Qui veut « noyer » le synode allemand… l’accuse de la rage !
L’avancée du processus allemand au regard d’un certain piétinement du synode sur la synodalité inquiète en certains milieux d’Église.
(Article publié par René Poujol – https://www.renepoujol.fr/ – qui précise : « Cet article a été repris dans la lettre Notre pain quotidien, du p. Jean-Pierre Roche que je remercie vivement pour ce nouveau partage ».)
Dans un communiqué du Bureau de presse du Saint-Siège, non signé, en date du 21 juillet, le Vatican revient à la charge contre le Synode Allemand dont les orientations constitueraient une menace pour l’unité de l’Église. Accusation réfutée quelques jours plus tard par les responsables du Chemin synodal allemand. Ils soulignent que les orientations votées n’ont pas valeur décisionnelle et que c’est donc là leur faire un mauvais procès. Analyse confirmée par un observateur français qui souligne de son côté, sur le site de Promesses d’Église, que la plupart des textes votés consistent « en une demande adressée à la conférence des Évêques allemands de porter la question au niveau de l’Église universelle. » Ce qui, à ce stade, est parfaitement conforme à l’esprit même de la synodalité telle que définie par le Code de droit canonique. Pourquoi donc cette nouvelle charge et à ce moment précis du processus synodal engagé par ailleurs par le pape François ?
Le texte romain ne fait pas dans la dentelle. « Afin de protéger la liberté du peuple de Dieu et l’exercice du ministère épiscopal, il semble nécessaire de préciser que le « Chemin synodal » en Allemagne n’a pas la faculté d’obliger les évêques et les fidèles à assumer de nouveaux modes de gouvernance et de nouvelles approches de la doctrine et de la morale. Il ne serait pas licite d’initier dans les diocèses, avant un accord convenu au niveau de l’Église universelle, de nouvelles structures officielles ou doctrines, qui représenteraient une blessure portée à la communion ecclésiale et une menace pour l’unité de l’Église.»
La presse catholique invitée à se faire l’écho du non possumus romain
L’information a aussitôt été reprise et commentée par la presse et les médias, notamment catholiques. C’était bien le but de la manœuvre. Sous le titre « Pourquoi Rome met un coup d’arrêt au Chemin synodal allemand » on peut lire dans la Vie : « Entre les lignes, Rome répond par un « nein » catégorique aux revendications exprimées par la majorité des 230 membres, à parité entre consacrés et laïcs, de cette assemblée, qui doit achever ses travaux en octobre prochain : ordination des femmes à la prêtrise, mariage des prêtres, et bénédictions des couples de même sexe. » Or, les choses paraissent plus complexes. Car si, de fait, une majorité des participants au Chemin synodal allemand, aussi bien évêques que prêtres, religieux ou laïcs, a voté de telles résolutions à une large majorité qualifiée supérieure aux deux tiers, ce n’est pas pour leur donner valeur décisionnelle.
Il n’y aura pas « de voie allemande spéciale »
C’est d’ailleurs ce qu’ont tenu à signifier, dès le 21 juillet au soir, dans un communiqué, les responsables du Chemin synodal allemand : Irme Stetter-Karp, la présidente du Comité central des catholiques allemands, et Mgr Georg Bätzing, président de la conférence épiscopale. Les signataires précisent que « les résolutions de l’Assemblée synodale n’ont pas d’effet juridique en elles-mêmes ». Rappelant que le processus synodal allemand a été engagé dès 2019 (il devrait s’achever en 2023), en réponse à l’appel du pape François consécutif aux scandales sexuels dans l’Église, ils écrivent : « Nous ne nous lassons pas de souligner que l’Église en Allemagne ne suivra pas une “voie allemande spéciale”. Cependant, nous considérons qu’il est de notre devoir d’indiquer clairement où nous pensons que des changements sont nécessaires. (…) Nous avons déjà le sentiment que les problèmes et les questions que nous avons identifiés sont similaires dans le monde entier.»
Le témoignage également nuancé d’un observateur français
Cette approche est confirmée par Jérôme Vignon (1) officiellement agréé par le Chemin synodal allemand comme l’un des deux observateurs français ( l’autre étant Mgr Didier Berthet , évêque de Saint-Dié) dans une synthèse de la troisième session qui s’est tenue les 3, 4 et 5 février 2022, publiée sur le site de Promesses d’Église. (2) Jérôme Vignon y rend compte, dans le détail, des décisions adoptées lors de cette session. Ce qu’il évoque, concernant par exemple la question de l’accès des femmes à des ministères ordonnés, question sensible au même titre que l’obligation du célibat ecclésiastique ou la question homosexuelle, dit bien l’esprit qui est celui du Chemin synodal et qui ne correspond pas vraiment aux accusations romaines. Il écrit :
« Le texte fondamental devant servir de base aux propositions de réformes sur la place des femmes dans les fonctions et ministères de l’Église venait lui aussi en seconde lecture. Son adoption acquise elle aussi à une forte majorité, y compris le collège des évêques, a donné lieu à la plus longue salve d’applaudissements jamais enregistrée depuis les débuts du chemin synodal. (…) Le texte fondamental ne se prononce pas directement sur l’accès des femmes aux responsabilités et aux ministères. Il a pour objet de fonder les débats sur cet accès, y compris les ministères ordonnés, sur la prise en compte du principe d’une égalité en dignité des hommes et des femmes au regard de l’annonce de l’évangile. (…) Ce texte fondamental ne se prononce pas pour l’accès des femmes à tel ou tel ministère. Cette discussion est laissée aux textes d’application qui devront tenir compte de l’état général des convictions et pratiques de l’Église universelle. (…) Ainsi le texte sur les femmes et les ministères ordonnés consiste-t-il en une demande adressée à la Conférence des Évêques allemands de porter la question au niveau de l’Église universelle. » Ce qui est très exactement l’esprit et la lettre de la démarche synodale engagée par le pape François.
Mettre le document préparatoire du Synode à l’abri des « pressions » allemandes
Comment expliquer, dans ce contexte, la déclaration Vaticane qui bien évidemment n’est pas fortuite ? Difficile de lire dans le marc de café curial, mais on peut au moins se risquer à quelque hypothèse. Le synode sur la synodalité voulu par le pape François pour l’Église universelle a connu, au cours de l’année écoulée, sa première phase au niveau des diocèses et des Églises particulières à travers le monde. J’en ai rendu compte, pour la France, dans un billet récent. Il n’est pas exclu que les remontées aient été en deçà des attentes romaines. On déplore notamment, ici et là, le peu d’engagements des jeunes générations catholiques. Ce qui a eu pour effet de renforcer le poids relatif des « boomers » (entendez la génération conciliaire) très – trop ? – présents dans les structures d’Église. Ce qui n’est pas un péché en soi, mais ne permet pas, de fait, de refléter la sensibilité perçue parfois comme plus traditionnelle de leurs cadets.
L’été sera sans doute consacré, à Rome, à la finalisation du document « Instrumentum laboris » qui servira de base à la seconde phase du synode, par continent, à partir de l’automne, avant la tenue de l’Assemblée conclusive des évêques au mois d’octobre 2023. Il n’est pas interdit de penser qu’à Rome tout le monde ne se réjouit pas de voir le Chemin synodal allemand, qui a pris une longueur d’avance de par la qualité de son travail, puisse laisser entendre que les questions abordées par lui se retrouvent en réalité dans la plupart des Églises, et donc suggérer que ses propres réponses pourraient avoir valeur universelle.
La peur permanente de voir la diversité compromettre l’unité
On connaît le souhait exprimé par le pape François depuis son élection en 2013, de parvenir à donner une forme de plus grande autonomie aux Églises particulières et aux Conférences épiscopales pour mieux adapter leur pastorale – voire même une certaine doctrine – aux réalités culturelles qui leur sont spécifiques. Or, note encore Jérôme Vignon dans son compte rendu : « Le texte sur le diaconat féminin charge la Conférence des évêques de négocier à Rome un “indult“ (une exception) autorisant pour l’Église catholique en Allemagne l’ordination diaconale pour les femmes. » Positions qui semblent aujourd’hui soutenues par le cardinal Marx lui-même, un temps réservé. Nous sommes là totalement dans l’esprit des évolutions souhaitées pour l’Église universelle par le pape François, mais pour lesquelles il a besoin d’un accord formel du synode des évêques qui se réunira à l’automne 2023. (3) Mais nous sommes là, tout autant, dans le type même de propositions jugées mortifères par une partie de la curie – et des milieux catholiques conservateurs – qui y voient un risque d’éclatement de l’unité de l’Église et de remise en cause de la doctrine. Pour eux, il est donc essentiel que ce type « d’ouverture » ne figure d’aucune manière dans le document de travail de septembre. Déconsidérer publiquement le Chemin synodal allemand en l’accusant de vouloir mettre unilatéralement ses recommandations en œuvre pourrait y contribuer. On retrouve là le même détournement pervers que dans l’article du Figaro du 15 juin dernier titré « Les évêques de France prêts à un big bang de l’Église » à propos d’un document qui ne prétendait être autre autre que la simple synthèse – honnête – des remontées des diocèses dans le cadre de la consultation synodale voulue par le pape François. Pas un plan d’action.
Percer la pensée du pape François…
Redisons-le : le communiqué du Vatican du 21 juillet ne porte aucune signature. Pour qui connaît les procédures romaines et le « poids des mots », en fonction de leur origine, cet anonymat invite à la plus grande prudence. Reste la question que chacun a en tête : cette publication s’est-elle faite avec l’aval du pape François ? La réponse, comme toujours le concernant, n’est pas simple ! Le 15 juin, la revue italienne Civita cattolica rendait public un entretien accordé par lui le 19 mai précédent aux responsables des principales revues culturelles jésuites. Interrogé sur le Chemin synodal allemand, il avait répondu : « J’ai dit au président de la Conférence épiscopale allemande, Mgr Bätzing : « Il y a une très bonne Église évangélique en Allemagne. Nous n’en voulons pas deux ». Le problème se pose lorsque la voie synodale vient des élites intellectuelles, théologiques, et est très influencée par des pressions extérieures. Il y a des diocèses où le chemin synodal se fait avec les fidèles, avec les gens, lentement. »
Nul doute que cette réponse corresponde à sa pensée profonde. Mais il déclarait tout autant en août 2013 aux évêques du Brésil, à l’occasion des JMJ : « Peut-être l’Église avait-elle des réponses pour l’enfance de l’homme, mais non pour son âge adulte. » Que cinq siècles après une première confrontation du catholicisme avec la modernité de la Renaissance qui s’est traduite par l’émergence du protestantisme (et de la contre-réforme catholique), une même urgence à inculturer le christianisme dans la postmodernité conduise aux propositions qui se font jour de manière convergente ici et là doit interroger. Cela traduit moins une séduction de certains catholiques pour la Réforme qu’un désir renouvelé de fidélité à l’Évangile dans un contexte de crise profonde. Il serait risqué de se tromper de diagnostic.
À ce jour, il semble que les artisans du Chemin synodal allemand, mettant un peu d’eau dans leur vin, aient compris qu’il leur fallait chercher une possible convergence avec le synode en cours au niveau de l’Église universelle et tenter d’y faire entendre leur voix : une parmi d’autres. Si ce plaidoyer pour une certaine autonomie des Églises continentales – voulue par le pape François comme réponse à la crise – n’était finalement pas pris en considération par l’Assemblée synodale de 2023… au motif que c’est là une idée d’intellectuels qui ne rencontrerait pas l’assentiment des simples fidèles partout à travers le monde, alors, mais alors seulement, il y aurait une réelle inquiétude à avoir pour l’unité de l’Église. Pas aujourd’hui !
Notes :
(1) Jérôme Vignon est notamment ancien Président des Semaines sociales de France.
(2) Promesses d’Église regroupe une cinquantaine d’associations et mouvements d’Église parmi les plus représentatifs. Deux évêques ont été désignés par leurs pairs pour être leurs représentants auprès de cette instance : Mgr François Fonlupt, archevêque d’Avignon, et Mgr Dominque Blanchet, évêque de Créteil, vice-président de la CEF.
(3) Dans le même esprit, l’épiscopat d’Amazonie pourrait solliciter un indult comparable visant à ordonner des hommes mariés, comme le principe en avait été adopté lors du Synode de 2019.