Par Pascal Janin
Abus sexuel, abus de pouvoir, de conscience. Et s’il nous arrivait d’abuser de Dieu ? Autrement dit, utiliser Dieu comme un objet, une idole, pour jouir de la vie et justifier notre comportement en faisant du christianisme une religion de confort, en le rendant compatible avec le monde tel que nous le concevons, en oubliant que Dieu est l’indicible, au-delà de tout ce que nous pouvons (en) dire ou (en) imaginer.
Que célébrons-nous à Noël si ce n’est un dieu qui se fait silence ? Le Verbe, certes, se fait chair, mais comme un enfant, un être qui ne parle pas et qui, par sa naissance silencieuse, fait pourtant advenir une nouvelle fraternité. Un Dieu qui s’exile de son Ciel pour partager notre Terre et la faire cheminer vers un au-delà d’elle-même. Pas un ailleurs, un arrière-monde, puisque c’est dans ce monde que « ça » se passe. Le monde tel qu’il est. L’humain tel qu’il est, « nomade », « balloté dans toutes les directions », refusant parfois toute idée de transcendance ou de religion, érigeant parfois des lois prétendument divines en idoles. Une Terre qui crie avec les pauvres la douleur de l’injustice, mais qui abreuve aussi les artisans de paix.
L’image de l’homme nomade vient de Karl Rahner. Une des traductions du Prologue de Jean révèle que « Dieu a planté sa tente parmi nous ». Il pérégrine avec nous, en nous, et nous sommes invités à le suivre dans la Diaspora du monde. Vous vous souvenez que dès le départ, dans le récit des Évangiles, la famille de Jésus ne trouve pas de place et que très vite, elle devra se réfugier en Égypte. Quoi qu’il en soit de l’historicité de ces événements, ils nous disent la manière dont Dieu vient au monde et ce qu’il attend de nous. Le théologien allemand peut nous aider à percevoir ce que signifie la Diaspora pour l’Église, qui n’est pas au-dessus de son maître et qui devra marcher derrière Lui, comme lui. Mais n’en restons pas à des idées, fussent-elles pertinentes. Nous vous proposons de descendre au cœur du drame humain. Non pas en Égypte, mais au Sahel avec Pier Luigi Maccalli, missionnaire italien otage des djihadistes durant deux ans. Son expérience rejoint les analyses de Rahner sur l’hostilité du monde dans lequel nous devons pourtant, espérant contre toute espérance, témoigner de l’amour. La situation dans laquelle se trouve le disciple le conduit à revisiter tous ses discours sur Dieu pour recueillir d’abord les souffrances et les espérances de ses frères, pour leur partager celles de Dieu telles qu’il les perçoit dans la chair de l’advenu du Verbe-Enfant, l’oxymore disant bien l’illusion de prétendre réduire la Bonne Nouvelle à un déjà-connu, à un déjà-dit.
Et si nous nous laissions émerveiller et bousculer par l’imprévu d’une venue qui nous déroute ? « Changez de mentalité, car le Royaume de Dieu s’est approché », dira Jean le Baptiste ! Il s’agit d’abuser de Dieu, non comme d’un objet de dérision, tel qu’il se montre sur la croix, mais de le consommer sans modération comme il nous y invite lors de chaque eucharistie. Pier Luigi n’avait ni pain ni vin pour célébrer. Il disait simplement : « Ceci est mon corps donné. Ceci est mon cœur brisé. Je n’ai rien d’autre à t’offrir, Seigneur. » Nous voilà, Dieu merci, au-delà des querelles de rites, au cœur même de notre foi. C’est ainsi qu’à Noël, Dieu se donne. Il se fait chair pour que notre chair devienne son corps. Beau Noël.
Source : https://www.golias-editions.fr/2022/12/22/un-dieu-en-diaspora/