendre des mesures spécifiques dans son champ de compétences (exemple récent : l’interdiction du glyphosate). Si la demande recueille au moins un million de soutiens, la Commission et le Parlement européen doivent recevoir les organisateurs dans un délai de trois mois pour étudier les suites à donner.
L’ICE pour l’interdiction du commerce des produits des colonies dans l’Union européenne a été déposée par des citoyens de France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Irlande, Espagne, Italie. Elle est soutenue par une centaine d’organisations en Europe, dont la Fédération internationale des Droits de l’Homme, Human Rights Watch, Avaaz, etc. En France, elle est appuyée notamment par : Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Cimade, AFPS, CGT, CFDT, Solidaires, Confédération paysanne, FSU, Fédération internationale pour les droits humains, Attac, MRAP, Parti communiste, Parti de Gauche, Jeunes écologistes, Chrétiens de la Méditerranée, Ligue des droits de l’homme, Union Juive Française pour la Paix, Une Autre Voix Juive, GAIC, etc.
« La Commission, en sa qualité de gardienne des traités, doit veiller à la cohérence de la politique de l’Union et au respect des droits fondamentaux et du droit international dans tous les domaines du droit de l’Union, y compris la politique commerciale commune.
Elle doit proposer des actes juridiques visant à empêcher les entités juridiques de l’Union, tant d’importer des produits originaires de colonies illégales dans des territoires occupés que d’exporter des produits vers ces territoires, afin de préserver l’intégrité du marché intérieur et de ne pas aider ou contribuer au maintien de telles situations illégales. »
Argumentation des initiateurs
À compter du 20 février 2022, les initiateurs ont un an pour recueillir un million de signatures dans l’Union européenne. La France, « pays des droits de l’Homme », n’a toujours pas ratifié la convention contre l’apartheid de 1973. Ses citoyen.nes peuvent sauver l’honneur en soutenant individuellement l’ICE.
> Pour signer l’ICE : https://plateforme-palestine.org/StopSettlements-l-initiative-citoyenne-europeenne-pour-mettre-fin-au-commerce#Signer
> Pour en savoir plus : https://www.france-palestine.org/Initiative-citoyenne-europeenne-pour-mettre-fin-au-commerce-avec-les-colonies
Un poème de Ziad Medoukh
Hommage à Shireen Abou Akleh, journaliste palestinienne assassinée le 11 mai 2022 par des soldats israéliens en Cisjordanie occupée.
Notes :
[1] La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine rassemble 40 organisations dont : Artisans du Monde, AFPS, Cimade, CCFD-Terre Solidaire, Chrétiens de la Méditerranée, Ligue des droits de l’homme, MRAP, Mouvement de la Paix, Pax Christi France, Secours Catholique-Caritas France, Union juive française pour la Paix, ACAT, Amnesty International France, GAIC, Médecins du Monde. https://plateforme-palestine.org/ [2] Note d’analyse du 5 mai 2022 : https://plateforme-palestine.org/Le-regime-d-apartheid-israelien-a-l-encontre-des-Palestiniens-ne-peut-plus-etre/