Michel Jondot.
La volonté du Père
Nous avons tous en mémoire les paroles féroces du « Chrétien Bernanos » à l’égard des responsables ecclésiastiques, lors de la guerre d’Espagne. Face aux massacres barbares qui laissaient de marbre l’épiscopat, il qualifiait d’« ignoble » l’évêque de Majorque. Ce vis-à-vis entre le romancier laïc et le haut clergé de ce lieu et de ce temps ressemble au dialogue de Jésus, le charpentier de Nazareth, avec les prêtres et les anciens que la liturgie nous donne à entendre ce dimanche. Ceux-ci étaient les gardiens de la loi juive et de son application comme le clergé espagnol veillait à la bonne morale catholique et à la pratique dominicale des paroissiens de chaque village. Qui mieux que des hauts dignitaires ecclésiastiques peuvent prétendre servir la volonté du Père ?
« Amen, disait Jésus ! Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. Car Jean-Baptiste est venu à nous, vivant selon la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole, tandis que les publicains et les prostituées y ont cru. Mais vous, même après avoir vu cela, vous ne vous êtes pas repentis pour croire à sa parole ». Il est vrai que les foules venaient à Jean. Il ne leur parlait pas des ablutions ni des rites innombrables que les interlocuteurs de Jésus ne cessaient de rappeler. Il leur présentait une façon renouvelée d’entendre la Loi. L’homme du désert demandait aux riches de partager vêtements et nourriture avec ceux qui avaient froid et faim ; aux publicains de cesser de s’enrichir au détriment des plus pauvres « Ne soyez violents envers personne » disait-il aux soldats romains. Le souci de l’autre, telle est la volonté du Père. Les foules croyaient à ces discours, même si les minuties de la loi leur échappaient.
D’une certaine manière, se faisant fonctionnaires de la Torah, prêtres et anciens disaient « oui » à la volonté du Père. En revanche, étrangers aux prescriptions particulières de ces légistes, publicains et prostituées disaient « non ». En réalité, à en croire Jean-Baptiste et Jésus, la loi conduit à répondre aux attentes de l’autre et telle est la volonté du Père qui, donnant la loi, fait de chacun le gardien de ses frères. « Va travailler à ma vigne » disait un père à son fils. « D’accord ! dit celui-ci et il n’y alla pas. » Il s’agit, bien sûr, des serviteurs zélés de la loi qui s’arrêtent à la lettre. « Va travailler à ma vigne » disait le même père à son autre fils ; il essuya un refus et pourtant, à en croire la parabole, il se mit à la tâche. Soldats de l’armée romaine ou pécheurs publics, étaient mis à l’écart. Sensibles aux paroles du Baptiste, le visage de l’homme souffrant parlait, pour ces gens-là, plus fort que les impératifs des scribes et des anciens.
A l’écoute de l’Église et de l’Évangile
La parabole de Jésus nous rejoint aujourd’hui. Chrétiens, chaque dimanche nous nous mettons à l’écoute de l’Église et de la parole de Jésus. Chaque page de l’Évangile est à entendre comme cet envoi formulé aujourd’hui : « Va travailler à ma vigne ! ». Ne disons pas trop vite que nous répondons « oui ». L’accueil et le refus du Père se croisent en nos cœurs et le discernement n’est pas toujours facile. Ne croyons pas que les consignes de la Hiérarchie suffisent pour nous éclairer. Avons-nous raison de désapprouver cette jeune femme qui, pour des motifs que nous ne connaissons pas, a interrompu une grossesse ? Est-ce dire « oui » à la volonté du Père si nous la condamnons ou si nous l’approuvons ? Pouvons-nous réprouver son acte sans avoir écouté une éventuelle souffrance ? On a vu, voici quelques mois, des milliers de fidèles chrétiens défiler dans les villes pour écarter le mariage pour tous. Ils avaient sans doute des raisons à faire valoir pour manifester de la sorte. Ils étaient approuvés par la Hiérarchie. Cela suffisait-il pour assurer que non seulement ils disaient « oui » à la volonté du Père mais qu’ils l’accomplissaient. Des questions graves sont posées à la conscience de la société ; certes, le chrétien ne peut les aborder en oubliant l’Esprit du Père répandu dans son église. Mais faut-il approuver ceux qui veulent respecter la parole du mourant ou ceux qui veulent laisser la nature faire son œuvre ? Soyons humbles devant nos réponses. N’imitons pas les scribes et les prêtres à qui Jésus s’adresse. Ils sont sûrs d’être du côté de ceux qui se soumettent au Père et accomplissent vraiment sa volonté. Jésus les invite à la prudence.
La tendresse du Père
« Un homme avait deux fils… » En entendant ces premiers mots, nous avons tous, bien sûr, en mémoire, la parabole de l’enfant prodigue, chez St Luc. Il me semble que les deux textes ne sont pas aussi éloignés l’un de l’autre qu’il ne le semble. Chacun de nous ressemble au fils aîné à son retour des champs ; Il refuse d’entrer, sûr de son bon droit. Il a toujours fait la volonté du Père, du moins le croit-il. Il refuse d’entrer mais le récit s’achève en laissant espérer que peut-être il reviendra sur sa décision. Il refuse d’entrer mais au cœur de son refus, la voix du Père manifeste sa tendresse et sa supplication. Sommes-nous sur la bonne voie ou sommes-nous murés dans nos a priori stériles ? Ce qui est sûr c’est que sans cesse, Dieu nous désire et nous appelle ; Comme dit le psaume : « Ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur » !