Une petite colère de temps en temps
Michel Deheunynck.
Et bien comme on dit, nous voilà habillés pour l’hiver ! À en croire ce réquisitoire impitoyable, nous serions tous condamnés à perpétuité. Tous ! Car, qui d’entre nous n’a jamais eu la moindre pensée impure ? Qui d’entre nous n’a jamais piqué une petite colère ? Surtout qu’une petite colère de temps en temps, c’est quand même sûrement un peu mieux que bien des rancunes inutiles qui durent parfois des années… D’ailleurs, il y aurait déjà de quoi se mettre en colère en recevant ces claques que Jésus vient de nous envoyer en pleine figure. Parce que, quand même, si nous on est venus ici ce matin, c’était pour le célébrer, le chanter, lui dire qu’on l’aime. Et le voilà qui vient nous faire un rappel au règlement, et, en en rajoutant une couche de plus à chaque article du règlement. On ne comprend pas parce que, d’habitude, il nous fait comprendre ce qu’il a à nous dire de façon quand même plus sympa ! Avec de belles paraboles, par exemple…
Et puis, on aurait presque envie de lui dire : Jésus, un grand transgresseur comme toi, tu viens nous faire la leçon ! Toi, tu t’es bien fichu de la règle du sabbat et de tous les rituels de purification. Tu as mangé avec les pécheurs. Tu as parlé avec délicatesse et émotion à la samaritaine avec tous ses mecs. Tu as remis tous les bien-pensants à leur place devant la femme adultère ; et les bons croyants à la leur devant les publicains. Et pour ce qui est de la colère, parlons-en : tu n’y as pas été par 4 chemins avec les vendeurs du Temple et tu n’as pas pris de gants pour les ficher dehors. Ah ! Tu étais dans un bel état ce jour-là !
Alors Jésus, Toi notre ami, Toi notre frère, cool ! Laisse donc les articles du code aux scribes et aux pharisiens coincés ! Même aujourd’hui, il y en a qui savent encore se faire entendre ! Eux, ils n’ont pas besoin de toi pour ça ! Mais, toi, tu n’es pas le garde champêtre de Dieu. Tu n’es pas le procureur de Dieu. Tu n’es pas l’huissier de justice de Dieu. Tu es son Fils, le fils du Dieu d’Amour. Alors Jésus, toi notre ami, toi, notre frère, cool ! Voilà ce qu’on aurait envie de lui dire, à Jésus. Et ça va quand même mieux en le disant !
Ceci dit, on ne peut pas en rester là. Quand Jésus dit qu’Il est venu « accomplir » la loi, on sait bien, comme on le connait, que ce n’est pas pour obéir aux règles morales et rituelles de cette loi. Mais plutôt lui donner un sens, pour la dépasser. Parce qu’il faut voir le milieu religieux auquel il s’est trouvé confronté : des gens peut-être de très grande foi, mais embourbés dans des attitudes rigides et formalistes, comme on en voit encore certains aujourd’hui. Alors Jésus leur dit : Non, là, vous n’y êtes pas. D’abord, le conformisme, c’est un peu trop facile… ça évite d’avoir des idées, des initiatives, de l’imagination. Non, être fidèle à la tradition, ça ne veut pas dire, répéter des habitudes, même si c’est des bonnes habitudes… Être fidèles à la tradition, ça veut dire lui donner de la vie, la faire évoluer, lui apporter du neuf. Et c’est vrai que ça, c’est quand même beaucoup plus beau ! C’est là-dessus que Dieu nous attend.
Alors, on peut quand même dire merci à Jésus d’être venu nous le rappeler et en nous montrant comment il accomplit la loi en la sublimant. Parce que ce qui compte pour lui, ce ne sont plus nos comportements réglementés extérieurs, mais ce qu’il y a au plus profond de nous, notre conscience, comme on dit, ou simplement notre bon sens, notre authenticité avec nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu. La voilà, la nouvelle alliance, la nouvelle convention collective entre Dieu et nous. Jésus l’a signée et nous pouvons être fiers d’avoir un délégué comme Lui.
Une alliance où Dieu compte sur chacune de nos sensibilités. Quelle chance pour notre Église si elle ose signer cette nouvelle alliance aujourd’hui plutôt que de vouloir nous ranger tous bien alignés dans des conduites normatives. En Jésus, Dieu croit que chacune et chacun de nous peut donner du sens à sa vie, aussi tordue soit-elle parfois, cette vie. Quand les rapports humains passent avant les convenances sociales ou les conformismes religieux. Et que le seul commandement, le seul, ne relève pas d’un code de bonne conduite, mais de notre cœur « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, les autres et toi-même ! ».
Tout cela valait bien quand même quelques petites colères en lisant cet Évangile…
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ? (Éditions Temps Présent)