La mise en cause de Mgr Georges Colomb : un dossier délicat pour le Vatican
René Poujol.
Jusqu’à quand l’institution pourra-t-elle nier les impasses qui menacent l’Église d’implosion ?
Mardi 13 juin, trois journaux catholiques français : La Croix, la Vie et Famille Chrétienne publient simultanément des articles documentés à propos des Missions Étrangères de Paris (MEP). Ils font état de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris à l’encontre de Mgr Georges Colomb, actuel évêque de La Rochelle et Saintes pour « tentative de viol ». Les faits remonteraient à l’année 2013, époque où il était supérieur général des MEP. Il est également fait état de deux cas d’agression sexuelle impliquant deux prêtres leur appartenant. Des dossiers où le rôle de Mgr Gilles Reithinger, évêque auxiliaire de Strasbourg, lui-même ancien responsable des MEP est fortement questionné. De ces affaires surgissent d’autres révélations portant sur des faits non délictueux de pratiques homosexuelles qui ajoutent à la confusion, à moins qu’à l’inverse elles ne servent de révélateur. Le dossier est d’autant plus délicat qu’il est loin d’être clos et que la prestigieuse société missionnaire est placée sous l’autorité hiérarchique directe… du Vatican ! [1]
La formule suscite toujours des réactions d’incompréhension chez le lecteur. Mais il faut bien ici y sacrifier : oui, les faits dont la presse catholique révèle aujourd’hui la teneur au terme d’un travail d’investigation rigoureux, qu’il faut saluer, circulaient depuis des mois, voire des années pour certains. Comment imaginer d’ailleurs qu’autant de journalistes se soient mis à enquêter simultanément s’il en avait été autrement. Mais il y a loin des rumeurs à des faits établis et il ne suffit pas d’être simple dépositaire de confidences pour pouvoir engager publiquement quelque action que ce soit. Or ce qui n’est pas public est le plus souvent considéré comme inexistant et reste sans effet. Pourtant ce nouvel aveu, entendu ici et là : « on savait des choses… » interroge cruellement sur la sorte d’impuissance collective de l’institution catholique à affronter ses déviances tant que la presse ne les porte pas à la connaissance du public.
Des accusations d’agression sexuelle pour l’un, de non-dénonciation pour l’autre.
C’est donc un nouveau chapitre de l’interminable récit des agressions sexuelles dans l’Église qui s’ouvre ici. Il concerne une fois encore une institution prestigieuse. La création des MEP remonte à 1658 avec pour but l’évangélisation des peuples d’Asie et de l’Océan indien. La société missionnaire compte à ce jour 150 prêtres nommés à vie dans quatorze pays. Si tout s’est accéléré récemment c’est qu’une victime présumée s’est manifestée auprès de divers responsables d’Église et d’Antoine Garapon, président de la Crr, instance de reconnaissance et de réparation mise en place par la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), à la suite du rapport Sauvé et qu’un « signalement » a été fait auprès des autorités judiciaires. [2]
Texte publié par la Croix, la Vie et Famille Chrétienne
Chacun pourra se reporter au travail de mes collègues journalistes de La Croix, La Vie et Famille Chrétienne qui ont choisi de mutualiser leurs sources. Disons simplement, pour situer notre propre réflexion, que Mgr Colomb est accusé de faits qui remonteraient à 2013 et semblent pouvoir être qualifiés de « tentative de viol » sur un jeune adulte régulièrement accueilli pour un hébergement temporaire, au siège des MEP, rue du bac à Paris à une époque où l’actuel évêque de La Rochelle en était le supérieur général. Cette personne, prénommée Nicolas dans l’enquête de nos confrères, était un ami alsacien du père Gilles Reithiinger alors numéro deux des MEP auquel il dit s’être alors confié. Ce dont l’intéressé semble n’avoir conservé qu’un souvenir imprécis. Georges Colomb et Gilles Reithinger, tous deux devenus évêques, sont désormais au cœur de la tourmente : l’un pour agression sexuelle présumée, le second pour non-dénonciation. L’un et l’autre nient les accusations portées contre eux.
L’évêque de La Rochelle en a tiré une première conséquence en annonçant, dès le 13 juin, qu’il se « mettait en retrait », ce qui suggère, si le pape François l’accepte, la possible nomination d’un administrateur provisoire pour le diocèse.
D’autres dossiers d’agression auraient été « mal gérés »
Selon l’enquête des journalistes, les deux anciens responsables MEP sont également mis en cause pour la gestion d’autres affaires d’agressions sexuelles supposées dont ils auraient eu connaissance, impliquant des prêtres des MEP vis-à-vis desquels des actions en justice sont désormais engagées. Des faits suffisamment graves, pour que l’actuel supérieur général, le père Vincent Sénéchal, décide d’un audit sur ces questions, confié au cabinet indépendant GCPS consulting déjà saisi par l’Arche international dans le dossier des frères Philippe et Jean Vanier et par les Focolari.
Un climat d’initiation à la vie homosexuelle active et secrète…
À ce volet de nature « pénale » l’enquête de La Croix, la Vie et Famille chrétienne en ajoute un second qui ne relève en rien du droit français, mais qui, paradoxalement, peut venir tout à la fois éclairer le premier et en expliquer l’opacité. Parmi les pièces du dossier figure le témoignage de l’un des deux prêtres mis en cause évoquant, au sein des MEP, un climat d’initiation à la vie homosexuelle active et secrète dès l’entrée au séminaire. Le père Gilles Reithinger y est personnellement mis en cause. Des faits qui lui vaudraient aujourd’hui une enquête préalable de la justice ecclésiastique. Difficile d’imaginer qu’un tel climat, si l’accusation est prouvée, soit sans effet, sur la « gestion » des cas d’agression sexuelle au sein de l’institution. Je cite la Croix :
« Certaines de ces affaires, récentes ou plus anciennes, laissent penser qu’il a pu se produire, dans cette société de prêtres, des dysfonctionnements de gouvernance, liés à des manquements à la chasteté de la part de certains prêtres membres des MEP. Ces transgressions de la discipline ecclésiastique – qui ne relèvent bien évidemment pas de la justice pénale – auraient permis et entretenu l’instauration d’une culture du secret. Et cette culture aurait, à son tour, pu favoriser des violences sexuelles commises sur des hommes adultes, parfois vulnérables. (…) Comment le cabinet GCPS Consulting parviendra-t-il à démêler le vrai du faux, à distinguer actes sexuels consentis entre adultes et relations non consenties, susceptibles d’être reconnues comme des violences sexuelles, voire des viols ? Ce sera toute la difficulté de sa tâche, dans un domaine où une parole s’oppose à une autre parole. »
On retrouve là tous les ingrédients de la situation analysée par le sociologue Josselin Tricou dans son excellent livre (qui est sa thèse de doctorat) Des soutanes et des hommes (PUF 2021).
Un dossier potentiellement explosif pour le Vatican.
L’ensemble du dossier est potentiellement explosif pour le Vatican triplement pris en défaut.
Les MEP ne dépendent pas de la Conférence des évêques de France, mais sont directement rattachés à Rome et plus précisément au Dicastère pour l’Évangélisation, présidé par le pape lui-même depuis sa création en 2022. C’est l’un des deux propréfets, en l’occurrence le cardinal archevêque de Manille, Luis Antonio Tagle qui « couvre » les MEP [3]. Autant dire que pour ce successeur possible du pape François (son nom a été évoqué lors du conclave de 2013, mais il était alors trop jeune)… tout scandale dans la gouvernance des MEP, éventuellement aggravé un jour par des accusations d’abus sur enfants en pays de mission, aurait un effet dévastateur, pour lui-même et pour l’autorité qu’il incarne.
Revoir enfin les procédures de nomination d’évêques…
Les affaires révélées par La Croix, La Vie et Famille Chrétienne pointent une nouvelle fois la question sensible des modalités de nomination des évêques. L’enquête menée par les journalistes catholiques montre que le Vatican avait été alerté de l’accusation portée contre le père Georges Colomb en amont de sa nomination comme évêque de La Rochelle et Saintes en 2016. Avec le résultat que l’on sait ! La question est à ce point sensible dans nombre d’affaires (di Falco, Santier, Ricard…) que l’un des groupes de travail initiés par la Conférence des Évêques de France pour la mise en œuvre du rapport Sauvé proposait, au printemps dernier : « Demander que la Nonciature garantisse un délai de discernement d’au moins quarante-huit heures entre l’annonce d’une nomination épiscopale et la réponse de l’intéressé. » [4] Proposition rejetée par les évêques.
L’Église face à son impossible discours sur la sexualité
Enfin, le climat homophile et d’évidence peu porté sur la chasteté qui semble ressortir de cette enquête renvoie une fois encore à la question du célibat sacerdotal et de la condamnation par l’Église de l’homosexualité active. Le texte du Vatican de novembre 2005 demandant d’écarter du sacerdoce tout candidat ouvertement homosexuel est pure hypocrisie. À l’automne 2015, à la veille de la seconde session du synode sur la famille où la question homosexuelle était – marginalement – à l’ordre du jour, j’écrivais ceci : « C’est l’un des secrets les moins bien gardés du monde catholique est la présence, forte, de personnes de tendance homosexuelle, tant dans les séminaires que dans certains ordres religieux. Des personnes qui, le plus souvent, ont par ailleurs toutes les qualités requises pour bien s’acquitter de leur ministère ou de leur apostolat. Mais on connaît les réticences du Vatican, maintes fois exprimées. Lever, tant soit peu, l’interdit de l’homosexualité représenterait un risque inconsidéré. »
Comme le démontre Josselin Tricou dans son livre, toute légitimation de l’homosexualité par la doctrine catholique dans un contexte occidental de « libération des masculinités gaies » pourrait provoquer un effondrement des vocations sacerdotales et « vider » ces placards où l’Église tolère et protège ce qu’elle condamne publiquement par ailleurs. Sauf que cette ambiguïté continue de susciter, nourrir, cacher et absoudre ici ou là des comportements potentiellement criminels d’abus en tout genre. Ce que la commission Sauvé avait parfaitement identifié ! Mais les rappels à l’ordre de Rome à l’endroit du chemin synodal allemand réclamant – comme le rapport de la Ciase – une révision de la doctrine catholique sur la sexualité disent assez l’impasse dans laquelle se trouve l’Église catholique.
Que personne n’imagine qu’écrire un tel billet soit pour moi un exercice jubilatoire. Je pense en terminant ces lignes aux hommes et aux femmes de tous âges que je côtoie régulièrement en différents lieux d’Église et que l’accumulation de ces scandales accable, décourage et parfois fait douter de leur envie de poursuivre la route.
Notes :
[1] Ce rattachement au Vatican concerne les MEP en tant que telles et soulève donc la question de leur contrôle. En revanche les deux anciens supérieurs généraux mis en cause, devenus évêques, dépendent de la hiérarchie épiscopale.
[2] Les MEP sont membres de la Corref. Jeudi 15 juin, sa présidente, sœur Véronique Margron a fait part de ses « sentiments mêlés de colère et de tristesse », appelé à la transparence sur cette affaire, demandé que soient protégés « ceux qui prennent et ont pris douloureusement la parole » tout en veillant à un respect scrupuleux de la présomption d’innocence des mis en cause.
[3] Le cardinal Tagle est propréfet pour l’évangélisation, Mgr Fisichella propréfet pour la nouvelle évangélisation.
[4] Groupe de travail n°5, proposition n°10.