Des paroles très dures
Michel Deheunynck.
Ce passage d’Évangile a commencé, ça ne vous a sûrement pas échappé, par des paroles dures, très dures, de Jésus « Celui qui aime son père, sa mère, sa fille, son fils plus que moi, n’est pas digne de moi »… Dur, dur ! Comment recevoir cette interpellation aujourd’hui ? Comme une remise en cause d’une image traditionnelle de la famille dont on peut entendre encore certains slogans aujourd’hui : papa, maman, les enfants… ? Ou bien comme une réactivation du fameux et éternel conflit des générations ? Ou bien encore comme une sorte de deuxième crise d’adolescence chez certains proches de Jésus ?
C’est vrai que les enfants ont besoin de se détacher de leurs parents pour grandir et que les parents ont besoin de se détacher de leurs enfants pour les laisser grandir. C’est vrai psychologiquement et socialement. Mais ça, c’est un premier degré de lecture. Et, avec Jésus, comme on le connaît, il faut toujours chercher le deuxième.
L’attachement à ses parents ou à ses enfants, on peut le comprendre aussi comme l’attachement à son passé familial, social, religieux, en se fiant à des habitudes, en se cramponnant à des certitudes, en se réfugiant dans un sentiment de fausse sécurité, plutôt trompeur, voire dangereux, car Jésus nous dit alors « Qui veut garder sa vie la perdra ; qui perd sa vie avec moi la gagnera ».
Pour cela, il s’agit donc bien de rompre, même avec respect, avec un ordre trop bien établi, jusque même dans sa propre famille, civile ou religieuse. Ce détachement que Jésus nous demande, c’est une conquête permanente, parfois même, pour certains, de soi-même, en même temps qu’une expérience de foi qui soit authentique dans notre complicité avec Lui. En sachant, sinon renoncer, au moins relativiser toute autre influence d’autorité pour nous mettre en recherche de Celui qui fait grandir notre vie, cette alliance d’Amour avec Jésus.
Mais notre texte d’Évangile n’en reste pas là. Nous avons entendu un autre message de Jésus « Qui accueille un prophète comme prophète est reconnu comme prophète ; qui accueille un juste comme juste est reconnu comme juste ». Je me suis permis de vous le restituer en parlant de reconnaissance plutôt que de récompense, qui fait un peu… distribution des prix. Et j’ai choisi aussi de vous le dire au présent, car la vie éternelle, elle n’est pas pour demain ou après-demain, elle est pour maintenant. Ceci dit, on comprend, en relisant ces phrases ; que ce n’est pas notre valeur propre qui compte aux yeux de Dieu, mais c’est la valeur que nous savons reconnaître les uns chez les autres. Et ça, ça change tout. Tout ! Voilà que Dieu nous reconnaît à la mesure de ce que nous reconnaissons chez les autres. Ainsi, la réussite de chacun, c’est celle qu’il permet aux autres. Voilà de quoi faire réfléchir notre société marchande où la réussite est trop souvent celle des prédateurs les plus rusés et les plus voraces, où la concurrence l’emporte sur la solidarité, la loi du plus puissant sur la fraternité, celle du plus influent sur la justice et celle du plus profiteur sur l’amour.
Alors, comme dit Saint-Paul à Jésus « Tu ne peux pas être mort pour rien et si nous, aujourd’hui, nous somme vivants avec Dieu, ce n’est pas non plus pour rien ! » Car, comme toi, Jésus, c’est un autre monde que, nous aussi, nous voulons. Et merci pour toutes ces paroles de ton Évangile qui, aussi dures soient-elles parfois, nous permettent, aujourd’hui encore, de te le redire.
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ?, p. 31 (éditions Temps Présent)