Pas trop haut, Marie !
Par Michel Deheunynck
L’Église aurait été bien en peine de nous trouver, dans l’Évangile, le récit de ce dogme « ascensionnel » de Marie : un vol première classe vers un pays merveilleux. Cette fête existait depuis longtemps, mais c’est un pape du milieu du siècle dernier qui a eu l’idée dans ses prières ou dans ses rêves d’en faire un article additionnel à notre code de foi. C’est vrai que Marie, elle est si belle et si sympathique. On comprend qu’elle ait pu fantasmer bien des émotions, même chez les chefs d’Église : c’est humain !
Mais, on n’y perd pas du tout au change, parce qu’à la place de cette allégorie, nous avons pu relire cet épisode qui, lui, est bien reconnu dans l’Évangile de Luc, cet épisode qui est à la fois une rencontre émouvante et une prière, une prière forte, très forte de Marie.
Une rencontre entre deux femmes, deux cousines, qui partagent leurs vécus de futures mamans, une plus ancienne qui se réjouit d’accueillir une maternité tardive et une jeune, en fin d’adolescence, surprise de sa précocité maternelle. Eh oui, la parentalité n’était déjà pas modélisée d’une façon assez normative au goût de certains traditionalistes. Ces femmes parlent de ce qui bouge en elle, ce qui nous fait penser à tout ce qui fait bouger la vie : la création, la recherche, les repères culturels qui évoluent, les mouvements sociaux, humanistes, écologiques qui militent pour que ça bouge et pour qu’un monde nouveau naisse.
Et puis, cet épisode nous livre aussi cette magnifique prière de Marie. Marie qui n’a pas du tout voulu être la femme un peu naïve dont la tradition religieuse a eu longtemps tendance à exalter la soumission au point d’en faire une « Reine du Ciel », comme otage de son prestige et de son arrogance. Non, Marie aurait refusé cela ! De Noël jusqu’à la croix, elle était tout le contraire de cela.
Dans cette magnifique prière du Magnificat, inspirée par les prophètes, elle anticipe ce qu’elle va vivre avec Jésus et elle dit ce qu’elle pense, elle ; ce qu’elle veut, elle, dans sa foi :
Que les humbles ne soient pas seulement consolés, mais élevés !
Que les affamés ne soient pas seulement secourus, mais comblés de bien !
Que les puissants ne soient pas seulement bienveillants, généreux, mais descendus de leurs trônes !
Que les riches ne soient pas seulement taxés, mais renvoyés les mains vides… vides !
Un appel au renversement radical des rapports sociaux par l’émancipation des plus petits !
Si Marie a une si grande place dans notre histoire de croyants et dans notre foi ce devrait être parce qu’elle a fait vibrer notre indignation, qu’elle a suscité notre révolte, en choisissant le camp des plus précarisés, des opprimés, des exploités. Non pas pour se pencher sur eux, mais pour qu’ils se lèvent. Elle qui voulait, dans son attachement à Dieu, que toutes les cloisons sociales, discriminantes, s’écroulent. Et qu’une vie nouvelle commence, une vie ressuscitée, comme cette vie qui bouge, qui tressaille en elle et en Elisabeth.
Tu es vraiment comme notre mère à tous dans la foi, Marie, mais merci de ne pas nous infantiliser. Fais-nous bouger et grandir comme tu l’as fait avec Jésus, dans nos combats en humanité et dans la maturation de notre foi !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ? (Éditions Temps Présent), p. 247