LA PRIÈRE
Maguy Sauvagnac.
Dans notre logorrhée tristement répétitive et permanente, lors des paroles du rituel de la messe que nous prononçons presque mécaniquement, nous perdons peu à peu le sens des mots.
Revenons au « Gloria », tout aussi encombré que les autres prières (dans ce que je serais tentée d’appeler irrévérencieusement un fatras), eh bien, là, je prononce de tout mon cœur cinq invocations ; « nous te louons, nous te bénissons, nous t’adorons, nous te glorifions, nous te rendons grâce ». Il me semble qu’elles devraient, par leur totale gratuité, correspondre, en guise de préambule, à notre rencontre du matin avec le Seigneur et devenir une louange essentielle et quotidienne.
Pour le reste de la journée, je serais tentée de me laisser guider par ces paroles attribuées au curé d’Ars dans son dialogue avec Dieu : « il m’avise et je l’avise ». Donc, ce serait un dialogue permanent fait de respectueuse intimité et propre à chacun de nous, avec notre amour, notre personnalité, notre liberté… Cela me convient vraiment.
Maintenant, passons au problème délicat, voire épineux, de la prière de demande. Difficile de s’y retrouver dans les injonctions assez paradoxales de l’Évangile : « Demandez et vous recevrez » ou encore suivez cette veuve envahissante qui finit par obtenir du juge inique qui lui refusait ce qu’elle réclamait – seulement par lassitude – : un jugement en sa faveur.
Par ailleurs, Dieu est censé savoir ce dont nous avons besoin, ce qui devrait nous dispenser, nous concernant, de toute prière de demande.
Une tentation très naturelle serait de croire en la toute-puissance d’un Seigneur « DEUS EX MACHINA ». On peut alors tenter de le séduire ou encore, essayer d’obtenir de Lui, quasiment mécaniquement, dans une sorte de donnant donnant à la manière de nos trop fréquentes pratiques humaines, ce que nous désirons. J’ai souvenir de messes, dites du Saint-Esprit, où nous priions avec conviction pour obtenir la réussite à nos examens !!!
Autre méthode, plus altruiste, celle-là : prier pour la paix dans le monde, pour la guérison d’un proche… Pour obtenir des résultats de ce Seigneur tel que nous l’imaginons trop souvent, on peut utiliser des offrandes, des sacrifices, des prières, des neuvaines en guise de rétribution préalable…
… Face à la puissante faiblesse d’un Dieu fait homme, en oubliant la gratuité de ses dons, son inaccessible accessibilité, n’est-il pas parfaitement intolérable de L’utiliser, tel un distributeur automatique, rempli de nos offrandes et prières offertes, pour Le payer préalablement de Ses services que nous réclamons à cor et à cri ?
Alors quid de la prière de demande, si ce qui précède ne nous convainc pas ?
Il me semble qu’elle provoque de sérieuses réflexions plutôt perturbantes… : à un ami, je peux demander un service que je n’oserais pas demander à un simple voisin. Des temps d’apprivoisement, de choix communs, d’affection réciproque, ont été nécessaires avant que ne s’établisse cette relation privilégiée, avant tout gratuite. Cet ami ou cette amie connaît mes goûts, mes joies, mes besoins, mes douleurs secrètes, et est capable d’en tenir compte et de m’aider, souvent, sans même que je n’aie besoin d’en faire état.
Combien plus encore, le Seigneur avec lequel j’ai établi depuis longtemps, un lien de confiance absolue, n’est-il pas en mesure de me donner, s’il le juge bon, ce que je lui demande, sans même que je n’aie besoin de l’exprimer !
Quant aux demandes qui concernent mes proches en souffrance ou en déshérence, et aussi et surtout, quant à l’infinie douleur du monde que j’essaye, vainement et de façon infantile, de serrer dans mes bras trop faibles pour la contenir… Là encore, il serait bon, je pense, de trouver autre chose que cette prière spontanée : « faites Seigneur que… »
Je crois plutôt qu’il me faut sans angoisse, me contenter de présenter à mon Dieu, avec toute la force, la tendresse et l’imagination dont je suis capable, tous ces êtres douloureux, sans croire qu’il m’est possible de transformer, uniquement par une demande impérative, ce qui les détruit. À l’Esprit, maintenant de s’en préoccuper, à la condition que j’ai tenté auparavant d’agir pour eux, humainement et dans la mesure de mes moyens.
En résumé, ma prière ne peut qu’être gratuite. Elle ne saurait, en aucun cas, se croire performative. Enfin, je ne peux pas avoir l’outrecuidance de préjuger du rôle de Dieu dans cet univers qu’il nous a laissé aimer et gérer en toute liberté, avec nos terribles faiblesses, mais aussi, avec, parfois, heureusement, le sens du beau et du bien.
Après les actes créateurs de vie qu’il nous faut nécessairement poser, chacun à sa place et selon ses capacités, notre attitude peut alors devenir, enfin, confiance infinie envers le Seigneur, mains ouvertes en direction du monde TEL QU’IL EST…