Par Marcel Metzger.
Avant le temps du concile Vatican II, des curés, que leur formation au séminaire avait convaincus de la supériorité du célibat clérical, considéraient le mariage comme « un remède contre la concupiscence ». La formule résume un propos de saint Augustin : « Le sacrement de mariage, en donnant la grâce, réprime la concupiscence dans sa racine. » Dans la pastorale, on n’ose plus tenir de tels propos…
Par les temps qui courent, la formule pourrait fort bien être appliquée au clergé de l’Église romaine, après les scandaleuses révélations d’abus sexuels commis par des prêtres, des évêques et même des cardinaux. D’innocentes victimes, en particulier des enfants, ont fait les frais de la concupiscence de ces clercs dévoyés. Tout cela aurait pu être évité si, dans l’Église romaine, on avait pris au sérieux cette maxime de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête. » Depuis plusieurs siècles, l’Église romaine impose à ses clercs le célibat et depuis plusieurs siècles des dérives en ce domaine sont régulièrement dénoncées, si bien que Martin Luther et les autres Réformateurs, témoins de nombreux abus en leur temps, ont refusé la règle du célibat obligatoire dans leurs Églises. Fallait-il donc attendre l’épouvantable débandade actuelle pour se rendre enfin à l’évidence ?
Certes d’innombrables prêtres et évêques ont vécu leur célibat dans la dignité. Il y eut le curé d’Ars, mais il y eut aussi le curé d’Uruffe (diocèse de Nancy) qui, le 3 décembre 1956, avait tué sa maîtresse de 19 ans et l’enfant qu’elle portait. Force est de constater les faillites de l’obligation du célibat clérical, les manquements publics, les concubinages connus ou déguisés, les efforts de la hiérarchie pour étouffer les dérives, etc. Que d’études historiques et sociologiques ont été publiées, signalant non seulement ces dérives mais aussi les doutes nourris par les populations quant à la sincérité de l’engagement au célibat… Selon des enquêtes récentes, 80 % des catholiques sont favorables à l’ordination d’hommes mariés. Cette réalité avait été prise en compte avec réalisme au temps du concile Vatican II, et des appels avaient été lancés pour une réforme en ce domaine.
80 % des catholiques favorables à l’ordination de prêtres mariés
À l’époque, j’avais moi-même pris part à ce mouvement en faveur d’une évolution de la discipline du célibat, par un article publié dans Supplément de la Vie spirituelle 73 (1965), p. 208-224, sous le titre « Prêtres célibataires et prêtres mariés ». J’étais encore séminariste et j’effectuais une année de coopération au Liban, pour enseigner les lettres à des enfants de prêtres au petit séminaire maronite. Dans cet article, je démontrais qu’aucun des arguments avancés pour exclure l’ordination d’hommes mariés n’était dirimant, ni les valeurs eschatologiques et mortifiantes du célibat, ni le prétendu gain en disponibilité, ni la séparation par rapport aux fidèles (à l’époque on y songeait encore !). Au Liban, ces questions institutionnelles étaient alors débattues dans un contexte œcuménique très ouvert, grâce aux apports des Églises orientales. En Europe aussi ces questions étaient largement discutées, grâce à l’engagement persévérant de quelques prophètes, dont l’abbé Paul Winninger, du diocèse de Strasbourg.
Ces dernières années, les engagements en faveur de l’ordination d’hommes mariés sont restés plutôt discrets. Quelques évêques se sont exprimés clairement de façon positive, dont les cardinaux Hollerich (Luxembourg) et Marx (Munich), l’épiscopat belge lors du synode romain de 2018, et en France les archevêques Christophe Dufour, d’Aix-et-Arles, et Pascal Wintzer, de Poitiers. Des évêques émérites ont également pris position dans le même sens, dont l’ancien archevêque de Strasbourg, Joseph Doré (en 2002). Mais l’épiscopat français actuellement en place se comporte comme un corps préfectoral, ne supportant pas les initiatives personnelles, incapable de passer à l’acte même lorsqu’il reconnaît le bien-fondé de certaines réformes utiles, même légères, comme de renoncer à ces titres pompeux et anachroniques de Mgr, Excellence, etc.
Qui en prendra l’initiative ?
Pourtant, une suggestion précise avait été faite il y a quelque temps, en ces termes : « Face à la diminution du nombre de prêtres, l’Église de France pourrait provoquer un concile national. » (P. Étienne Grieu président du Centre Sèvres-facultés jésuites de Paris, dans Le Monde de la Bible, 232, mars 2020, p. 73). Cette proposition va dans le sens du synode lancé par le pape François. Mais qui en prendra l’initiative ? Même si l’évolution de la discipline tarde, il y a pourtant lieu de la préparer dès à présent et de procéder par étapes, pour pouvoir présenter des candidats lorsque le temps sera venu. Pour cela, il faudrait déjà renforcer le diaconat permanent, puisque, pour accéder au ministère presbytéral, le passage par l’étape du diaconat est requis. L’expérience du diaconat permanent a déjà permis de baliser la route, par la mise en place de parcours de formation associant les épouses.
Les expériences les plus instructives sont celles menées en Amérique latine depuis le temps du concile Vatican II, malgré les réticences des milieux conservateurs, voire les oppositions d’instances supérieures. Il s’agit en particulier de l’émergence des communautés de base, qui se prennent en charge pour toute l’animation pastorale. Dans les diocèses français, les fondations ont déjà été posées dans bien des paroisses, à savoir la mise en place d’équipes d’animation pastorale et les célébrations dominicales de la Parole. Le départ avait été pris il y a déjà trente ou quarante ans, mais le mouvement a été stoppé en bien des endroits, les laïcs ont été découragés, il n’y a pas eu d’évaluation régulière, l’épiscopat a déconsidéré les célébrations dominicales de la Parole, demandant que les fidèles se déplacent vers les célébrations eucharistiques subsistantes, etc.
La dynamique des communautés locales
La mise en place de célébrations crée une dynamique dans les communautés locales, en permettant à celles-ci de se réunir de façon régulière, de former des équipes d’animation et de confier des responsabilités pastorales aux membres de ces équipes. Le moment venu et selon les besoins, on pourra, dans ces équipes, en appeler certains aux ministères pastoraux, diaconat puis presbytérat. Quant aux célébrations dominicales de la Parole, en en limitant la pratique, voire en les interdisant, au cours de ces trente dernières années, l’épiscopat français a privé de nombreuses communautés locales de l’accès à la Parole de Dieu et au Pain de vie. Pourtant, divers outils et documents sont mis à la disposition des assemblées locales pour leur permettre d’assurer de telles célébrations, en particulier les revues de pastorale liturgique, dont les Fiches dominicales et la revue Feu Nouveau. En outre, un livret comparable à un missel des fidèles est édité pour chaque année sous le titre Célébrons le dimanche [1]. J’en dirige la publication. Il propose, pour chaque dimanche et fête, l’ensemble d’une célébration de la Parole, avec les lectures, des introductions et des monitions, un commentaire de ces lectures, des prières d’action de grâce et de supplication. Le livre procure le texte de toutes les interventions nécessaires : pour l’assemblée, le diacre ou l’animateur/animatrice, les lecteurs (pour la prière universelle, par exemple). Ce livre n’est pas réservé à l’équipe d’animation, il propose à l’ensemble des participants des acclamations et des textes de prière à dire ensemble, d’une même voix. Tous peuvent l’avoir en main. Il s’agit de propositions qui permettent des adaptations et favorisent les initiatives des assemblées locales.
Note :
[1] Célébrons le dimanche, année A, Éditions du Signe, Strasbourg, www.editionsdusigne.frSource : https://www.golias-editions.fr/2022/11/24/pour-un-concile-national/
– Pour aller plus loin : 745. Golias Hebdo n° 745 (Fichier pdf)