Par quelle autorité fais-tu cela ?
Le Conseil d’administration de NSAE a ouvert sa dernière réunion, le 3 juin, autour de l’évangile du jour et des extraits suivants de Jacques Noyer que lui proposait Alphonse Gourlain.
Marc 11, 27-32
En ce temps-là, Jésus et ses disciples revinrent à Jérusalem. Et comme Jésus allait et venait dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens vinrent le trouver. Ils lui demandaient : « Par quelle autorité fais-tu cela ? Ou alors qui t’a donné cette autorité pour le faire ? » Jésus leur dit : « Je vais vous poser une seule question. Répondez-moi et je vous dirai par quelle autorité je fais cela : le baptême de Jean venait-il du ciel ou des hommes ? Répondez-moi. » Ils se faisaient entre eux ce raisonnement : « Si nous disons : “Du ciel”, il va dire : “Pourquoi donc n’avez-vous pas cru à sa parole ?” Mais allons-nous dire : “Des hommes” ? » Ils avaient peur de la foule, car tout le monde estimait que Jean était réellement un prophète. Ils répondent donc à Jésus : « Nous ne savons pas ! » Alors Jésus leur dit : « Moi, je ne vous dis pas non plus par quelle autorité je fais cela. »
ÉCRIT INTÉRIEUR de Jacques Noyer
J’aimerais entendre à TOUS les niveaux de l’Église le bruissement de l’Esprit-Saint faisant toute chose nouvelle. J’aimerais qu’ordonner un prêtre ne soit pas le mettre aux ordres, mais lui faire confiance. J’aimerais que confier un diocèse à un évêque soit lui demander son avis et ses propositions plutôt qu’exiger un serment de fidélité. J’aimerais pouvoir faire entendre jusqu’au sommet les cris de ce peuple qui vient chercher de l’eau fraîche et refuse l’eau stagnante des citernes vaticanes. La Volonté du Père qui envoie son Fils et nous invite à l’aventure du Royaume n’est pas un règlement, mais une création, un engendrement, un surgissement. Que Ta Volonté soit faite, disons-nous ! mais ce n’est pas un abandon. En écho, nous entendons le Père nous redire qu’il n’a pas besoin d’esclaves soumis, mais de fils libres à l’initiative de qui il confie la responsabilité de son projet d’amour.
Par quelle autorité ?
L’autorité dont il est question réside moins dans une puissance que dans un statut reconnu, une légitimité, ce qu’exprime la seconde question des autorités religieuses : Qui t’autorise à faire cela ? Ou pour le dire encore autrement : Au nom de qui agis-tu de la sorte ? L’identité de Jésus fait débat comme le bien-fondé de son action.
Dans le contexte historique immédiat de Marc, on pense bien sûr à l’éviction des marchands du Temple, la veille, qui avait suscité le projet de mise à mort de Jésus par ces mêmes responsables religieux. Aussi, en cet épisode, leur question n’est pas du domaine du repentir qui donnerait la possibilité à Jésus de se justifier. Il s’agit là d’une question piège qui oblige Jésus à donner des preuves quant à sa légitimée au risque d’être condamné pour profanation du Temple, outrage à la paix romaine, appel au soulèvement, ou quelque autre motif d’arrestation.
Mais est-ce seulement l’épisode du Temple qui suscite une telle question ? L’arrivée à Jérusalem n’efface pas le ministère galiléen de Jésus où se rendaient parfois des émissaires de la ville : scribes (3,22) et pharisiens (7,1). Déjà Marc avait évoqué l’autorité de l’enseignement nouveau de Jésus (1,27) et sa légitimité de Fils de l’homme à pardonner les péchés (2,10) et guérir (6,2). Tout l’agir de Jésus et son enseignement, dans la narration de Marc, sont ici mis en cause par les autorités du Temple.
La figure du baptiste
Jésus leur dit : « Je vais vous poser une seule question. Répondez-moi, et je vous dirai par quelle autorité je fais cela : le baptême de Jean venait-il du ciel ou des hommes ? Répondez-moi. »
Jésus ne répond pas à leur question. Et, paradoxalement, il les oblige au contraire à se soumettre à son autorité. Il mène le débat et les place devant un dilemme.
En leur posant une question, Jésus fait appel à leur autorité, à leur compétence. Il met à l’épreuve ces autorités religieuses en les ramenant à Jean, sa prédication, sa mort, mais plus particulièrement son baptême. Ces immersions pour la conversion et le pardon des péchés (1,4), qui attiraient les foules au Jourdain, étaient concurrentes des sacrifices d’expiation au Temple. Jean a fait bien pire que chasser quelques marchands et marchandises ; son rite de baptême venait, pour ainsi dire, se substituer à l’autorité des grands prêtres.
Le choix du baptiste comme sujet permet également de comprendre le sens des actes de Jésus, depuis le bord du Jourdain jusqu’à Jérusalem. Son enseignement et ses miracles annonçaient l’approche du règne de Dieu et d’un baptême d’Esprit-Saint. Et déjà, le baptiste, décapité par Hérode et Hérodiade –malgré sa légitimité – préfigurait la Passion prochaine de Jésus.
Le dilemme
Ils se faisaient entre eux ce raisonnement : « Si nous disons : “Du ciel”, il va dire : “Pourquoi donc n’avez-vous pas cru à sa parole ?” Mais allons-nous dire : “Des hommes” ? » Ils avaient peur de la foule, car tout le monde estimait que Jean était réellement un prophète.
À cet instant, le piège se referme sur ses détracteurs. Leurs hésitations révèlent leur péché et leur orgueil. Ils ne peuvent affirmer que le baptême de Jean soit l’expression d’une volonté céleste et divine. Cela serait renier l’exclusivité du Temple en matière d’expiation des péchés et reconnaître la vanité de ses sacrifices.
Et, comme eux-mêmes le soulignent, ils avoueraient alors leur propre péché pour n’avoir pas mis leur foi en ce prophète, en toute connaissance de cause.
La logique et la sincérité devraient donc les orienter vers une réponse qui fait du baptiste et ses disciples un mouvement autoproclamé, sans légitimité divine.
Seulement, la haute considération du peuple envers Jean les en empêche. Ils ont peur de la foule. Leur autorité est mise à mal par leur crainte de déplaire. Leur honneur les oblige au mensonge et à l’hypocrisie. Comme pour le figuier feuillu, l’apparence compte plus que les fruits.
La vraie réponse de Jésus
Ils répondent donc à Jésus : « Nous ne savons pas ! » Alors Jésus leur dit : « Moi, je ne vous dis pas non plus par quelle autorité je fais cela. »
Cet aveu d’ignorance est sans doute le seul moment de vérité dans leur bouche. Eux qui détiennent l’autorité officielle du Temple et une légitimité reconnue par tous, eux qui possèdent aussi la compétence, le savoir et l’expérience, eux ces grands prêtres, scribes et anciens, ne savent pas ! Ils ne savent pas prendre position vis-à-vis de Jean le baptiste et prophète. Ils ne savent pas qui est Jésus. Ce dernier ne leur dira rien, car il a déjà dit beaucoup et se révélera bientôt pleinement comme le fils bien-aimé livré aux mains des hommes. L’autorité de Jésus ne vient ni d’un Ciel inaccessible, ni de la mondanité des hommes, mais d’un divin Père.
Pourtant la réponse était là, sous leurs yeux et les nôtres surtout : Jésus marchait dans le Temple (11,27). Cette précision de Marc ne serait-elle pas l’évocation même de l’autorité de Jésus. Malgré les nombreuses pérégrinations de son évangile, Marc use très peu du verbe marcher. Jésus marche ici comme il marchait sur la mer (6,48-49) et se révélait Fils de Dieu, maître de la Création, à qui la mer et le vent obéissent. Les pas de Jésus dans le Temple sont les pas de l’autorité qu’il tient du Père créateur. Ce même créateur qui lui aussi marchait dans le jardin d’Éden après le péché du couple originel : « Or ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui marchait dans le jardin au souffle du jour. Et l’homme et sa femme se cachèrent devant le Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin » (Gn 3,8).
Ainsi donc, au cours de cette marche de Jésus, ces autorités religieuses ont dévoilé leur culpabilité sous le feuillage des honneurs mondains, apparences bien vaines. Mais c’est aussi pour eux que le Père a envoyé son fils, eux ces grands prêtres, gardiens de la vigne du Seigneur qu’est Israël. Ainsi, pour ces derniers, Jésus va développer sa réponse en une parabole (12,1-12) dénonçant ces vignerons homicides.
Le parallèle avec le récit de la Genèse ne se limite pas à la simple évocation de la marche de Jésus dans le Temple. Comme la révélation du péché d’Adam et Ève (Gn 3) se poursuit par le récit du meurtre d’Abel par Caïn (Gn 4,1-16), une parabole d’homicides (12,1-12) suit la révélation du péché des autorités du Temple (11,27-33). Dans cette logique comparative, l’éviction précédente des marchands et des changeurs (11,15-19) évoquerait l’épisode de la création du jardin (Gn 2). En chassant le commerce hors du Temple, Jésus réordonne, recrée le dessein du Père. Un Père pourvoyeur de pardon et de salut, envoyant son fils bien-aimé.
Autre texte : Vérité contre Compassion, par Jacques Noyer
J’entends que l’obéissance au Père de Jésus est le contraire d’une soumission aveugle, d’une soumission aveugle au droit canon… Beaucoup de pasteurs, je crois, sont tiraillés par cette contradiction. Ils veulent être proches, accueillir, encourager, relever. Mais l’institution leur rappelle en permanence les réponses toutes faites et les jugements définitifs qu’ils ont le devoir de répéter. Ils ont l’habitude de taire cette déchirure et d’étouffer leurs contradictions. Si un débat public leur permettait de respirer, cela leur ferait sans doute du bien. Mais il y a si longtemps que nous vivons sur ces barils de poudre qu’on hésite évidemment à les déplacer…