Simon Pierre à Césarée
Michel Deheunynck.
Pauvre Simon Pierre ! Il n’a vraiment pas de chance. À chaque fois qu’il ouvre la bouche dans l’Évangile, c’est pour dire une bêtise (pour rester poli…). Sauf justement dans cet épisode où il fait cette très belle profession de foi à Césarée (une ville païenne au passage). « Tu es le Messie » (en hébreu) ou « le Christ » (en grec), selon les traductions. C’est beau !
C’est beau… mais voilà que Jésus lui répond « C’est bien ce que tu dis là, Simon ! Seulement, ça ne vient pas de toi, c’est mon Père qui te l’a dit ! » Pour une fois qu’il disait quelque chose de bien, le pauvre Pierre ; et même si on prend la réponse de Jésus pour un compliment, le compliment, il ne va pas durer longtemps, parce que, si on poursuit juste un petit peu la lecture du texte (mais ce sera pour dimanche prochain), 3 versets plus loin, Jésus lui rétorque « Arrière, tes pensées ne sont pas celles de Dieu ! ». Pour notre premier pape, ça fait un peu désordre, quand même !
Quoi qu’il en soit, voilà donc que Simon donne un nom à Jésus « le messie » et Jésus donne un nom à Simon « Pierre ». C’est un échange réciproque. Dans la foi, nous reconnaissons Jésus et Jésus nous reconnaît. Alors, quand Jésus demande qui Il est pour nous, on pourrait lui retourner la question : Et nous, qui sommes-nous pour Lui ? Et chacune, chacun pourrait lui demander : et moi, qui suis-je pour Toi ?
Qui donc est Jésus pour nous ? Combien de Jésus différents dans chacun de nos cœurs ? Sans compter tout ce qui a pu le défigurer dans notre histoire de croyants, tous les gribouillis qui ont pu déformer son visage… Alors, quand Jésus nous demande « Qui suis-je pour vous ? », il n’attend pas de nous une réponse toute faite, toute préparée d’avance, une réponse de catéchisme. Devant une telle question, il ne s’agit plus de jouer au bon croyant, mais de donner notre réponse à nous.
Oui, qui est-il ce Jésus ? Pour certains, c’est un exalté ou un agitateur ; pour d’autres, un tribun ou un prophète ; pour d’autres encore, un ami des mal-aimés. Et puis, en plus, Il ne nous demande pas seulement d’écouter ce qu’Il nous dit, mais d’abord d’écouter ce que disent les autres. Qui est-il pour eux ? Et après, seulement après, il demande à chacune et chacun de nous « Et pour toi, qui suis-je ? ». Et souvent, il faudra toute une vie pour répondre. Pierre, il en a su quelque chose. Malgré sa bonne réponse, il a été loin d’avoir tout compris…
Si Jésus a voulu savoir ce qui se disait de Lui, ce n’était pas pour soigner son image de marque. Mais surtout pour savoir à qui on croit. Et il a préparé le terrain de cette foi, il a posé des actes, il en a expliqué le sens. Il a remis en cause des habitudes sacralisées. Et il a provoqué à réagir. Sur cette base-là, il s’est constitué une équipe qui s’est organisée et développée. Et puis, il s’est fait aussi des adversaires qui, eux aussi, se sont organisés.
Alors, qui est-Il donc ce Jésus auquel nous, on tient tant ? Pierre l’exprime dans sa foi. Paul l’exprime plutôt dans sa vie. Jésus l’a assisté, l’a rempli de force… Et nous, qu’est-ce qu’on répond ? Comment Jésus est-Il partie prenante de notre vie aujourd’hui ? Avec tous ses défis à relever ? Avec tous ses combats contre le mal, l’injustice, parfois même contre soi-même ? Avec toutes ses limites et toutes ses fragilités à dépasser ? Est-il surtout celui qui nous aide à grandir, à aller plus loin sur le chemin de notre histoire les uns avec les autres, avec nous-mêmes et donc avec Dieu ? Jésus nous pose toutes ces questions. Alors comme Pierre, Paul et bien d’autres, osons lui donner notre réponse à nous. Et même s’il a sûrement raison de nous dire que son Père nous l’a un peu soufflée, cette réponse, on pourra, nous aussi être fiers de lui avoir dit, au moins une fois, combien Il compte pour nous.
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ?, éditions Temps Présent, p.43