La loi immigration au mépris de la personne humaine
Foucauld Giuliani, Collectif Anastasis ; Benoist de Sinety, Curé de la paroisse Saint Eubert à Lille ; Gabriel Amieux, Collectif Anastasis ; Philippe Demeestère, Aumônier du Secours catholique à Calais
« On ne sait pas trop ce qu’ils vont faire de nous… » En une formule lapidaire, M., Malien d’une trentaine d’années vivant et travaillant dans le domaine du bâtiment à Paris, exprime le sentiment qui domine chez nombre d’immigrés sans papiers ou dotés de titres de séjour de courte durée. Un sentiment où la crainte d’être privé de toute perspective d’avenir, de ne pas être pris en charge en cas d’accident grave ou bien d’être tout simplement expulsé du pays en dépit de sa participation au fonctionnement de l’économie de celui-ci l’emporte de beaucoup sur l’espoir de voir son travail reconnu à sa juste valeur et sa situation juridique stabilisée.
Voilà à quelles angoisses conduisent les débats politiques actuels dans la « patrie des droits de l’homme ». Le sentiment exprimé par M. et partagé par beaucoup d’immigrés en France est révélateur du climat de mépris de la personne humaine et de ses droits qui grandit dans notre pays. Comment ne pas en ressentir de la honte et de la colère ? Que vaut une nation qui ne sait plus prendre en compte les besoins des plus vulnérables, a fortiori quand elle prétend légiférer à leur sujet ? Quel sens possède une « loi immigration » pour laquelle on ne tient pas le bien-être des immigrés eux-mêmes comme une priorité ?
Un point saillant de ces dernières semaines est en effet l’oubli presque complet de ce qui devrait être une priorité de tout débat sur l’immigration ayant un minimum de décence : la question des conditions d’un accueil et d’une vie dignes des personnes immigrées sur notre sol. Un tel oubli doit beaucoup aux contre-vérités qui ont envahi l’espace médiatique et pris racine dans de nombreux esprits : théorie de « l’appel d’air » selon laquelle ce serait la « générosité » de notre système de protection sociale qui attirerait les immigrés davantage que les difficultés rencontrées dans leur pays d’origine et les inégalités économiques mondiales, conviction que l’État français aurait perdu « le contrôle » de flux migratoires qui le submergeraient continuellement, association entre la figure de l’immigré et celle du terroriste islamiste…
Toutes ces idées, souvent véhiculées par en haut, par des puissants se prétendant risiblement porte-voix des sentiments du « vrai peuple » (par lesquels ils cherchent à légitimer leur dureté), concourent à nouer avec l’immigré un rapport de défiance plutôt que de confiance, à le percevoir comme l’exemplaire d’une masse informe plutôt que comme une personne dotée de dignité. La notion même de confiance est disqualifiée et assimilée à de l’angélisme, comme si cela était contradictoire avec le fait d’exiger de l’étranger le respect de nos lois, ce qui est bien sûr absurde.
Le mépris de la personne humaine qui sous-tend l’élaboration de cette loi immigration est patent dans l’invisibilisation médiatique et politique des principaux intéressés, mais aussi dans le type de mesures envisagées par une majorité de l’échiquier politique : durcissement de l’accès aux allocations sociales, à la nationalité et au regroupement familial, suppression de l’aide médicale de l’État https://collectif-anastasis.org/2023/12/19/la-loi-immigration-au-mepris-de-la-personne-humaine/ (AME), absence de régularisation des sans-papiers, fin de l’interdiction de placer des mineurs en centre de rétention administrative.
Ce mépris est sensible également dans l’omniprésence du discours utilitariste qui tolère l’immigré à condition qu’il soit un travailleur docile peu enclin à exiger des droits ainsi que dans l’injonction qui lui est faite de s’intégrer culturellement tout en le considérant comme la chair à canon la plus corvéable de notre économie et sans lui offrir les moyens d’une intégration par le haut, par exemple en lui proposant un processus solide d’apprentissage de la langue française.
La question des conditions et des moyens de l’accueil est moralement centrale, ce serait une marque de grandeur politique de la remettre à l’ordre du jour. Cela supposerait de rompre avec l’imaginaire catastrophiste qui enveloppe de plus en plus le thème de l’immigration dans notre pays. Il s’agit d’opposer au récit du choc des civilisations celui de leur rencontre, de légitimer l’existence du pluralisme culturel, de combattre l’identification de la religion musulmane au djihadisme, de refuser l’instrumentalisation de la laïcité à des fins antireligieuses, de présenter la mixité et l’égalité comme les véritables antidotes aux tentations identitaires qui traversent inévitablement les communautés coexistant au sein d’une société.
À ces conditions, la France serait fidèle à la meilleure part de son histoire, c’est-à-dire à l’idée d’une nation de citoyens culturellement divers, tournée vers la recherche du bien commun de l’humanité. À ces conditions, parler de vocation chrétienne de la France aurait encore un sens.
- Foucauld Giuliani, Collectif Anastasis
- Benoist de Sinety, Curé de la paroisse Saint Eubert à Lille
- Gabriel Amieux, Collectif Anastasis
- Philippe Demeestère, Aumônier du Secours catholique à Calais
https://collectif-anastasis.org/2023/12/19/la-loi-immigration-au-mepris-de-la-personne-humaine/
Ce texte a été publié dans les colonnes de La Croix le 18 décembre 2023.