L’apartheid israélien : heure de vérité à l’Assemblée Nationale
Par Richard Wagman (Union Juive Française pour la Paix)
Le 13 juillet, 38 députés de gauche ont déposé un projet de résolution condamnant « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ». Ces députés ont soulevé une question importante, celle de l’apartheid israélien. Leur projet de résolution est bien documenté : occupation militaire, annexion, dépossession, expulsions, blocus, persécutions, démolition des maisons, confiscation de terres, colonisation, hégémonie démographique, réfugiés (refus du droit au retour), législation raciste, bombardements fréquents, exécutions arbitraires, torture, morts de nombreux civils (dont des journalistes et des enfants), le Mur en Cisjordanie qui découpe les terres palestiniennes, etc. La liste est longue.
Depuis 1973, le corpus du droit international (Conventions de Genève, Cour Internationale de Justice) identifie l’apartheid comme un crime contre l’humanité. En référence à l’apartheid autrefois infligé aux Noirs en Afrique du Sud, les textes de l’ONU précisent que ce crime englobe « les politiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales » et « les actes inhumains (…) commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial » sur un autre. Le projet de résolution des 38 députés a largement repris la terminologie utilisée par les juristes internationaux avec une formulation proche : « la domination d’un groupe ethnique-national-racial sur un autre ».
Ce projet de résolution a suscité un tollé parmi les personnalités sionistes : beaucoup ont rejeté le projet de résolution sous prétexte qu’il n’y a pas de races humaines ! Ainsi, parler de « discrimination raciale » serait antisémite, car les Juifs israéliens ne constituent pas une race (sic).
Il y a le fond et la forme. Le fond, c’est la réalité de l’oppression subie par le peuple palestinien. La forme, ce sont des mots que l’on peut mettre sur une telle situation, parfois avec un vocabulaire un peu démodé. Cela s’applique sans doute à l’adjectif « racial » dans certains contextes, mais le problème, ce n’est pas la sémantique. C’est la réalité de l’occupation, de la dépossession, des offensives militaires, des assassinats extrajudiciaires, des emprisonnements massifs, du régime de détention arbitraire (que subit en particulier l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri), des destructions et des vies brisées.
Depuis l’adoption de la loi « État-nation du peuple juif » en 2018, Israël accélère sa répression contre les « Palestiniens de l’intérieur » (ceux qui vivent en Israël et qui sont des citoyens de seconde zone). Sans parler des Palestiniens dans les Territoires occupés. Quant aux droits de ces derniers, ils ont souvent droit aux arrestations abusives, à la confiscation de leurs propriétés, à la destruction de leurs maisons et aux bombardements fréquents de leurs villes et villages. Voilà pour l’égalité des droits !
La réalité d’apartheid sur le terrain a été identifiée dans de multiples rapports provenant de l’ONU, de plusieurs ambassades à Tel-Aviv (dont celle de la France), ainsi que par des ONG internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International. Elle a également été clairement identifiée par des ONG israéliennes comme B’Tselem et Yesh Din. Tout comme de nombreuses associations juives à travers le monde, dont la nôtre.
Dans ses conclusions, le projet de résolution des 38 députés fait plusieurs recommandations que nous saluons : il enjoint la France à reconnaître l’État de Palestine, à affirmer la légalité de la campagne BDS (boycott d’Israël), à abroger la circulaire Alliot-Marie en rapport avec BDS, à arrêter tout échange militaire avec Israël, à imposer des sanctions contre cet État (comme par exemple le gel d’actifs des hauts dirigeants israéliens, comme on le fait pour la Russie de Poutine), à démanteler le Mur érigé dans les Territoires occupés et, plus généralement, il demande au gouvernement d’agir « pour parvenir au démantèlement du régime d’apartheid institué par l’État d’Israël à l’encontre du peuple palestinien ».
Cette initiative parlementaire est salutaire non seulement par œuvre de justice envers un peuple opprimé, mais également par sa valeur pédagogique auprès des Français sur la réalité dramatique qui sévit actuellement au Proche-Orient. Nous soutenons l’intention des députés signataires, leur description détaillée de l’apartheid israélien et l’essentiel des recommandations qu’ils proposent.
Ceci dit il y a une zone problématique dans les conclusions du texte. Les 38 députés avancent ces recommandations sur le fond d’un scénario de règlement politique que l’on peut nommer la « solution de deux États ». Une telle issue était l’idée phare des Accords d’Olso en 1993, soit un État palestinien aux côtés d’Israël dans les Territoires de 67 avec Jérusalem comme capitale binationale. Cette idée avait une certaine crédibilité à l’époque, mais déjà elle n’était qu’un compromis élaboré à la table de négociations entre Israël et l’OLP. Aujourd’hui une telle perspective est de moins en moins crédible (voire impossible) compte tenu de l’accélération de la colonisation des Territoires palestiniens. Qui plus est, un compromis n’est jamais une situation idéale, mais le reflet d’un rapport de forces, que ce soit à la table de négociations ou sur le terrain. L’idéal est ailleurs.
De plus en plus de Palestiniens réclament aujourd’hui l’égalité des droits pour l’ensemble des habitants du pays, qu’ils soient Juifs ou Arabes, et ceci de la Méditerranée au Jourdain (soit dans tous les territoires contrôlés par Israël, ce qui constitue la Palestine historique).
Si vous attendez de notre part une recommandation précise à ce niveau, vous risquez d’être déçu. Ce ne sont pas des Juifs progressistes français, ni des Français en général, ni le mouvement de solidarité, ni l’Union Européenne, ni l’ONU qui peuvent décider de l’avenir politique des Palestiniens. Seuls les Palestiniens peuvent le faire, avec le concours des Israéliens anticolonialistes qui militent avec eux pour l’égalité des droits. La structure étatique, les frontières et la citoyenneté ne peuvent être déterminées que par les premiers intéressés.
En tant que Juif antisioniste, je le dis au nom des valeurs juives universelles qui sont les miennes.
Ainsi, poser la « solution de deux États » comme préalable ou comme cadre pour d’autres revendications (sanctions, embargo militaire, etc.) outrepasse les compétences des parlementaires français, même si leurs intentions sont louables.
Je me joins à cette critique fondée, tout en saluant l’intention des auteurs et l’œuvre pédagogique qu’elle représente. Je souhaiterais que le gouvernement français mette en œuvre toutes les autres recommandations de ce texte salutaire.