Inde : le pape reçoit un évêque accusé de viol
Régine et Guy Ringwald.
Photo à l’appui, l’agence de presse PTI [1] annonçait, le 14 février, que l’évêque Franco Mulakkal avait été reçu le 8 par le pape François. La dépêche a été immédiatement reprise par plusieurs médias indiens. Mulakkal a été acquitté en première instance, en janvier 2022, des accusations de viol sur une religieuse par un tribunal de Kottayam (Kerala). Acquittement qui avait provoqué une vague d’indignation, dont Golias avait rapporté les circonstances et les conséquences pour les religieuses [2]. Il faut cependant noter que l’Église catholique jouit d’un grand prestige au Kerala, et que les fidèles « légitimistes » se réjouissent que l’évêque ait gagné, pensant ainsi sauver l’image de l’Église.
Les soutiens de la victime, violée 13 fois par l’évêque, notamment « Sisters in Solidarity » et NCW (National Commission for Women) avaient manifesté leur indignation tant la condamnation aurait dû être évidente. L’officier de police considérait que le dossier monté par l’enquête était inattaquable. Un ancien juge de la Haute Cour de Bombay, Michael Francis Saldanha s’était exprimé à la télévision : « C’est une erreur judiciaire et c’est intolérable. (…) Dans mon esprit, l’acquittement était impossible ». Rappelons encore que les hautes sphères du Vatican et le pape lui-même avaient été alertés sur les faits par plusieurs lettres.
Mais tout rentre dans l’ordre, Mulakkal triomphe : « Le pape était heureux de me voir, il était content d’entendre que nous avions gagné le procès et Il m’a consolé de ma souffrance en m’encourageant à la joindre à celle du Seigneur ». Notons au passage que, dans un entretien téléphonique peu avouable dont nous nous étions fait l’écho récemment [3], le cardinal Gracias, président de la Conférence des évêques d’Inde, s’était incidemment vanté d’être d’intervenu en soutien à Mulakkal.
L’inquiétude des religieuses
Dans le communiqué de presse de PTI, Mulakkal est interrogé sur son éventuelle réinstallation. Il botte en touche, renvoyant la question au Vatican. En effet, quand il a été trainé en justice, l’évêque avait été suspendu de sa charge. La réponse qui sera donnée à cette question inquiète les soutiens à la victime. Interrogées par Golias-Hebdo, Virginia Saldanha, théologienne, membre de « Sisters in Solidarity » et Secrétaire de l’Indian Women Theologians Forum [4] et Kochurani Abraham, théologienne féministe et ancienne coordinatrice de l’« Indian Christian Women’s Movement for Kerala [5]», ancienne Vice-présidente de l’« Indian Theological Association [6] » nous expriment leur inquiétude. Pour Virginia Saldanha : « le plus important est que Mulakkal ne peut pas dire qu’il a eu gain de cause, car la victime a fait appel, et tant qu’elle n’a pas épuisé les voies de recours, jusqu’à la Cour Suprême, Mulakkal ne peut pas se prévaloir d’avoir eu gain de cause et être libéré des allégations du crime de viol ». Elle ajoute : « Le pape François se soucie-t-il de la religieuse victime ? Il a manifesté sa sympathie à Mulakkal, a-t-il jamais parlé ou communiqué avec la victime ? » Kochurani Abraham insiste sur le fait que « Mulakkal ne devrait pas être réinstallé en tant qu’évêque, et surtout pas à Jalandhar, car cela voudrait dire qu’il continuerait à être le patron de la congrégation à laquelle appartient la victime, et ce serait un vrai désastre ».
Le groupe « Sisters in Solidarity » (SIS) a écrit au pape, en date du 21 février. Copie de la lettre -signée de vingt membres de SIS de tout le pays- est adressée aux responsables des dicastères concernés et à ceux de l’Église catholique en Inde. Citant l’expression de la dépêche, selon laquelle François était heureux que la cause ait été gagnée, SIS attire son attention sur le fait que bien que l’évêque ait été acquitté en première instance, la victime et aussi l’état du Kerala ont fait appel, et que tant que les voies de recours n’auront pas été épuisées, Mulakkal ne peut se prévaloir d’être libéré des accusations qui pèsent sur lui. Puis, elles parlent de leur souffrance : « Cher Pape François, alors que vous “l’avez consolé de sa souffrance”, nous sommes tristes que vous n’ayez pas reconnu la douleur et le traumatisme de la sœur, et de ceux qui l’ont soutenue au cours des quatre dernières années. Bien qu’elle ait écrit à tous les responsables ecclésiastiques auxquels elle pouvait s’adresser en Inde et au Vatican, y compris vous-même, jusqu’à ce jour, personne ne s’est soucié de lui tendre la main. Elle et ses soutiens continuent de souffrir d’être ostracisées par les autorités de leur congrégation et les tentatives répétées de les transférer [7], ce que nous considérons comme des tentatives inhumaines pour briser la religieuse victime, en détruisant son réseau de soutien ».
Les Sisters in Solidarity invitent le Saint-Siège à attendre le jugement avant de réinvestir l’évêque de nouvelles responsabilités.
Qui lira cette lettre ? Une nouvelle fois, indignons-nous que la cause des religieuses abusées soit à ce point ignorée. Que valent les grandes envolées sur le dévouement des religieuses si elles sont à ce point méprisées ?
Notes :
[1] PTI, Press Trust of India, est la plus grande agence de presse en Inde, correspondante des grandes agences internationales
[2] Golias Hebdo n° 707 (10-16 février 2022)
[3] Golias Hebdo n° 753 (26 janv-2 fev 2023)
[4] Forum Indien des femmes théologiennes
[5] Mouvement des femmes Chrétiennes pour le Kerala
[6] Association indienne de théologie
[7] Les sœurs qui soutiennent la victime sont l’objet d’une mesure d’éloignement dans une autre communauté, ce qu’elles refusent. Elles veulent rester auprès de la victime pour protéger sa sécurité. Mais elles sont ostracisées, c’est la loi du silence, et privées de toute activité : pour elles, la pire des punitions. Golias-Hebdo n° 589 (5-11 septembre 2019)
Source : Golias Hebdo n° 759, p. 16.
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