Et si certains préféraient « autre chose » à la messe !
Par René Poujol
Rouvrir au plus vite les églises au culte c’est aussi conjurer une possible nouvelle hémorragie de fidèles.
Le 26 avril, sur son compte Facebook, le philosophe Denis Moreau dont j’avais salué le livre Comment peut-on être catholique [1] paru en 2018, publiait une étrange confession [2]. Je cite : « Depuis le début de ce confinement, le simple fidèle que je suis ne peut plus, comme tout le monde, assister à la messe dominicale. Moi qui n’ai jamais raté la messe du dimanche depuis plus de 30 ans. Mais, honnêtement, je dois bien avouer que ne pas pouvoir assister à la messe en vrai et communier ne me manque pas tant que ça. » Soyons honnêtes, il admet dans la suite de son propos devoir à l’avenir apprendre « à désirer et aimer un peu plus la messe dominicale. » Mais c’est pour mieux souligner combien il lui semble essentiel que l’Église sache tirer toutes les conséquences de ce que nombre de catholiques viennent de vivre durant ces semaines de confinement. Je pense, pour ma part, qu’il y a dans cet aveu l’une des raisons du malaise de nombreux prêtres et évêques et partant, des explications de leur empressement à vouloir rapidement renouer avec le culte public. Avant que trop de fidèles ne se laissent gagner par l’idée de possibles alternatives spirituelles…
Désamorçons, dès l’abord, quelques pétards. Oui, je reconnais sans peine qu’un jeûne eucharistique prolongé sur presque trois mois a représenté, pour de très nombreux catholiques, comme pour leurs prêtres, dont certains se sont exprimés collectivement pour une reprise rapide des cultes, une profonde et sincère souffrance. Non, je ne conteste ni ne relativise la place centrale de l’Eucharistie comme « source et sommet » de la vie chrétienne. Même si j’observe que dans la longue histoire de l’Église sa « pratique » a pu connaître des fréquences extrêmement variées et n’a jamais constitué le tout de la vie spirituelle des baptisés. L’obligation de la messe dominicale est un commandement de l’Église, pas un commandement divin ! Et comment ne pas entendre ici l’alarme du grand théologien Bernard Sesboué ? « Il n’y a rien de plus triste que de constater qu’une norme ecclésiale a été jugée caduque par un grand nombre de fidèles qui, tout en voulant rester des catholiques pratiquants, ont repris leur liberté à son égard. » [3]
La messe dominicale est pour beaucoup l’expérience de l’ennui
La baisse – pour ne pas dire l’effondrement – de la pratique en ce qui concerne la messe dominicale, dans notre pays, n’est plus à démontrer. Je suis frappé du nombre de jeunes catholiques, pourtant croyants qui reconnaissent, en privé, s’ennuyer à la messe et n’y aller parfois que par devoir. Pour combien de temps encore ? Ils valident en cela l’analyse développée, sur le sujet, par Jean-Louis Schlegel dans la revue Études d’octobre 2019. Ce qui donne, par ailleurs, un relief singulier à cette réflexion d’Eugène Drewermann (elle remonte à 1992) : « Tout culte qui appelle des explications parce qu’il n’est pas spontanément compris, est frappé de vieillesse et va au-devant de la mort. » [4] Rude ! Et pourtant, combien de prêtres, de responsables diocésains se heurtent aujourd’hui à cette évidence : l’incompréhension de nombreux fidèles pour ce qui constitue la liturgie eucharistique. « Pourquoi donc continuons-nous à parler comme si nous étions compris et entendus ? » questionnait le jésuite Luc Pareydt dans un propos qui pourrait valoir aussi pour le culte [5]. Par comparaison, beaucoup en viennent aujourd’hui à se demander s’il n’y aurait pas là l’une des clés de compréhension du succès des assemblées d’autres communautés chrétiennes.
Confinement : une efflorescence de pratiques spirituelles parfois nouvelles
Les semaines de confinement que nous venons de vivre ont été marquées, pour bien des catholiques, par une efflorescence de pratiques spirituelles, parfois nouvelles au niveau de leur vie : prière personnelle, redécouverte des Écritures et notamment des Évangiles, liturgies familiales, participation à des réseaux « spis » via internet, création de communautés « virtuelles » même éphémères, suivi de messes à la télévision, sur internet ou les réseaux sociaux, liens multiples non exclusivement liturgiques maintenus avec les prêtres ou diacres de la paroisse, réflexions partagées sur « l’après »… De quoi nourrir, chez certains, l’envie de prolonger ou approfondir, à l’avenir, des expériences qui se sont avérées riches de sens.
Au point d’en délaisser demain la messe dominicale ? Pas forcément, mais peut-être de comprendre, de sentir au plus profond d’eux-mêmes, que le « manque » éprouvé était d’abord de nature communautaire avant que d’être sacramentel au sens classique du terme. De quoi nourrir bien des interrogations – redoutables – dans les diocèses où la baisse drastique du clergé est pour demain. Mais pourquoi pas aussi esquisser des pistes de rebond ?
La mobilisation des évêques pour une réouverture des églises au culte avant le 2 juin a pour motif premier l’attente des fidèles et des prêtres. Et aussi le désir légitime, après le « creux » pascal, de pouvoir célébrer dignement la Pentecôte, quarante-huit heures seulement avant la date « barrière » fixée par le gouvernement. Mais je me risque volontiers à formuler l’hypothèse que la crainte ait pu jouer aussi – consciemment ou non – de voir un certain nombre de fidèles ne pas reprendre aussi spontanément le chemin des messes dominicales, après douze semaines de confinement et d’expériences spirituelles parfois riches, ouvrant sur d’autres horizons.
Imaginer ensemble ce que sera l’Église d’après
C’est bien pourquoi la réouverture des églises au culte ne pourra, en aucune manière – même si cela correspond au désir de certains – sonner le simple retour aux « pratiques d’avant », à la sainte Tradition. L’ébranlement a été trop fort ! Les expériences vécues trop questionnantes. Écoutons encore Denis Moreau : « Je me demande si, pour l’Église catholique de France, ce confinement n’est pas une bonne occasion de réaliser la mutation à laquelle elle ne coupera pas, mais devant laquelle elle recule, ou refuse l’obstacle, depuis pas mal de temps. Ce confinement nous force en quelque sorte à imaginer ce que sera l’Église d’après, celle qui devra apprendre à vivre avec peu de prêtres, moins d’eucharisties, des sacrements moins accessibles et plus rarement dispensés. Et à ma grande surprise, moi qui suis plutôt pessimiste par nature, je trouve que ce qui est en train de se passer dans l’Église de France donne plutôt des raisons d’espérer. »
C’est en ce sens que mon billet précédent était titré « Déconfiner les églises ou déconfiner l’Église ? » [6] Peut-être nos évêques et nos prêtres pourraient-ils dès le 2 juin, au lendemain de la Pentecôte, nous inviter à en débattre !
Notes :
[1] Denis Moreau, Comment peut-on être catholique ? Ed. du Seuil 2018, 370 p.
[21] Ceux qui n’auraient pas accès à Facebook, trouveront le témoignage de Denis Moreau parmi les commentaires qui suivent le billet « Déconfiner les églises ou déconfiner l’Église ? » où je le publie avec son accord.
[3] Bernard Sesboué, Le magistère à l’épreuve, Ed. DDB, 2001.
[4] Eugen Drewermann, De la naissance des dieux à la naissance du Christ,
[5] Luc Pareydt, La peur de la séduction, Cahiers pour croire.
[6] http://www.renepoujol.fr/deconfiner-les-eglises-ou-deconfiner-leglise/ voir aussi https://nsae.fr/2020/04/30/deconfiner-les-eglises-ou-deconfiner-leglise/
Source : http://www.renepoujol.fr/et-si-certains-preferaient-autre-chose-a-la-messe/