Le diocèse virtuel de Jacques Gaillot
Jesús Martínez Gordo.
Cela peut sembler un truisme, mais il est bon de rappeler que la foi est tout ensemble une adhésion personnelle et une incorporation à une communauté, dans notre cas, celle des disciples de Jésus de Nazareth.
La clé de cette double référence complémentaire est, bien sûr, la relation personnelle avec le Crucifié ressuscité dans ses médiations, transparences, traces ou présences de toutes sortes (entre autres, cosmiques, protobiologiques, anthropologiques, liturgiques, scripturaires et, bien sûr, historiques). Et, en même temps, l’interaction avec d’autres personnes qui, participant à une relation similaire, forment le groupe de ses disciples, l’« ecclesia ».
Lorsque je me suis penché sur le défi que représente la révolution numérique pour le double aspect personnel et communautaire de la foi et, surtout, pour son ecclésialité, j’ai rencontré plusieurs faits dignes d’intérêt. Mais je voudrais surtout en mentionner un qui m’a semblé particulièrement important et significatif pour la période dans laquelle nous sommes entrés : la création du diocèse virtuel « in partibus » de Partenia par Mgr J. Gaillot.
1.- La constitution du diocèse « in partibus » de Partenia
Dans la dernière décennie du siècle dernier, en 1996 pour être précis, l’évêque français Jacques Gaillot (1935-2023) a communiqué, après son remplacement comme prélat d’Évreux, la création de ce qui, si je ne me trompe pas, peut être considéré comme le premier diocèse virtuel, portant le nom de Partenia [1]. Mais avant d’aborder ce chapitre important de sa vie intense, il semble opportun de donner quelques éléments de contexte pour aider à comprendre et à contextualiser cette décision singulière.
J. Gaillot a reçu comme dernière responsabilité celle de l’église locale d’Évreux (France) en 1982. Sa présidence a été marquée par la célébration – pendant trois ans – d’un synode diocésain et par un magistère où les pauvres et les marginalisés étaient au centre, ainsi que par la conviction que Jésus appartient à l’humanité et pas seulement aux chrétiens, et par le refus de toute complaisance lorsque la dignité de la personne et, en particulier, la vie et les droits des plus pauvres étaient en jeu.
L’année 1995 est particulièrement importante dans sa vie d’évêque d’Évreux : après avoir critiqué dans un livre les lois sur l’immigration du ministre de l’Intérieur de l’époque, il est convoqué à Rome où on lui annonce que le lendemain, vendredi 13 janvier, à midi, il ne sera plus évêque d’Évreux : « S’il signe sa démission, lui dit-on, il sera traité comme évêque émérite d’Évreux. S’il ne la signe pas, il sera évêque muté ». Sur son refus, il est nommé évêque « in partibus » de Partenia, un diocèse situé sur le plateau de Sétif (Algérie), disparu au Ve siècle.
Après sa révocation, il vit pendant un an avec des familles sans papiers dans la rue du Dragon à Paris. Sa reconnaissance sociale en tant qu’évêque des pauvres s’étend.
L’année suivante, il crée un site Internet basé à Zurich, baptisé Partenia, symbole, peut-on encore lire, « de tous ceux qui, dans l’Église et en dehors d’elle, ont le sentiment de ne pas exister ». Dans ce nouveau diocèse, que l’on peut qualifier de « virtuel », ses écrits sur l’actualité ont été publiés en sept langues pendant 14 ans, atteignant une moyenne de 800 000 entrées ou visites par mois en provenance du monde entier.
Tout au long de cette période, J. Gaillot, tout en écrivant dans Partenia, a poursuivi ses engagements dans l’ensemble du monde jusqu’en 2010, date à laquelle, à l’âge de 80 ans, il a annoncé sa retraite, cessant de publier.
Le 1er septembre 2015, à l’âge de 84 ans, il est reçu par le pape François à la résidence de Saint Marthe, un geste interprété comme une forme de réhabilitation.
Il est vrai que l’on ne peut ignorer la présence de certains évêques sur les réseaux sociaux (Twitter et Facebook, entre autres) ces dernières années, rassemblant un nombre considérable de personnes autour de leurs écrits et de leurs prises de position, partout dans le monde. On ne peut pas non plus ignorer celle de pas mal de prêtres et d’associations religieuses et laïques.
Mais surtout, ce que l’on ne peut oublier – après sa mort – c’est l’initiative de J. Gaillot de créer le premier diocèse virtuel au monde et donc sa présence pionnière dans ces médias. Ni, à mon avis, le débat théologique – et sans doute plus large qu’il ne l’a été jusqu’à présent – ouvert par cet évêque charismatique et précieusement atypique.
2.- La question théologico-pastorale
Depuis la création et la mise en place du diocèse de Partenia, une réflexion théologico-pastorale s’est engagée sur la nécessité de reconnaître juridiquement l’existence des diocèses et des communautés virtuelles.
Comme on le sait, le Code de droit canonique de 1983, après avoir transcrit dans le canon 369 presque littéralement le numéro 11 du Décret sur les évêques de Vatican II (CD), indique, en 372 – 1, que « en règle générale, la partie du peuple de Dieu qui constitue un diocèse ou une autre Église particulière doit être circonscrite dans un territoire donné, de manière à inclure tous les fidèles qui y vivent ».
D’autre part, le décret sur les prêtres stipule que « certains diocèses particuliers ou prélatures personnelles et d’autres dispositions de ce genre peuvent être établis, dans lesquels les prêtres peuvent entrer ou être incardinés pour le bien commun de toute l’Église, selon des modalités à déterminer dans chaque cas, les droits des ordinaires locaux étant toujours sauvegardés » (PO 10). Le pape Paul VI a mis en œuvre cet accord conciliaire au point 4 du « Motu proprio » « Ecclesiae Sanctae » de 1996 : « Le Siège apostolique peut utilement ériger des prélatures, dont font partie des prêtres du clergé séculier ayant reçu une formation spéciale, soumises à la juridiction de leur propre prélat, et dotées de leurs propres statuts ».
Il existe donc deux types de diocèses : les diocèses territoriaux (qui sont la grande majorité) et les diocèses personnels, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas établis sur un territoire au service – parfaitement délimité – des catholiques qui s’y trouvent, mais d’un groupe humain déterminé : par exemple, le groupe des forces armées ou les prêtres qui composent la prélature de l’Opus Dei. C’est aussi le cas de certaines églises ou communautés catholiques orientales dites « uniates » et clandestines en Estonie, Lettonie et Lituanie pendant la répression soviétique. Et celui de l’« Ordinariat pour les fidèles catholiques orientaux résidant en Espagne », par décision du pape François (2017).
Mais il faut aussi savoir que, depuis quelques années, l’existence de sites internet pour une bonne partie des 5 000 diocèses que compte l’Église catholique s’est généralisée. Et surtout, même si c’est beaucoup moins le cas, des évêques – comme je l’ai déjà mentionné – sur les réseaux sociaux (Twitter et Facebook, Instagram, entre autres).
Je comprends qu’avec la création du diocèse de Partenia a été testée non seulement une forme renouvelée de présence publique de la foi, mais aussi une autre manière de nous réorganiser en tant que disciples de Jésus de Nazareth, sous l’autorité – certes canoniquement défaillante – d’un évêque singulier qui, néanmoins, a eu l’audace de convoquer ceux qui, comme lui, avaient, « dans l’Église et en dehors d’elle, le sentiment de ne pas exister ». Ce faisant, J. Gaillot a mis en marche ce que l’on pourrait appeler un nouveau type de diocèse, à côté du diocèse territorial et du diocèse personnel : le diocèse virtuel ou en réseau.
Et à vrai dire, je ne cesse de m’étonner qu’il soit suivi dans l’utilisation d’une telle ressource par des évêques qui peuvent finir par agir, en fait, comme des prélats de diocèses virtuels, qu’ils aient ou non des problèmes d’acceptation dans les diocèses territoriaux qui leur sont confiés.
Cette dernière considération sur la présence virtuelle des évêques sur les réseaux sociaux s’applique également à de nombreux prêtres, religieux et religieuses, laïcs et laïques. Nous assistons à un redimensionnement du critère territorial qui nous conduit, au moins, à envisager une meilleure articulation avec le fonctionnel et le charismatique ou, si l’on préfère, vers des modèles d’appartenance ecclésiale dans lesquels la préférence pour l’assignation virtuelle se combine avec un engagement limité ou très réduit à la prélature territoriale ou personnelle.
Il s’agit d’une manière d’être Église qui ne doit pas être considérée comme allant de soi, car elle peut être la première d’une longue série. Je crois que les singularités de certains groupes appellent déjà quelque chose de semblable. Je pense en particulier au groupe important des personnes âgées, qui ne sont pas toutes analphabètes numériques. Et, bien sûr, d’autres, les plus jeunes ; et, également, ceux qui sont présents, de préférence, dans des environnements spécialisés ou ceux qui ne se satisfont pas de l’appartenance territoriale, pour quelque raison que ce soit.
Nous devons à Mgr J. Gaillot cette réflexion juridique et théologique à la fois balbutiante et nécessaire, en ces jours où les rappels abondent, tant de « son renvoi papal » que de « son retour » dans la maison ecclésiale, à travers l’œuvre de François et, surtout, de son énorme présence parmi les plus petits du monde, grâce aussi à son diocèse virtuel d’origine.
Note :
[1] https://www.partenia.org/francais/bref_fr.htm