Benoit XVI
Philippe Liesse.
Suite au décès de Benoît XVI [1], il y a eu des mots, beaucoup de mots, de la part de différents chefs d’État, entre autres. Certains ont assisté aux funérailles, par devoir [2], par sympathie, voire par conviction !
La majorité des commentaires ont souligné le travail intellectuel du défunt ! C’est Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République française, qui a sans doute le mieux résumé les sentiments politiquement corrects : « Cet immense théologien, dont la pensée et les écrits irrigueront pour longtemps la vie de l’Église, aura aussi porté avec une abnégation infinie les crises qui ont secoué l’Église catholique à l’heure de son pontificat, mais dont les racines étaient malheureusement bien plus anciennes. »
Mais, en sortant de ce « politiquement correct » et en nous mettant à l’écoute de certains échos en provenance d’Amérique latine, nous entendons retentir d’autres sons de cloche ! Le nom de Benoît XVI reste associé à la vitesse « en arrière toute » !
En 1968, la deuxième conférence générale de l’épiscopat latino-américain se réunit à Medellín. À cette occasion, un jeune théologien péruvien présente un dossier sur la « théologie du développement ». Il y est souligné que le continent est victime du néocolonialisme, de l’impérialisme international de l’argent, et du colonialisme interne. Cette situation demande des transformations audacieuses, urgentes et rénovatrices [3].
C’est le début de la théologie de la libération. Au nom de l’Évangile, il y est question d’un péché collectif et structurel, à savoir une organisation sociétale et économique qui est responsable de la souffrance, de la pauvreté et de la mort.
Plusieurs prêtres et religieux vont s’engager politiquement dans la défense des plus démunis. Les évêques conservateurs vont commencer à déchanter et ils en viendront vite à dénoncer une infiltration marxiste de l’Église. Les théologiens de la libération refuseront cette théorie de l’infiltration en affirmant qu’ils ne font qu’utiliser les concepts marxistes qui font sens pour eux, à savoir la foi dans le peuple comme artisan de son histoire, certains éléments d’analyse socio-économique, le fonctionnement de l’idéologie dominante et la réalité du conflit social [4].
Le Vatican monte sur le ring pour venir soutenir les évêques de l’aile conservatrice. Si certains évêques confirment le choix prioritaire des pauvres, le pape Jean-Paul II, fervent anticommuniste, lira toujours les événements de manière réductrice, et en 1981, il va appeler à Rome un théologien allemand, le cardinal Ratzinger, qui deviendra préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce dernier va apporter son appui inconditionnel à Alfonso López Trujillo, président du Conseil épiscopal latino-américain.
En 1983, Ratzinger pourfend la théologie de la libération en ces termes : La théologie de la libération fait apparaître clairement un danger fondamental pour la foi de l’Église. [5] Il continue : « Le monde en vient à être interprété à la lumière du schéma de la lutte des classes. […] Le “peuple” devient un concept opposé à celui de “hiérarchie” et antithétique à toutes les institutions qualifiées de force d’oppressions. »
Il ouvrira un procès contre Gustavo Guttiérez, l’obligeant à revoir son travail. Un peu plus tard, il s’en prendra au franciscain brésilien Leonardo Boff [6]. Celui-ci se verra interdit d’enseignement. [7]
En tout état de cause, il se fera le champion de la destruction des acquis de Medellín. En 2005, alors qu’il est devenu pape, il reçoit des évêques brésiliens et évoque la théologie de la libération : « Les séquelles plus ou moins visibles de ce comportement, caractérisées par la rébellion, la division, le désaccord, l’offense et l’anarchie, perdurent encore, produisant dans vos communautés diocésaines une grande souffrance et une grave perte des forces vives. » [8]
Alors, la théologie de Benoît XVI va-t-elle irriguer, selon Nicolas Sarkozy, ou irriter ? Et nous pousser à travailler encore et toujours à l’avènement d’un autre visage d’Église et de Société ?
Notes :
[1] 31 décembre 2022
[2] Le pape est le chef d’État du Vatican.
[3] Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, L’Église dans la transformation actuelle de l’Amérique latine à la lumière du concile Vatican II, Paris, Cerf, 1992
[4] Théologie de la libération. Pourquoi cette méfiance ? Études n° 3851-2, Paris, 1996.
[5] DIAL. Diffusion de l’information sur l’Amérique latine. D930, Paris, 1984.
[6] Leonardo BOFF, Église, charisme et pouvoir, Paris, Lieu commun, 1985.
[7] En 1992, Leonatdo Boff demandera son retour à l’état laïc.
[8] Vatican Information Service, Rome, 2009.
Source : Revue commune du Réseau PAVÉS n°74 (http://www.paves-reseau.be/)