Vers une nouvelle théologie
José Arregi
Jamais l’espèce Sapiens n’a connu une période de changement culturel aussi radicale et accélérée que celle que nous vivons actuellement. En à peine 60 ans, beaucoup d’entre nous sont passés de l’ère agraire à l’ère industrielle, puis à l’ère post-industrielle de l’information. Dans les villages ou les hameaux de notre enfance ou de notre prime jeunesse, nous avons vécu immergés dans le paradigme agraire, millénaire et prémoderne. Dans notre jeunesse, nous nous sommes éveillés à la critique historique, à la vision scientifique du monde, à la recherche de la rationalité de la religion ancienne. L’âge adulte nous a contraints à un autre exode encore plus radical : nous avons dû émigrer vers des territoires inconnus, et nous continuons d’émigrer à ce jour : du christocentrisme inclusif au pluralisme religieux, du dialogue interreligieux à la spiritualité transreligieuse ou postreligieuse, de la théologie de la libération à la spiritualité mystico-politique et écolibératrice, de la théologie anthropocentrique et patriarcale à la théologie écoféministe… Et l’exode spirituel-mental le plus exigeant : du théisme au transthéisme. Aujourd’hui nous entendons à nouveau la voix qui a parlé à Abraham : « Sors de ta terre, quitte ton dieu connu, réinvente Dieu et une nouvelle théologie ».
Peut-être est-il déjà trop tard pour entreprendre cette révision théologique et institutionnelle radicale et pour que les Églises, « devant Dieu sans dieu » ou « priant et faisant justice » comme l’écrivait Bonhoeffer à Tegel, soient réellement le ferment d’un monde nouveau. Elles ne possèdent plus la masse sociale nécessaire pour cela. Peut-être aussi l’espace humain ne s’est-il pas encore suffisamment déployé pour s’ouvrir à l’infini transthéiste qui l’habite au plus profond : ou bien, en d’autres termes, peut-être l’espèce humaine n’a-t-elle pas encore suffisamment évolué pour se libérer de tous les dieux pour s’immerger en Dieu, pour incarner Dieu ou pour se réaliser pleinement en tant que composée d’êtres humains libres, innocents et fraternels. Mais, à court et moyen termes, je ne vois pas d’alternative à ce qui reste des communautés chrétiennes : soit s’y essayer, soit se résigner à devenir un ghetto culturel et une relique de musée. Dans les deux cas, le Souffle de Vie continuera à animer le cœur de la Terre, de l’humanité, de l’univers tout entier.
Dieu au-delà du théisme, éd. Karthala, p. 173