Pourquoi je partirais, mais sans perdre de vue l’Église
Christiane Guès, membre du comité de rédaction de Garrigues & Sentiers;
Pour beaucoup de personnes participer aux baptêmes, aux mariages, aux enterrements des membres de leur famille c’est être catholiques et dans l’Église. Hormis ces événements particuliers de la vie sont-elles en recherche de vivre une foi en Jésus-Christ et de la vivre chaque jour ?
Aujourd’hui, la sécularisation ayant accompli son œuvre, cette recherche vitale ne se pose presque plus. On est toujours chrétien par adhésion, mais plus guère par conviction. À la longue découragés par une pratique sans saveur, un grand nombre de chrétiens ont même fini par jeter le bébé avec l’eau du bain. L’Église est devenue pour eux un domaine désuet destiné à disparaître dans quelques décennies.
Et pourtant quelques personnes font encore un cheminement dans la foi, demandent le baptême et sans en venir à une pratique ecclésiale, elles questionnent les évangiles, découvrent la personne de Jésus et son message universel d’Amour de Dieu et du prochain.
Un cheminement guidé par des rencontres
C’est à la suite justement d’une question posée par une amie juive vers l’âge de 16 ans : « Pourquoi vas-tu à la messe ? » que j’ai pris conscience que je n’avais aucune réponse à lui donner, car il m’est soudain apparu que je ne croyais que vaguement en Dieu et encore moins à ces rites fastidieux durant lesquels je m’ennuyais fermement en attendant la fin. De plus je me demandais si toutes ces personnes (à cette époque-là les églises étaient pleines) éprouvaient le même sentiment que moi, d’être là par devoir pour assurer leur salut, car on prônait encore le slogan : « Hors de l’Église point de salut ».
Puis j’ai commencé à travailler, il y a eu les lectures, celles que l’Église interdisait ou ne conseillait que prudemment, les rencontres, celle d’un jeune homme athée, mais plutôt en recherche avec qui j’avais l’occasion de parler en dehors du travail. Je trouvais une liberté en lui que les croyants et croyantes assidus aux messes n’avaient pas, étant trop soumis à l’autorité et à la moralité ecclésiale.
Puis il y a eu le Concile Vatican II et ce jeune homme m’a dit un jour : « En fait ce que tu fuis, c’est cette fermeture de l’Église sur elle-même, sur ses rites, sur ses dogmes, mais le Concile offre une réelle ouverture et ne réduit plus le salut aux seuls pratiquants. Il y a un retour aux sources qui va amener un rajeunissement de l’Église ». C’était encore le temps de l’Espérance pour l’Église, on parlait de ce printemps qui allait surmonter tous les hivers ecclésiaux.
Il me fallait donc revenir aux sources. J’entrepris alors la lecture des Évangiles et je découvris une Parole, que cette Parole était vivante, inscrite depuis toujours au plus profond de moi-même. Ce n’était plus moi qui lisais, mais quelqu’un me parlait et me dictait les mots depuis ma lecture. Quelqu’un venait de surgir de ces paroles et m’ouvrait un espace de dialogue et de foi. Je venais simplement de rencontrer Jésus-Christ. Mais je n’arrivais pas à faire le lien entre cette rencontre et l’Église-Institution avec tous ses commandements, ses interdits, ses sacrements, ce lien, je ne suis jamais arrivée à le faire entièrement.
J’essayai alors maladroitement de revenir vers l’Église étant le seul lieu à se réclamer de Jésus-Christ et de l’univers qu’Il m’avait ouvert. Mais tout un passé de gestes routiniers, de termes passifs, de lois ambiguës me revenait à l’esprit, car il y avait bien eu le Concile, mais ni les gens, ni même les prêtres en place n’avaient évolué pour autant. Seul le prêtre avait changé de position, n’étant plus tourné vers l’autel au cours des messes.
La découverte d’une communauté vivante
J’ai ainsi fait des « aller-retour » pendant plusieurs années jusqu’à ma rencontre avec la communauté Saint-Luc de Marseille où ce fut un éblouissement. Enfin j’avais découvert un lieu où se vivait réellement la Parole Évangélique où on « n’assistait plus » passivement, mais où on « participait » avec joie et en vérité. On ne venait plus chercher sa pitance hebdomadaire. On faisait partie d’une communauté où chacun devenait un membre actif et vivant. On pouvait s’exprimer même si cette expression sortait un peu des sentiers battus. On pouvait prendre des responsabilités, encouragés par les prêtres-accompagnateurs. Et la définition que nous sommes tous « prêtres, prophètes et rois » prenait là tout son sens.
Je croyais alors naïvement que cette expérience allait s’étendre ailleurs dans d’autres paroisses et qu’il y aurait ainsi un renouveau de l’Église, un printemps comme on disait alors. Mais il n’en fut rien. Des prêtres refusaient cette ouverture comme si on allait leur enlever leurs fonctions. Les jeunes qui apportaient de la nouveauté avec la musique ou l’expression artistique étaient refoulés. Les traditionalistes avec leur conservation du latin et le prêtre tourné vers l’autel tentaient de mobiliser les chrétiens nostalgiques du passé et de prendre le dessus et même si l’Institution se méfiait d’eux, elle se méfiait encore plus de la nouveauté, de la créativité, de la prise de responsabilité par les laïcs. C’était suspect, ça sentait la secte et surtout la perte d’un pouvoir figé sur l’Eucharistie, domaine réservé aux seuls prêtres célibataires, et sur les tabous de la sexualité.
Petit à petit ces prises de position, les diverses encycliques desquelles ne ressortaient que des interdits firent fuir la jeunesse. Bon nombre de chrétiens partirent, la plupart élevèrent leurs enfants sans les faire baptiser, disant qu’ils choisiraient plus tard, mais sans les orienter vers la foi en Jésus-Christ du moins vers l’existence de Dieu. Et l’athéisme prit alors le dessus sur toutes formes de foi. Les églises furent ainsi désertées, parsemées ci et là de quelques rares personnes âgées habituées à se soumettre à l’ancien régime.
La foi au péril de l’Institution
Heureusement Saint-Luc me permettait de vivre ma foi. Mais cela durerait-il ?
Je me défendais d’y penser.
C’est grave le refus d’évoluer, ce retranchement derrière la « Tradition » qui conduit au mépris et au rejet des prêtres mariés (réduits à l’état laïque) à l’excommunication des divorcés-remariés. C’est grave le « plutôt voir mourir l’Église et les chrétiens que de renoncer à notre statut hiérarchique ». C’est très grave de « préférer sauver l’Institution plutôt que le message évangélique » même si Jésus a tenu à fonder une organisation autour de son message : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». Que reste-t-il si on ne sauve que les pierres ?
Jésus, lui, ne refuse pas d’évoluer et de rompre avec la tradition de son temps. L’épisode de la Cananéenne, qui lui fait prendre conscience de sa mission envers les païens comme envers les juifs, nous signifie que nous sommes aussi sur terre pour évoluer dans nos pensées, dans notre accueil de la Parole, dans le sens du mieux et du bien pour les autres.
Dans l’épisode de la femme adultère, Jésus n’hésite pas à prendre position contre les scribes et les Pharisiens. Il ne prend pas de pierre dans sa main pour lapider la femme, mais il se baisse et avec son doigt se met à écrire sur le sable. Il y a dans ce geste de non-violence tout le poids de la réflexion et du renoncement, non seulement au jugement, mais au sexisme de l’époque et à l’hypocrisie des scribes et des Pharisiens.
Par deux fois il fait le geste de se baisser pour écrire sur le sable avec son doigt comme si cette loi de Moïse devait être réécrite, réaccomplie dans le sens de l’amour et du pardon… Et c’est ce qu’il inscrit dans son esprit, car rien d’important ne s’écrit sur le sable, surtout avec un doigt, à part cette loi de lapidation destinée à être effacée.
Marc 10, 9 « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer ». Il est vrai cela a été dit, mais l’épisode de la femme adultère montre que chaque cas est particulier, la situation de l’un étant différente de celle de l’autre. L’épisode de la Samaritaine est un autre cas particulier avec ces cinq maris dans son passé. Mais aucune de ces femmes n’est jugée.
De plus Jésus n’a jamais lié la Cène à des cas de répudiation conduisant à l’adultère. C’est seulement avec le lavement des pieds qu’il dira : Jean 13,11 « Vous n’êtes pas tous purs » en visant la trahison de Judas. Et encore il sera offert à ce dernier le pain trempé qu’il prendra en présence des autres disciples. Jésus ne lie donc pas la trahison de Judas à la prise du pain et du vin par ce dernier pas plus que les divorcés-remariés ne devraient être liés à la prise de l’Eucharistie. Les divorcés-remariés sont soi-disant en état de péché continu, mais nous sommes tous dans cet état-là. Qui peut affirmer n’avoir jamais renouvelé ses mêmes erreurs ? La preuve en est que face à l’immensité de l’amour de Dieu, nous ne pouvons que nous reconnaître pécheurs et ceci est valable pour tous. Il suffit de se tourner vers Dieu avec nos faiblesses ouvertes devant Lui.
« Les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison. L’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un aliment pour les faibles » : C’est le Pape Françoisqui dit cela et pourtant rien n’est fait dans ce sens.
Si l’Institution avait raison dans son interdit pourquoi l’Esprit-Saint se manifesterait-il auprès des divorcés-remariés sans tenir compte de leur situation ?
Par esprit de supériorité, l’Institution a supprimé les ADAP (Assemblée dominicale en l’absence de prêtres) en prétextant que ces réunions de chrétiens tendaient trop à remplacer le prêtre absent dans les célébrations. Comme c’est dommage pour l’Institution d’avoir ainsi perdu l’occasion de rencontrer l’Esprit-Saint ! Mais pourquoi les chrétiens obéissent-ils ? Trop souvent ils prennent le parti de l’Institution, ils veulent un curé comme si c’était une bouée de sauvetage. N’ont-ils pas vu le danger de cette injonction de l’Institution et qu’elle cachait derrière le sacré des prêtres rejeté par Jésus, une reprise de pouvoir à son profit ? Mais sans doute ces chrétiens ont-ils été trop formatés dans la passivité et la soumission ! De plus certains laïcs s’arrogent le droit de condamner même des divorcés non remariés alors que certains prêtres seraient enclins à plus d’indulgence. Si je n’avais pas connu Saint-Luc qui accepte toutes les situations, j’aurais fait comme un grand nombre de chrétiens, je serais partie sur la pointe des pieds, car l’Institution véhicule trop de contre-témoignages.
Et maintenant ?
Saint-Luc a pourtant vieilli malgré notre ouverture à tous, malgré la coresponsabilité prêtres/laïcs vécue en communauté, malgré la créativité, tout cela inscrit dans sa charte. Tout ce qui avait fait notre printemps est loin derrière nous. Les plus âgés sont décédés ou en maison de retraite, les jeunes sont partis avec des motivations autres que l’Église et souvent plus près de l’humanitaire, ce qui est toutefois une bonne chose. Vu notre petit nombre restant, un jour, Saint-Luc risque de fermer ses portes malgré tout ce que nous avons fait pour rendre la liturgie plus attrayante. Mais est-ce la liturgie l’avenir de l’Église ? L’Institution refuse d’envisager un changement pour l’avenir, car les vieux démons de la Tradition ressurgissent sans cesse pour s’y opposer.
Matthieu 22, 32 « Dieu c’est le Dieu des vivants et non des morts ». Or ne pas vouloir avancer vers plus de vie et vers plus d’ouverture dans l’Église, c’est reculer, et reculer c’est choisir le chemin qui mène à la mort.
Je quitterai Saint-Luc avec regret, mais je n’irai pas ailleurs, car je ne peux pas me faire à l’idée de retrouver une Église d’avant Vatican II. Mais je ne la perdrai cependant pas de vue surtout aux grandes fêtes, car l’existence et le message de Jésus je les ai appris d’elle-même si elle ne les respecte pas entièrement. Ce double commandement de l’Amour de Dieu et du prochain restera inscrit en moi peut-être à cause de mon baptême, mais il est aussi inscrit dans le monde jusqu’à la fin des temps. Il demeurera toujours notre boussole à nous chrétiens même si nous naviguons sans pouvoir nous poser.
Gardons simplement en nous ces deux paroles de Jésus qu’il nous a laissées : Mt.24, 35 « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » et Mt.28, 20 « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».
Et puis qui sait ?
Peut-être un jour de petites communautés de laïcs renaîtront tout comme aux premiers temps de l’Église et l’Esprit-Saint qu’on croyait définitivement enfui, ressurgira pour de nouvelles Pentecôtes.