L’avenir de l’Évangile et la préférence pour les pauvres
Michel Gigand, Jean-Marie Peynard, José Reis (Équipe des prêtres-ouvriers de Caen)
La passion pour le message évangélique annoncé par les adeptes de la Voie, c’est-à-dire par celles et ceux qui ont vécu en compagnonnage avec Jésus ou qui en étaient très proches, cette passion qui est la nôtre, nous fait mettre ici l’accent sur le choix fondamental du message, la préférence pour les pauvres. Cette conviction anime nos vies.
1- L’Évangile, une bonne nouvelle pour les pauvres.
Le plus simple pour se rendre compte de l’importance des pauvres, des petits, des moins que rien dans le message des adeptes de la Voie, c’est de se plonger dans les textes d’évangiles. Prenons, parmi les quatre évangiles, celui de Luc.
Rapidement Luc annonce la couleur dans la synagogue de Nazara où il fait reprendre par Jésus un passage du prophète Esaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur ». « Aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez ». (4,18-19 et 21)
La liste des personnes libérées de leurs maux, que Luc va nous présenter, est longue et elle est à lire en leur temps, avec leur compréhension du monde. C’est un homme « qui avait un esprit de démon impur » (4,33) ; et puis ce sont « tous ceux qui avaient des malades de toutes sortes » (4,40) ; ensuite « un homme couvert de lèpre » (5,12) ; après c’est « un homme qui était paralysé » (5,18) ; et encore « un homme dont la main droite était paralysée » (6,6) ; plus loin « un centurion avait un esclave malade » (7,2) ; là « on portait tout juste en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve » (7,12) ; après c’est « une femme de la ville qui était pécheresse » (7,37) ; plus loin c’est « un homme de la ville qui avait des démons » (8,27) ; et un chef de la synagogue « parce qu’il avait une fille unique, d’environ douze ans, qui était mourante » (8,42) ; et « une femme qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans » (8,43) ; plus loin à nouveau c’est le père d’un enfant unique à qui « il arrive qu’un esprit s’empare de lui » (9,39) ; et « une femme possédée d’un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans » (13,11) ; plus loin toujours « un hydropique se trouvait devant lui » (14,2) ; et aussi « À son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre ». (17,12) ; et proche de Jéricho « un aveugle était assis au bord du chemin » (18,35)…
Le message des Béatitudes est sans ambiguïté, ce sont en premier les pauvres qui sont cités : « Heureux vous les pauvres… » (6,20)… C’est impressionnant de lire aussi cette phrase : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits » (10,21)… Marquante aussi celle-ci : « Ce n’est pas du fait qu’un homme est riche qu’il a sa vie garantie par ses biens » (12,15)…
Stupéfiant cet intérêt permanent pour les pauvres : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, sinon eux aussi t’inviteront en retour, et cela te sera rendu. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, et tu seras heureux parce qu’ils n’ont pas de quoi te rendre… » (14,12-13)… Étonnante également la parabole des invités remplacés par les pauvres (14, 15-24)… « Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ». (15,2)… Terrible ce message : « Il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ». (18,25)… Et coup de chapeau à l’obole d’une pauvre veuve : « Cette veuve pauvre a mis plus que tous les autres ». (21,3)…
Le métier de ceux qui vont faire équipe avec Jésus est éclairant, ce sont des pêcheurs… Et Luc dit : « Quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple ». (14,33)… « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ». (16,13)…
2- Pourquoi cette préférence pour les pauvres ?
Écoutons ce qu’a écrit un exégète : « C’est évident que Jésus poursuit les mêmes rêves que les petites gens. Il ne se tourne pas vers les riches et les puissants. Qu’est-ce qu’il veut donc ? Ces petites gens sont des gens qui courbent l’échine, il veut les voir se redresser… Il leur donne conscience que leur vie a de la valeur ». (Gerd Theissen L’ombre du Galiléen)
Dans cette partie du Moyen-Orient du premier siècle sous domination du pouvoir romain, sous celle aussi des autorités de la religion juive, et dans un contexte d’inégalités criantes avec une grande masse de pauvres, le choix d’humanisation de leur monde, annoncé par Jésus et les siens, semble fort logique et pourtant si compliqué à mettre en œuvre.
3- Aujourd’hui encore le pouvoir de l’argent domine…
Vingt siècles plus tard, l’immense majorité de la population du monde vit dans la dépendance d’un système appelé système capitaliste. Pour les partisans de ce système, il s’agit de toujours faire le maximum de profits, mais le capitalisme financier d’aujourd’hui est encore plus cruel envers les gens qu’il exploite que ne l’était le capitalisme paternaliste ou le capitalisme de propriété individuelle. L’évolution la plus difficile à combattre, c’est lorsqu’une entreprise est propriété de fonds de pension à l’échelle mondiale. Combien de licenciements dits « boursiers » exigés par les actionnaires pour augmenter leur taux de profit ?
Le capitalisme financier, c’est donc toujours plus de profits sans se soucier des conséquences pour le peuple. Il crée une ambiance de précarisation de la société pour imposer sa domination.
4- L’avenir de l’Évangile, une chance pour les pauvres et pour transformer le monde…
En face d’un monde dominé par le pouvoir de l’argent, ce message fondamental de préférence pour les pauvres aujourd’hui victimes de la structure d’exploitation qu’est le capitalisme devrait être dit et redit, mis en pratique par toutes celles et tous ceux qui s’affirment chrétiens.
Hélas ! Ce n’est malheureusement pas ce que nous constatons dans les pratiques concrètes de la très grande majorité des chrétiens et de leurs responsables… Même dans la religion catholique, c’est effarant de voir toutes les personnes qui soutiennent le capitalisme… Pas étonnant alors pour celles et ceux qui le combattent de trouver si peu de chrétiens… Ils sont de l’autre bord… Mais comment ne voient-ils pas qu’ils portent un témoignage anti-évangélique ?
Il faut dire que la hiérarchie catholique va régulièrement dans leur sens, allant même, aux élections qui viennent de se dérouler, jusqu’à ne pas dénoncer l’extrême droite aux positions franchement opposées à celles de l’Évangile…
Qu’à cela ne tienne, nous tiendrons bon et ne cesserons de dire que l’avenir de l’Évangile est étroitement associé à la préférence pour les pauvres et à une transformation du monde. Et nous aurons besoin de rester ferme sur ce message vu les évolutions inévitables qui vont découler du réchauffement climatique… Les pauvres auront bien besoin d’être soutenus.