Laudate Deum, synode : le pape François à l’offensive
Gino Hoel.
Le 4 octobre, le pape publiait un nouveau document « sur la crise climatique » alors que s’ouvrait le même jour, à Rome, le synode sur la synodalité, déjà marqué par des tensions internes.
Après Laudato si’ (« Loué sois-tu »), encyclique « sur la sauvegarde de la maison commune » écrite en 2015, le pape François a publié le 4 octobre, jour de la saint François d’Assise, une exhortation apostolique intitulée Laudate Deum (« Louez Dieu »). Très virulente à l’égard des climatosceptiques (n° 14), Laudate Deum pointe également la responsabilité des puissances économiques (n° 13) et valorise « les petits gestes » du quotidien (n° 71), à deux mois de l’ouverture de la 28e conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui doit se tenir à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre.
Laudate Deum reprend une idée forte de Laudato si’ : « Tout est lié » (n° 19). Pour le pape argentin, « il ne fait aucun doute que l’impact du changement climatique sera de plus en plus préjudiciable à la vie et aux familles de nombreuses personnes. Nous en ressentirons les effets dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’accès aux ressources, du logement, des migrations forcées » (n° 2).
Ce thème n’est pas étranger au synode sur la synodalité intitulé « Pour une Église synodale : communion, participation et mission », qui commençait ses travaux ce même 4 octobre. Des Églises du Sud ont porté, dans les rapports continentaux, des attentes liées au changement climatique. Le point de vue de François sur cette crise est un sujet de friction avec les catholiques conservateurs, notamment aux États-Unis. Et ce n’est pas le seul de la séquence ouverte par le synode sur l’avenir de l’Église.
Une surprenante nomination
Cette séquence a en réalité commencé le 30 septembre avec la création de 21 nouveaux cardinaux, portant le collège cardinalice à 241, dont 136 électeurs en cas de conclave. Avec cette dernière promotion, François a désormais créé plus des trois quarts des cardinaux électeurs, dont les vingt-cinq plus jeunes (ayant moins de 64 ans). Parmi les nouveaux porporati, une nomination surprenante : celle de l’évêque d’Ajaccio, François-Xavier Bustillo, 54 ans.
Ce franciscain « très classique », né à Pampelune, est réputé spirituel et proche des gens, tout en demeurant un homme du sérail. Il avait écrit, en 2021, chez Nouvelle Cité, un ouvrage sur les prêtres : La Vocation du prêtre face aux crises, qu’il avait offert au pape. Celui-ci l’avait fait éditer en italien et remis au clergé romain au printemps 2022.
L’évêque en Corse vient de publier chez Fayard un livre d’entretiens avec l’archevêque vénézuélien Edgar Peña Parra, substitut de la secrétairerie d’État, c’est-à-dire « ministre de l’Intérieur » du pape : Le Cœur ne se divise pas. Edgar Peña Parra a été mis en cause par des sites traditionalistes et ultraconservateurs en raison d’une supposée « immoralité » (abus sexuels sur mineurs, double vie), mais défendu par la conférence épiscopale du Venezuela. C’est aussi un ami du cardinal hondurien Óscar Maradiaga, très proche du pape jésuite, et de Pietro Parolin, secrétaire d’État et ancien nonce au Venezuela (2009-2013).
Les entretiens de ce second livre, préfacé par le pape François, sont menés par l’essayiste et éditeur Nicolas Diat, « éminence grise » marquée à droite, proche de Vincent Bolloré et ex-conseiller de Laurent Wauquiez, actuel président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ce qui ne laisse pas d’interroger un certain nombre d’observateurs, car Nicolas Diat est aussi l’éditeur du cardinal guinéen Robert Sahra, figure très conservatrice et considéré comme un adversaire du pape jésuite. À l’été 2022, la une que lui avait consacré Paris-Match avait provoqué une crise au sein de la rédaction de l’hebdomadaire À la manœuvre, il y avait Nicolas Diat.
Climat, place des femmes, LGBT+…
Des sources ecclésiastiques nous ont confié que François Bustillo est « peut-être parfois naïf » et qu’il « n’a aucun sens politique ». En réalité, comme le précédent sur les prêtres, ce dernier ouvrage n’a rien de révolutionnaire. L’évêque d’Ajaccio est sans doute un homme de formules, parfois osées, mais il ne plaide aucunement pour des réformes de structure ; il rejette l’idée d’un effondrement de l’Église en France et propose comme seule innovation majeure la possibilité de nommer à la tête de diocèses français des évêques étrangers.
Avec ce livre, le nouveau cardinal français apparaît surtout comme un homme de réseaux, allant des hautes sphères au Vatican à la droite, voire à l’extrême droite catholique en France. Il prend le risque d’apparaître comme l’homme d’un clan, celui des opposants au pape qui vient de le créer cardinal après seulement deux années d’épiscopat en Corse. Opposants qui, à la veille du synode, ont tenté de le déstabiliser.
De fait, outre les questions climatiques qui seront sans doute à l’ordre du jour, ce synode met aussi en lumière d’autres lignes de fracture entre François et les conservateurs, entre autres à propos de la place des femmes dans l’Église, de l’accueil des personnes LGBT+, de l’exercice du pouvoir.
Les dubia, une bombe très vite désamorcée
Le 2 octobre, cinq cardinaux ultraconservateurs, dont le cardinal Sarah, ont rendu publique une liste de dubia (« doutes »), c’est-à-dire des questions appelant un oui ou un non. Ces cardinaux interrogeaient notamment « la pratique de bénir des unions de personnes du même sexe », le concept de synodalité comme « régulateur suprême du gouvernement permanent de l’Église », la possibilité d’ordonner des femmes pour le ministère presbytéral.
Le jour même, le Vatican publiait les réponses que le pape avait déjà apportées aux cinq cardinaux à l’été : les dubia du 2 octobre étaient en effet une reprise de précédents, envoyés en juillet. En publiant les réponses du pape, les médias du Vatican ont désamorcé la bombe posée par les adversaires du synode, lesquels cherchaient à faire croire que François ne répondait pas aux questions posées.
À tous ces points litigieux, François apporte des réponses, ouvertes et même prometteuses. De fait, il défend l’idée que l’on ne doit appeler mariage que l’union entre un homme et une femme. Mais il n’exclut pas « des formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne véhiculent pas une conception erronée du mariage. En effet, lorsqu’on demande une bénédiction, on exprime une demande d’aide à Dieu. » Pour l’évêque de Rome, « nous ne pouvons donc pas être des juges qui ne font que nier, rejeter, exclure ».
Par ailleurs, François ne ferme pas la porte à l’ordination de femmes, il encourage au contraire les études, car si « Jean Paul II a enseigné qu’il faut affirmer “de façon définitive“ qu’il est impossible de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, il n’a en aucun cas dénigré les femmes et conféré le pouvoir suprême aux hommes ».
Enfin, sur la synodalité, le pape François se moque ouvertement de ses détracteurs et les renvoie à leurs contradictions : « Vous manifestez par ces questions votre besoin de participer, d’exprimer librement votre opinion et de collaborer, demandant ainsi une forme de “synodalité“ dans l’exercice de mon ministère. » Il faut préciser que les réponses apportées par le pape latino-américain sont habilement truffées de références au pape polonais, dont il donne une autre interprétation, moins rigide et moins conservatrice.
Il faut s’attendre à d’autres coups
L’offensive ne s’est pas arrêtée là : le jour même de l’ouverture du synode le 4 octobre, le très conservateur site The Pillar citait de larges pans de la lettre envoyée en septembre à tous les pères synodaux par l’un des cardinaux signataires de ces dubia : Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong. Dans ce pamphlet, il compare le synode à un « plan de manipulation » et, comme ses confrères opposants, dénonce la présence de laïcs au synode –avec droit de vote–, ce qui saperait l’autorité des évêques.
D’ici au 29 octobre, date où doit se conclure la première phase de ce synode, il faut s’attendre à d’autres coups portés à cette assemblée d’un genre nouveau d’un point de vue universel mais utilisant la méthode de tous les synodes diocésains : une consultation de la base (dans les paroisses, les aumôneries, les quartiers) et des décisions promulguées par l’évêque après un vote de l’assemblée synodale.
Certes, François refuse de voir dans le synode un « parlement » et rejette les « polarisations », comme il l’a asséné dans son homélie lors de la messe d’ouverture de cette assemblée, concélébrée avec les nouveaux cardinaux. Citant le pape du concile Vatican II, Jean XXIII, il préconise une « Église hospitalière » qui « ne cherche pas d’échappatoires idéologiques, ne se barricade pas derrière des convictions acquises, ne cède pas aux solutions faciles, ne se laisse pas dicter son agenda par le monde ».
Néanmoins, l’Église catholique apparaît aujourd’hui de plus en plus bipolaire, tiraillée entre ceux qui ne veulent rien changer et ceux qui veulent au contraire trouver de nouvelles formes de conversation avec le monde. Il semble que le pape François voudrait des changements en profondeur mais il n’est nullement assuré de pouvoir les mettre en œuvre.
De plus, le fait d’avoir créé une majorité de cardinaux n’indique en rien que le prochain pape, tout bergoglien qu’il soit, poursuivra l’entreprise de rénovation démarrée en 2013. Le cas du cardinal Bustillo prouve que ce sera beaucoup plus compliqué et que l’on peut tout à fait se sentir proche pastoralement de François tout en partageant les idées de ses opposants. La tâche de ce synode est donc rude : il peut certes compter sur le pape pour rénover l’Église, mais il se sait aussi sous la surveillance des adversaires de François, bien décidés à le faire échouer. Aujourd’hui ou demain.