Par Christine Fontaine

Nous avons des relations !
Un missionnaire, appelons le RenĂ©, revenant rĂ©cemment dâAfrique sâest confiĂ© Ă ses proches. Il a Ă©tĂ© profondĂ©ment dĂ©sappointĂ© par ce qui sâest rĂ©vĂ©lĂ© au moment de son dĂ©part. Tous les chrĂ©tiens sont venus le saluer apparemment amicalement, mais câĂ©tait pour chacun lâoccasion de lui demander quelque chose : pour les uns la possibilitĂ© dâĂȘtre accueillis en France, pour dâautres dâĂȘtre mis en relation avec des chrĂ©tiens dâOccident qui les aideront financiĂšrement ; dâautres encore lui demandaient sa voiture ou telle piĂšce dâameublement ou de cuisine. En dernier lieu, lorsque juste sur le dĂ©part, un Africain vint encore vers lui, RenĂ© â sans attendre dâĂȘtre Ă nouveau sollicitĂ© â lui dit : « Je suppose que tu viens toi aussi pour me demander quelque chose⊠Jâai dĂ©jĂ tout donnĂ© aux autres, il ne me reste que ma montre, tiens la voilà ⊠» Mais ce dernier chrĂ©tien refusa le cadeau : il Ă©tait venu par pure amitiĂ©, uniquement pour lui serrer la main une derniĂšre fois au moment de son dĂ©part.
RenĂ© est doublement bouleversĂ© par cet adieu. Dâune part il pensait avoir créé avec ces chrĂ©tiens dâAfrique des relations fraternelles et il prend conscience quâelles Ă©taient, au moins en partie, intĂ©ressĂ©es. Dâautre part il dĂ©couvre que lâĂglise Ă laquelle il appartient est perçue par les Africains comme liĂ©e au monde des riches. Appartenir Ă lâĂglise câest avoir la possibilitĂ© de crĂ©er des relations avec des nantis.
Nous pouvons comprendre le dĂ©sappointement de RenĂ©. Mais serait-il juste que nous, chrĂ©tiens dâOccident, reprochions quoi que ce soit Ă nos frĂšres dâAfrique ? En vĂ©ritĂ©, ils nous rĂ©vĂšlent ce que nous refusons la plupart du temps de voir : lâappartenance Ă lâĂglise nous situe du cĂŽtĂ© des puissants. Nous « avons des relations », comme on dit, grĂące Ă notre appartenance Ă lâĂglise. Dâune certaine maniĂšre nombre dâentre nous forment un clan oĂč lâon se cĂŽtoie entre gens bien, dans lequel on souhaite marier ses enfants, oĂč lâon dĂ©sire que se conserve un patrimoine de valeurs morales autant que matĂ©rielles. Dans lâĂglise, lâĂ©vĂȘque nâa-t-il pas le rang de prĂ©fet et une place dâhonneur Ă la table de nombre de chefs dâentreprise ? Reconnaissons-le, notre relation commune au Dieu de JĂ©sus-Christ permet Ă un grand nombre dâentre nous dâavoir de nombreuses et solides relations.
Dieu est relation
LâĂglise fĂȘte aujourdâhui la Sainte TrinitĂ©. Nous sommes invitĂ©s Ă redĂ©couvrir que Dieu est PĂšre, Fils et Esprit. En Dieu le PĂšre nâest pas sans le Fils qui nâest pas sans lâEsprit. LâUn nâest pas sans lâAutre. Mais Dieu nâest pas non plus en Lui-mĂȘme, il nâest pas sans autre que lui : le monde Ă qui il donne son Esprit pour lâunir Ă lui. Dieu est Amour autrement dit il est Relation. OĂč est-il notre Dieu ? Nulle part ailleurs que lĂ oĂč fonctionne la communication des uns aux autres. Il dĂ©sire que la relation que nous entretenons avec lui nous pousse Ă ne pas utiliser nos propres relations Ă notre seul profit ou Ă celui de notre clan, de notre famille ou de notre Ăglise. Il nous pousse Ă passer dâun monde oĂč lâon possĂšde des relations Ă une humanitĂ© oĂč lâon se fait relation des uns avec les autres.
« Quand il viendra lui lâEsprit de vĂ©ritĂ©, il vous conduira dans la vĂ©ritĂ© tout entiĂšre. » La vĂ©ritĂ© tout entiĂšre câest que lâhumanitĂ© â et donc chacun de nous â est créée Ă lâimage de Dieu. De mĂȘme que Dieu nâest pas lâUn sans lâAutre, nous ne pouvons pas vivre les uns sans les autres. « LâEsprit vous fera connaĂźtre ce qui va venir », dit JĂ©sus. Dieu nâa-t-il pas Ă©tĂ© fidĂšle Ă cette promesse ? LâEsprit ne nous a-t-il pas encore suffisamment appris quâexclure les autres, les chasser de nos relations pour vivre entre soi est toujours source de mort ? Le siĂšcle dernier nâa-t-il pas Ă©tĂ© suffisamment mortifĂšre pour que nous ayons oubliĂ© quâexclure les autres que ce soit les Juifs ou les Tziganes hier, les Musulmans aujourdâhui, cela mĂšne lâhumanitĂ© dans un chaos indescriptible ?
Vivons en relation
ChrĂ©tiens, notre commune appartenance au Dieu de JĂ©sus-Christ nous permet dâavoir des relations. Ce nâest en soi ni un bien ni un mal. Câest simplement un fait. Mais, plutĂŽt que dâen tirer profit, soyons davantage attentifs aux besoins de ceux que nous pouvons aider. Et surtout servons-nous de nos relations, dans la communautĂ© chrĂ©tienne oĂč nous vivons, pour crĂ©er les conditions dâune vie digne chez les Ă©trangers qui sont parmi nous. Nous pouvons aussi entrer en relation avec tous ceux qui â chrĂ©tiens ou non â combattent contre ce monde oĂč la richesse est sauvagement captĂ©e par un clan de plus en plus Ă©troit et qui use de ses propres relations pour rester entre soi. Ou bien alors â refusant mĂȘme de voir que lâĂglise appartient en trĂšs grande partie au monde des nantis â nous pouvons nous replier toujours davantage sur notre clan, nos prĂ©tendues valeurs et devenir des agents de lâOrdre, dâun ordre qui exclut de plus en plus les autres.
Aujourdâhui, lâĂglise dâOccident ne court-elle pas ce risque ? De plus en plus de jeunes catholiques nâadhĂšrent-ils pas en toute bonne conscience aux thĂšses dâextrĂȘme droite ? « Jâai encore beaucoup de choses Ă vous dire, mais pour lâinstant vous ne pouvez pas les porter », dit JĂ©sus. SĂ»rement avons-nous encore beaucoup Ă apprendre, mais ne nĂ©gligeons pas pour autant les leçons du passĂ©. PoussĂ©s par lâEsprit, il est temps dâuser de toutes nos relations pour ne rien laisser Ă lâesprit de parti au moins dans lâĂglise ! Honorer la TrinitĂ© aujourdâhui ne consiste ni Ă se perdre dans la contemplation dâun mystĂšre ineffable ni Ă ingurgiter une dĂ©finition dogmatique. Nous manifestons notre foi en la TrinitĂ© lorsque nous mettons en pratique ce que disait saint Paul aux Philippiens : « Nâaccordez rien Ă lâesprit de parti, rien Ă la vaine gloire⊠Ne recherchez pas chacun vos propres intĂ©rĂȘts, mais plutĂŽt que chacun songe Ă ceux des autres. » (Ph 2,3-4)
Source : https://www.dieumaintenant.com/tempsordinaire2c.html#h3