Recension Gilles Castelnau.
Ce livre coupe le souffle. José Arregi y insuffle à chaque page un élan de vie si enthousiaste et communicatif que le lecteur se sent emporté dans le grand mouvement d’un Dynamisme créateur heureux. La considérable culture théologique et humaine de l’auteur lui permet de nous montrer une relation profonde entre le christianisme et certaines religions orientales, de faire d’intéressants rapprochements interreligieux et par là même de nous ouvrir à une connaissance spirituelle bien plus large que les habituelles prières liturgiques de nos églises catholiques ou protestantes dont tant de nos contemporains ne veulent plus.
Il nous libère des conceptions religieuses étriquées qui hantent nos esprits – et nos paroisses – et nous maintiennent trop souvent dans la situation lamentable d’individus sempiternellement coupables, infantilisés devant un Être tout-puissant dont on devrait tout attendre dans notre existence quotidienne à la condition d’admettre des affirmations historiques tout à fait incrédibles de nos jours. De nouvelles conceptions de Dieu sont désormais nécessaires et José Arregi nous propose de les découvrir.
C’est un assez gros livre et il faut de la patience et de la ténacité pour en venir à bout, mais il est écrit de manière si claire et nous présente les choses de façon si quotidiennes, que sa lecture est non seulement intéressante, mais qu’elle nous attache comme le ferait un bon roman ! Ce n’est certainement pas de tous les livres théologiques que l’on peut en dire autant !
En voici des extraits significatifs :
Le symbole Dieu au-delà de sa signification
Maître Eckhart a enseigné que tout ce que nous faisons et pensons à propos de Dieu concerne davantage nous-mêmes que Dieu. Karl Barth nous a souvent rappelé que lorsque nous parlons de Dieu, c’est un être humain qui parle.
Comment dieu est né et a grandi
De la révolution néolithique à la naissance de dieu
Le théisme naît et se développe à l’âge des métaux, lorsque l’agriculture s’intensifie, que la population augmente, que des villes sont construites et que des temples sont érigés dans les villes. Les tâches se spécialisent, la société se complexifie. Il faut des mythes, des lois, des chefs, une autorité, des fonctionnaires pour transmettre les ordres du chef à tous, les faire appliquer et garantir l’ordre.
[…]Un dieu est alors devenu nécessaire pour donner cohésion, sécurité et légitimité ultime à une coexistence ordonnée et hiérarchisée dans une situation de conflit et d’incertitude, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Jésus et la tradition chrétienne : la Pâque de Dieu
Maître Eckhart : qui voit Dieu ne voit rien
Ne faire qu’un avec Dieu. Si nous nous dépouillons entièrement de nous-mêmes, de tout ce qui dans notre être constitue forme, dualité et opposition, et même de nos idées sur Dieu, affirme Eckhart, dans notre être le plus profond, nous serons totalement un avec l’ÊTRE pur qu’est Dieu. Entre l’être humain et même — bien qu’Eckhart ne le dise pas — entre chaque être et Dieu, il y a une non-dualité radicale, non pas parce que Dieu s’identifie à une forme quelconque, mais parce qu’il est la profondeur de toute forme, et parce que la Profondeur et la forme ne sont pas vraiment deux, bien qu’elles ne soient pas non plus une seule et même chose et qu’elles ne puissent pas être identifiées. C’est pourquoi le Maître a dit : « O Dieu, délivre-moi de Dieu ».
Dietrich Bonhoeffer à la prison de Tegel : devant Dieu sans Dieu
« Vivre devant Dieu sans Dieu ». En ces temps terribles de l’Europe de la Seconde Guerre mondiale, en regardant Jésus abandonné sur la croix et ses compagnons dans la prison militaire de Tegel, Bonhoeffer est plus conscient que jamais que le dieu omnipotent d’en haut n’existe pas. « Einen Gott den es gibt, gibt es nicht », écrit-il (« un dieu qu’il y a, il n’y a pas » : il n’y a pas de dieu comme il y a des entités, comme il y a un arbre au bord de la route). Pourtant, au plus profond de lui-même, dans le monde agité et dans les yeux de ses compagnons de détention, il perçoit une Présence sûre, le désir, l’aspiration et l’inspiration qui animent tout, la puissance du bien plus forte que la mort. Il n’y a pas de dieu, mais nous pouvons vivre en Dieu, vivre en paix et tout perdre ou tout donner en paix malgré tout, et gravir les marches de l’échafaud, comme Bonhoeffer les a gravies, nu, libre et en paix. Le secret est de savoir regarder, percevoir, sentir, sympathiser, fraterniser, vivre plus profondément.
Théologie métaphorique et métaphores de Dieu
Le mot Dieu comme métaphore
Dans la première partie, je me suis référé à Dieu comme symbole. On pourrait également dire que le terme Dieu est une métaphore.
Eugenio Trias : sept métaphores de Dieu
La Réalité sacrée est mère qui engendre, père qui libère, toi intime au plus intime du moi, parole qui appelle, message et compréhension, mystère et silence au-delà du mot, compagnie amicale. Ces éléments peuvent être considérés comme sept « noms de Dieu » en tant que Réel créateur se créant lui-même en tout.
Les métaphores ne nous lient pas, mais nous lancent, et en chemin elles nous ouvrent à de nouvelles métaphores. Des métaphores toujours humbles qui révèlent le Réel qui nous fait être et que nous faisons être. Le feu, la flamme, la lumière. Ou l’eau qui coule et nous fait vivre. Ou Source, Réalité source. Ou Profondeur, d’où émerge constamment tout ce qui est réel et vrai. Ou Créativité, potentialité autocréatrice inépuisable qui anime tout ce qui est, depuis là où l’onde et la particule sont indiscernables jusqu’au fond de l’univers en expansion. Ou Conscience cosmique que nous incarnons. Ou Mémoire cosmique dans laquelle tout revit. Ou Relation universelle. Ou Silence révélateur. Ou Énergie originelle. Ou Souffle, Esprit, Âme de tout. Ou Toi, Moi, Nous. Ou Dieu.
Du dieu créateur externe à la Créativité sacrée
La première métaphore biblique : Dieu créateur
Dieu n’est pas Quelqu’un qui a allumé la première étincelle, il n’est pas la Première Cause externe de quelque chose d’autre. Il n’est pas l’explication de quoi que ce soit, mais le nom du Mystère de la lumière et de l’énergie de tout, le nom du dynamisme pur, de la relation universelle qui meut tout ce qui est, de la créativité et de la potentialité infinie et sans forme qui anime toutes les formes.
[…]Émergence, irréductibilité, indéterminisme
La créativité signifie également qu’il n’y a pas de déterminisme absolu. L’univers auto-créatif est une réalité ouverte. L’avenir est imprévisible, car nous ne pouvons pas connaître tous les facteurs émergents qui le façonneront ni toutes les nouvelles lois auxquelles il obéira.
[…]Mais pourquoi continuer à utiliser le nom trompeur de Dieu pour désigner le caractère sacré de la réalité universelle ? S. Kauffman répond : « parce que Dieu est le “symbole le plus puissant que nous ayons créé” ». Je ne sais pas si c’est une raison suffisante, mais le fait est que des milliards d’êtres humains utilisent encore la métaphore Dieu (dans toutes ses versions) pour désigner ce qu’il y a de plus réel, de plus sacré et de plus indicible dans le réel : la Créativité qui l’anime et qui nous interpelle.
Des révélations à la diaphanie divine
La Réalité se révèle comme Tout
Dieu n’est pas Quelqu’un qui se révèle soi-même ou qui révèle des mystères cachés ou des vérités immuables. Il est le Cœur du monde qui se révèle en toute chose comme Profondeur créatrice, comme horizon infini de la bonté créatrice que nous pouvons créer.
Diaphanie de Dieu dans le monde
La diaphanie nous fait sortir du cadre dual suggéré par la révélation : ce n’est pas qu’un dieu, comme s’il enlevait un voile, révélait des mystères, des desseins, des vérités, pour qu’ils deviennent des « objets » de la connaissance ou de la vision humaine. Diaphanie signifie « transparence » de Dieu en toute chose, non pas comme sujet qui révèle, ni comme objet révélé, mais comme pure transparence sans sujet ni objet, pure vision, pure lumière.
Jésus, figure de la résurrection universelle
Qu’ont-ils confessé, qu’est-ce que nous confessons ?
Que signifie pour nous « croire » en la résurrection ? Il n’est pas important de croire ou non à un tombeau vide, à des apparitions miraculeuses, tout comme il n’est pas important de croire ou non qu’il a été conçu et qu’il est né d’une mère biologiquement vierge.
[…]C’est reconnaître et revivre le fait que Jésus avait raison, que le coeur a raison, qu’aucune condamnation, aucune croix, aucun enfer n’ont le dernier mot, que nous sommes entre les mains de la Vie et que tout cela est entre nos mains. Dans la mesure où notre vie est transformée, Jésus est ressuscité en nous.
Dieu au-delà du personnel et de l’impersonnel
Prier Dieu, devant Dieu, avec Dieu ou sans Dieu
La Réalité insondable est une liturgie cosmique qui s’étend du cœur de l’atome à l’univers/multivers sans fin. Les deuils et les fêtes, les rires et les pleurs, les danses et les gémissements, la clameur des humains, le silence du désert, le bruissement de la forêt, le murmure de la fontaine, tout se dit, tout prie, tout est comme une invocation sans fin. Prier, c’est se joindre à l’éternelle prière créatrice de l’univers/multivers. Prier, c’est se fondre dans la prière créatrice universelle : « Il dit : Que la lumière se fasse. Et la lumière se fit ». L’univers est une prière, une communion éternelle d’intercession universelle. Et Dieu n’est pas Quelque chose ou Quelqu’un de particulier auprès duquel nous intercédons pour quelque chose ou quelqu’un, mais l’ Âme et le Souffle de cette communion d’intercession universelle.
http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1734.htm