Michel Deheunynck.
Et en voilà encore trois. Encore trois paraboles dans cet évangile de Matthieu ? Depuis quelques dimanches, Jésus ne cesse d’en rajouter pour essayer de nous faire comprendre à quoi peut bien ressembler ce fameux Royaume de Dieu. Jusqu’alors, il avait choisi des images liées à des activités traditionnelles, artisanales, agricoles, domestiques. Mais aujourd’hui, trouver un trésor dans un champ, négocier des perles fines, ça n’est pas forcément dans nos activités quotidiennes les plus habituelles… Alors, ça nous demande un petit effort d’interprétation. C’est vrai que l’Évangile a été rédigé dans un contexte qui n’a pas grand-chose à voir avec le nôtre. Et c’est bien pour cela qu’il ne faut vraiment pas chercher à le lire à la lettre. Et que suivre Jésus, bien sûr, ça ne veut pas dire l’imiter, faire comme lui. Ça veut dire savoir, comme lui, rejoindre les personnes, les situations comme elles se présentent aujourd’hui à nous.
Ça veut dire, faire face, comme lui, aux imprévus de notre vie et de notre histoire à nous. C’est pour cela qu’Il compte sur nous. A chaque fois, il nous dit « Allez, à vous de jouer maintenant ». Et c’est comme cela que nous pouvons lire ces paraboles.
Dans celles que nous avons lues ce matin, il y a un petit côté d’absolu. L’homme dans son champ, il vend tout, tout, tout de suite ! Le marchand de perles, il ferme boutique aussitôt ! Et ces décisions prises dans l’absolu d’un instant, dans l’hystérie d’un moment, on sait bien que ça ne donne pas toujours quelque chose de bon. C’est un peu comme ça que fonctionnent les sectes, les fanatismes, les intégrismes de tout poil. On retrouve ça dans les dérives de toutes les idéologies, de toutes les religions. Et le résultat n’est pas vraiment très brillant !
S’il s’agit de renoncer à ce qu’on a pour un mieux que Dieu nous propose, on peut encore se poser la question. Mais s’il s’agit de renoncer à ce qu’on est, on ne peut pas croire que Dieu nous demande cela. Tout, mais pas ça ! En Jésus, il a endossé notre humanité et on peut penser qu’Il en est trop fier pour nous inviter, nous, à y renoncer. Être son disciple, ça ne veut pas dire, en aucune façon, se mettre à l’écart de notre humanité, mais à son service. L’Évangile nous fait bien comprendre que le Royaume de Dieu n’est pas à côté du monde, encore moins au-dessus, mais au cœur même du monde, même et peut-être même surtout quand la vie en ce monde, elle nous semble un peu tordue, mal fichue. Être disciples de Jésus, ça veut donc dire d’abord assumer pleinement et authentiquement notre propre humanité. C’était un peu le sens d’une parabole de dimanche dernier que je n’avais pas eu le temps de reprendre : la parabole du levain dans la pâte. On n’a pas à apporter Dieu au monde en le livrant clefs en main. On a à faire grandir son Royaume au cœur même de ce monde qui est le nôtre.
Ceci dit, les protagonistes de nos paraboles d’aujourd’hui font des choix radicaux. Et cela nous interpelle sur nos capacités à convertir nos propres valeurs, nos propres repères, et même parfois, nos projets. Non pas sur un coup de tête comme si on venait de trouver une pierre précieuse ou de gagner au loto, mais dans la durée de notre histoire pour devenir ne serait-ce qu’un petit peu plus que nous-mêmes en donnant un plus de sens à ce que nous sommes, en étant toujours prêts à grandir et à changer. Les repères de nos traditions n’ont de valeur dans notre histoire que sous des éclairages nouveaux qui nous mettent ou nous remettent en route sur des chemins, eux aussi, nouveaux. Car la conversion, ce n’est pas une illumination, c’est d’abord un chemin souvent bien tortueux, sur lequel chaque étape, chaque pas, est une nouvelle aventure. Et c’est ainsi que nous pouvons, à tout moment anticiper le Royaume de Dieu. Sans attendre de ces paraboles qu’elles pensent à notre place. Sans transmettre ce qu’on a reçu comme on l’a reçu, mais avec ce petit plus de nous-mêmes qui fait que notre tradition soit toujours bien vivante. Et en faisant toujours sortir du neuf de l’ancien. C’est ainsi que le Royaume de Dieu, il est entre nos mains. Il est là le grand défi que Jésus nous lance en conclusion de ses paraboles : Que ce Royaume de Dieu soit aussi le nôtre et celui de tous !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ?, p. 39