Par John L. Allen Jr.
À la fin des années 1960 et dans les années 1970, les détracteurs de saint Paul VI l’ont surnommé le « pape Hamlet » en raison de ses prétendues tergiversations et de la façon dont il semblait être torturé devant des décisions difficiles. Que cette image du pontife soit juste ou non, elle est restée, à tel point qu’elle a été reprise dans les premiers paragraphes de nombreuses nécrologies papales.
Aujourd’hui, on se demande parfois pourquoi François, de manière similaire et opposée, n’a pas encore été qualifié par ses propres critiques de « Pape Lear », c’est-à-dire un dirigeant qui n’hésite pas à agir – qui, en fait, peut passer pour un peu téméraire ou impétueux, mais jamais indécis.
Le dernier « moment Lear » de François est survenu mardi, lorsque le Vatican a annoncé qu’il avait quasiment mis l’organisation caritative catholique mondiale Caritas sous séquestre. Il a licencié toute l’équipe dirigeante et a nommé son propre administrateur provisoire, le consultant italien en organisation Pier Francesco Pinelli, qui dirigera les choses avant la prochaine assemblée générale de Caritas prévue en mai 2023.
Les changements ont surpris même la plupart des membres de Caritas, qui étaient réunis à Rome pour leur première réunion en personne depuis le début de la pandémie de Covid en 2019. Un point de presse réunissant les dirigeants de Caritas de diverses régions du monde a été organisé mardi matin sans aucune mention du décret papal imminent, qui a été publié juste au moment où le point de presse se terminait.
Caritas, dont le siège est au Vatican, est une fédération d’organisations caritatives catholiques qui opèrent dans plus de 200 pays. En 2020, elle a déclaré des revenus de 5,2 millions de dollars et des dépenses de 4,5 millions de dollars, bien qu’il s’agisse uniquement du budget de Rome et qu’il ne reflète pas les revenus et les dépenses de ses différents membres.
Aucune explication réelle n’a été donnée pour la prise de contrôle abrupte par le pape, si ce n’est une sorte de via negativa – c’est-à-dire que nous savons ce que les raisons n’étaient pas, puisqu’une déclaration du Vatican a dit qu’il n’y avait aucune preuve d’inconvenance financière ou sexuelle.
(Il est révélateur de l’Église catholique en 2022 que si quelqu’un est licencié, vous devez dire à haute voix que ce n’était pas à cause de l’argent ou du sexe – parce que si vous ne le faites pas, tout le monde va supposer que l’une de ces deux choses devait être la raison.)
Au-delà de l’exclusion de ces deux facteurs, la déclaration dit simplement qu’un examen interne a révélé de « réelles lacunes » dans la gestion, ce qui a porté atteinte à « l’esprit d’équipe et au moral du personnel ».
De nombreux observateurs ont tendance à croire que les problèmes, du moins en partie, étaient centrés sur le secrétaire général évincé de Caritas, c’est-à-dire son PDG au jour le jour, un laïc indien ayant la citoyenneté française nommé Aloysius John.
John est arrivé au pouvoir en 2019 après que d’autres candidats au poste de direction se soient retirés, et les rumeurs suggèrent des accusations de leadership autoritaire et de gestion suspecte sous son contrôle. Vatican News, la plateforme d’information officielle du Vatican, donne un signe possible d’un mécontentement, en rapportant que lorsque le cardinal Luis Antonio Tagle a lu le décret à haute voix aux membres de Caritas, il a été accueilli par des applaudissements.
En ce qui concerne le cardinal Tagle, sa réputation risque d’être quelque peu entachée par ce bouleversement. Il est le président élu de Caritas depuis 2015 et a été réélu en 2019, ce qui signifie que les défaillances internes qui ont conduit à cette décision se sont produites sous sa surveillance. Tagle a lui aussi perdu son poste à la suite du décret, mais il continuera à assurer la liaison entre les membres de Caritas pendant l’administration provisoire.
Tagle a été un allié et un loyaliste clé de François, et le fait que le pape ait été prêt à lui permettre de sombrer avec le navire, pour ainsi dire, est une mesure de l’importance que François accorde à l’enjeu.
Il convient de noter que ce n’est pas la première fois, de mémoire récente, que le Vatican impose un changement au sommet de Caritas.
Il y a onze ans, la Secrétairerie d’État a bloqué la reconduction de la laïque britannique Lesley-Anne Knight au poste de secrétaire générale, en partie à cause de plaintes selon lesquelles elle n’était pas suffisamment sensible aux préoccupations du pape Benoît XVI selon lesquelles les activités caritatives catholiques ne devraient pas s’associer à des organisations promouvant des activités contraires à l’enseignement de l’Église, comme le recours à la contraception.
Ironiquement, le grand perdant de cette épreuve de force avait été le cardinal hondurien Oscar Rodriguez Maradiaga, qui avait plaidé auprès de son confrère salésien, le cardinal Tarcisio Bertone, alors secrétaire d’État, en faveur de Mme Knight, mais en vain. Sous François, bien sûr, Maradiaga est devenu un membre essentiel du cercle restreint du pontife.
Il y a dix ans, les tensions autour de Knight ont conduit à l’adoption d’un nouvel ensemble de statuts clarifiant le rôle de supervision du Vatican à l’égard de Caritas, en soulignant notamment l’autorité de la Secrétairerie d’État.
Aujourd’hui, les questions en jeu semblent moins relever de la doctrine que de la gestion.
Pourtant, les bouleversements survenus sous Benoît et maintenant sous François ont une chose en commun : tous deux rappellent que, même si le personnel de Caritas évolue dans des cercles très différents de ceux des fonctionnaires du Vatican et que le flux de travail quotidien de Caritas peut favoriser un sentiment d’autonomie, l’organisation est toujours sous l’autorité du papa.
L’histoire récente nous montre que les papes trouveront toujours, par tous les moyens, la façon de faire respecter cette autorité.