L’homme qui avait planté une vigne
Michel Deheunynck.
Eh bien décidément, de dimanche en dimanche, avec toutes ces paraboles, nous sommes toujours en pleine vigne, en plein milieu viticole… Voilà cette fois l’histoire d’un homme qui avait acheté un terrain et y avait planté une vigne. Cette vigne, c’était toute sa vie. Il y avait beaucoup donné de son temps et de ses économies. Il était si heureux de la voir fleurir et donner du fruit. Il l’avait clôturé. Il avait construit un pressoir, bâti une tour. Sa vigne, c’était tout pour lui ! Et puis, il a dû quitter le pays et c’était dur de s’en séparer. Alors, il l’avait confiée à des vignerons. Il envoya du monde pour récolter le produit de sa vigne et aussi pour avoir des nouvelles : si sa vigne, ses ceps étaient en bon état, sans maladie… C’est qu’il y tenait, un peu comme si c’était son enfant. Et, comme on vient de le lire, ça s’est plutôt mal passé : des coups reçus, des outrages, et même jusqu’à la mort de son propre fils.
Les vignerons ne le connaissaient plus, ne voulaient rien entendre. Alors, que faire ? Laisser tout tomber ? Tout recommencer ? Après tout ce que cette vigne lui a coûté ! C’est vrai qu’on pourrait se dire : après tout, ce sont les vignerons qui, désormais, s’occupent de cette vigne. Elle est donc à eux. Comme les travailleurs qui sont ceux qui produisent, par leur travail, la richesse de l’entreprise. Mais ce patron-là, il n’est pas comme les autres. Dans cette parabole de Jésus, Dieu, puisque c’est bien Lui, ne se décourage pas devant ceux qui rêvent de prendre sa place, de devenir propriétaires à sa place, devant ceux qui ont tué son Fils et même le tuent encore aujourd’hui. Quand un système religieux prétend s’approprier Dieu, se sacralise lui-même en se prenant pour Lui. Quand ceux qui ont la responsabilité de sa vigne, les pharisiens, les grands prêtres, les gardiens du Temple se replient sur leur institution, s’enferment sur leur pouvoir, alors, peu à peu, la vigne du maître devient stérile. Et cette parabole, comme d’autres, les conteste radicalement.
Mais comme ce maître, notre Dieu n’est jamais du genre à se résigner, il veut recommencer, encore et encore. Et il va confier sa vigne à d’autres. À nous, aujourd’hui. Parce que Lui, il ne désespère jamais de nous, d’aucun d’entre nous. Oui, c’est bien à son peuple, c’est-à-dire à nous, que Dieu confie aujourd’hui sa vigne, son Royaume. Ses nouveaux vignerons, ce ne sont plus d’abord des chefs religieux, c’est d’abord nous ! Son Royaume n’est pas enfermé dans une religion. Personne ne peut se l’accaparer, même sous le prétexte de le servir. Car dans ce Royaume de Dieu, dans cette vigne du Seigneur, il ne peut être question ni de l’avoir ni du pouvoir. Ce Royaume de Dieu, c’est un monde nouveau que Dieu attend de nous aujourd’hui. Nous en sommes désormais la pierre d’angle, comme dit Jésus en conclusion de cette parabole. La pierre d’angle, c’est celle qui garantit la solidité d’un immeuble. Nous voilà passés du monde viticole à celui du BTP pour nous évoquer cette humanité nouvelle à construire, à bâtir sur de nouveaux rapports sociaux, basés sur la justice et la solidarité. On sait bien que ce n’est pas si simple, mais pour faire tenir bon ce projet, nous avons, nous, une pierre d’angle de grande qualité : celle de notre foi, foi en nous, foi en les autres, foi en Dieu. Cette solidité de la foi, elle n’est pas de l’ordre de l’avoir. La foi, on ne la possède pas, on la cherche ensemble. Elle n’est pas de l’ordre du savoir. La foi, on ne l’explique pas pour convaincre, on la reçoit les uns des autres. Elle n’est pas de l’ordre du pouvoir. La foi, on ne s’en sert pas, on se met à son service.
Et c’est ainsi que nous pouvons être les vendangeurs, les moissonneurs, les bâtisseurs disponibles et désintéressés dont le Seigneur a besoin, sur qui Il peut compter et en qui, cette fois, Il peut vraiment avoir confiance !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ?, p.53