L’ouverture du diaconat : la réformation cruciale attend-elle l’étape suivante ?
Par Didier Levy
À propos de l’article Cardinal Marx : le temps est venu d’ouvrir le diaconat aux femmes
L’ouverture du diaconat aux femmes s’apparenterait-elle aux avancées signifiantes qu’on prête à une « politique des petits pas»? Avancées qui s’enchaînent dans un processus dont les étapes habituent à l’idée que le changement est nécessaire ; et dont, qui sait, les franchissements en viennent à rendre l’interruption de leur cours tout bonnement impensable.
Cette même politique des petits pas peut citer de bonnes raisons pour se justifier comme le seul moyen d’entamer le corpus idéologique et normatif d’une institution dont l’immobilisme est devenu de longue date la forteresse.
De ce point de vue, l’ouverture du diaconat aux femmes laisse-t-elle entendre – à très bas bruit – qu’elle sera suivie d’autres avancées susceptibles d’aboutir un jour à l’essentiel ? Qui est l’abolition de l’accès exclusif des hommes au statut de clercs ordonnés – et donc, au primordial, à la célébration de l’Eucharistie. Une abolition en faveur de laquelle se joignent, sur deux plans distincts, mais de développements complémentaires, les aspirations à une rénovation en profondeur du christianisme professé par l’Église romaine, et les revendications à l’égalité entre les sexes qui émanent des femmes catholiques classées comme féministes, ou de leur pendant masculin en concorde d’engagement avec elles.
Quelle que soit la réponse, on peut se représenter un pape allant jusqu’à valider expressément le principe de cette ouverture du diaconat. Puis un pontificat de prudente temporisation, où la question fera du sur-place, à la fausse cadence des tergiversations et dans la durée que l’institution ecclésiale romaine sait à merveille se ménager. Et enfin, un troisième pontife qui actera la réforme dans les termes et les solennités requises. Sans pessimisme excessif, la projection de ce parcours se prête à un décompte en un nombre notable d’années – avançons l’hypothèse, après tout suffisamment vraisemblable, d’une quinzaine d’années… Sauf à ce que l’Esprit, impatienté, décide de tenir les rênes pour hâter l’allure.
La personnalité, la vision et le rôle du Cardinal Marx ont été salués sur ce blogue. En rencontrant une adhésion qui fait si couramment défaut aux instances ecclésiastiques.
Dans le sillage de Marie de Magdala
Peu avant l’article dont il est ici question, une mise en lumière de toute autre nature a eu lieu. Celle d’une femme cette fois, d’un temps très ancien, et par l’article de Sylvaine Landrivon Marie de Magdala.
Il n’y était certes pas question de l’accès au diaconat, et cela aurait-il été le cas que cette problématique posée au féminin se serait dissoute d’elle-même.
Parce qu’il y était traité de « celle qui fut sans doute l’être humain le plus proche de Jésus-Christ ». Une proximité inséparable de l’incomparable et inaccessible ordination que Marie de Magdala a reçue du seul prononcé de son nom, et qui l’a consacrée comme l’unique témoin de la résurrection : elle est choisie pour porter le seul regard humain qui se posera sur le ressuscité, sur son corps, sur sa chair qui vivent après la mort, qui en reviennent victorieux (versus : de quoi est « fait » l’être allégorique qui, ensuite, traverse les portes et les murs, apparaît et disparaît à son gré, et enfin s’élève dans le ciel… ?).
Et s’il lui est rappelé, par ce ressuscité, de ne pas (le) toucher, n’est-ce pas précisément parce que la prescription que tous deux, juif et juive, observent (1) prend en cinq mots une vocation nouvelle : attester que ce sont, inchangés, le corps et la chair de l’homme mis à mort juste avant le Sabbat précédent qui, en ce matin de Pâques, sont devant la femme élue. Ceux de l’homme aimé qui se fait reconnaître devant le tombeau vide à l’instant où, de sa bouche et de sa voix, il l’appelle « Marie ». Avec l’infinie douceur qui dissipe le halo de l’inimaginable.
Quelle ordination contester aux femmes après celle de la Magdeleine, préférée à Jean et à Pierre pour cette rencontre « d’hors la tombe » ? Après cet appel, au double sens du terme, adressé à Magdeleine, pour l’élire « apôtre des apôtres », puis pour lui demande d’aller témoigner « en lui disant (…) “Va vers mes frères, et dis-leur…“ ».
Cette « amie de Jésus » a gravé dans les Credo chrétiens « Je crois à la résurrection de la chair ».
Quelle que soit l’acception mystique qu’on donne à la résurrection des corps – telle qu’une continuité du corps naturel au corps spirituel –, et, quelle que soit la représentation qu’on se forme de la personne qui entre pour l’éternité dans la vie et dans le corps de Dieu – telle une humanité entière sauvée corps et âme à la fois parce que les deux espèces sont indissociables dans les communions de l’amour –, c’est cette femme, Magdeleine, qui a célébré le sacrement qui pour l’éternité sera le premier entre tous : la consécration de la vie éternelle dans la symbolique d’une incarnation.
Dans toutes les symboliques qui se fédèrent sur cette Incarnation, à partir de l’attestation donnée à une femme d’Israël de la résurrection corporelle du Messie, et jusqu’à la vision intuitive d’une insertion à venir, collective et cosmique, incorporant chaque créature dans l’accomplissement de la promesse de l’Alliance.
On reposera donc la question : qui irait contester aux sœurs de Magdeleine, au seul motif qu’elles sont des femmes – alors que toutes les Marie de la Bible sont élues en tant que telles –, le droit de prendre la parole du témoignage et de l’entendement dans les assemblées et, plus invraisemblable encore en fin de compte, celui de refaire et de redire « en mémoire de » respectivement les gestes et les paroles de la Cène ?
Ce qui, à y bien penser, réunit des fonctions très ordinaires en comparaison d’un face-à-face inouï, et aux prolongements incommensurables, avec le Christ ressuscité.
Note :
(1) Prescription de la Loi qui porte l’interdiction d’un contact physique entre un homme et une femme en état de niddah – c.-à-d. qui est dans la période de ses règles. La niddah est le principal commandement de lois religieuses juives appelées « lois de pureté familiale ». Le site https://fr.chabad.org/ expose que ces lois sont « au-dessus de la raison ». Et qu’« elles se situent à un tel niveau de spiritualité, au-delà de ce que l’intellect peut saisir, qu’elles touchent à une partie très élevée de l’âme, une partie de l’âme qui transcende totalement la raison. »