Un entretien avec Étienne Klein, mené par Benoît Tonson
L’année 2020 a vu notre planète s’arrêter, notre présent, bouleversé. Et si c’était le moment de réfléchir à nos futurs ? Dans ce premier épisode de la série « Le temps dans tous ses états », pensée pour réfléchir à la notion de temps grâce aux scientifiques du CEA, entre philosophie, biologie, physique et même science-fiction, « The Conversation » reçoit Étienne Klein pour tenter de définir ce sujet de discussion : le temps.
Expérience complexe appelant la philosophie et la physique. Nous parlons également de l’avenir. Beaucoup y ont réfléchi pendant la crise du Covid-19 avec ce fameux « monde d’après ». Un avenir que notre invité disait laissé en jachère intellectuelle ou abandonné aux collapsologues. L’avenir serait-il en train de faire son retour dans le présent ? D’ailleurs, est-il déjà là, quelque part ?

Petit résumé
On ne sait pas ce qu’est le temps : est-ce une identité physique autonome, indépendante de nous, un fluide qui s’écoule, une invention de notre cerveau… ?
Pour les physiciens, à la suite de Newton, c’est le paramètre « t » qui rend la physique très efficace. La relativité générale d’Einstein (1915) introduit le concept d’« espace-temps » : l’espace et le temps sont séparés, mais liés ; et si on change de référentiel, la séparation ne se situe pas au même endroit. L’espace-temps n’est pas statique, c’est une entité dynamique, façonnée par son contenu, à savoir les objets massifs et l’énergie, pouvant générer des ondes gravitationnelles qui s’y déplacent à la vitesse de la lumière. Leur prédiction par la théorie a été confirmée par la détection d’ondes gravitationnelles produites par la fusion de deux trous noirs, il y a 20 milliards 30 millions d’années.
En philosophie, il y a deux types de doctrines : le temps dépend-il ou non de la conscience ?
Pour des philosophies comme Saint Augustin ou Kant, le temps dépend de la présence d’un sujet conscient qui éprouve l’existence du temps. Cette philosophie, dite « corrélationniste », rencontre un problème : les êtres humains n’ont pas été toujours présents : ils ne le sont que depuis 3 millions d’années dans un univers qui existe depuis 13,5 milliards d’années. L’univers a donc passé le plus clair de son temps sans personne pour le faire exister. Si le temps dépend du sujet, comment a-t-il pu passer avant que le sujet apparaisse ?
Mais si le temps ne dépend pas de la pensée, s’il est une entité autonome, en amont de nous, alors qu’est-ce qui le meut ? Quel est le moteur de son renouvellement ? On ne sait pas.
Quoi qu’il en soit, venons-en à ce fameux « monde d’après », qui scelle le retour du futur.
Juste avant le confinement, on prêtait attention aux collapsologues prédisant l’effondrement. Le futur était pensé essentiellement sur le mode de la catastrophe. Alors même que tout devenait incertain, l’idée de la fin du monde a été détrônée par l’idée qu’il y aura un monde. On est passé d’une forme de présentisme (où on ne commente que le présent) au retour de la vision du long terme. Mais que sont le passé et le futur ?
Statut du passé et statut du futur
À l’heure où nous sommes : le passé existe-t-il déjà quelque part ? Le futur existe-t-il déjà quelque part ? Sur l’axe des temps, nous nous positionnons à l’instant t : les instants du passé existent-ils sur l’axe ? Les instants du futur existent-ils sur l’axe ? Sommes-nous en quelque sorte cernés par le néant ? Cette représentation familière ne répond pas à la question. Et cela nous ramène à des questions qui se sont posées à la théorie de la relativité. Avec une réponse possible qui est celle de l’« univers bloc ». On y décrit notre présence comme dans celle de l’espace. Nous sommes à Paris, d’autres villes telles que Brest ou Strasbourg existent tout autant que Paris ; ces 3 villes ont la même réalité, mais ce qui les différencie pour nous, c’est que nous sommes à Paris et pas dans les deux autres. Notre présence les distingue.
Dans l’univers-bloc, tous les événements du passé et les événements du futur sont là dans l’espace-temps, mais ailleurs que là où se situe notre présence. C’est notre présence qui détermine le présent. Le futur est alors complètement déterminé.
Cette conception est controversée, en particulier à partir de considérations venant de la mécanique quantique qui introduit des rétrocausalités : le futur réagirait sur le présent.
Alors, sommes-nous dans le « présentisme », entre ce qui n’existe plus et ce qui n’existe pas encore ?
Et les citoyens que nous sommes voient le futur comme une réalité qui existera un jour, mais qui n’est pas encore déterminée.
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Source : The Conversation