Apprendre à dire « Je t’aime »
Michel Jondot.
Mc 1, 12-15
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. »
La création est menacée
Catastrophe, nous dit-on : le réchauffement climatique entraîne la disparition de la planète ! La violence déchire l’univers : otages décapités, chrétiens persécutés. Les inégalités s’accroissent : les plus pauvres, dans une indifférence quasi générale, quittent leur pays, sombrent dans la mer. Bien sûr, on ne peut rester sourds à ces propos, mais s’engager dans les chemins où on les profère est peut-être dangereux. On risque de s’embourber et de sombrer dans le désespoir. Si nous marchons sur ce terrain, faisons demi-tour.
« Faire demi-tour » est sans doute la meilleure façon de faire comprendre l’impératif de Jésus : « Convertissez-vous ! » Autrement dit, « changez de direction ! ». C’est ce déplacement qu’opère Jésus au début de la marche qui le conduira à Jérusalem, au lieu où il ressuscitera. Il était avec les bêtes sauvages, dans le désert, mais en compagnie des messagers de son Père (« Les anges le servaient »). Il faut échapper aux monstres menaçants et retourner là où l’on vit : « Jésus partit pour la Galilée », là où il avait grandi, là où il est connu, là où il a été aimé. « Jésus partit pour la Galilée… Il disait « Convertissez-vous et croyez en l’Évangile. » « Croyez en l’Évangile ? » Oui, croyez que là où l’on rencontre la société, là où, malgré les accrocs inévitables, on se parle librement, là où l’on s’estime malgré tout, la vie est sans cesse nouvelle, belle et bonne.
À l’heure de la souffrance
La douleur de vivre ne concerne pas seulement l’avenir de la planète. Comment croire que la vie est belle lorsque nous touche un deuil cruel : on perd son mari, son épouse, son fils ou sa fille. Un mal incurable nous a atteints : on ne peut plus rien pour nous, le médecin nous l’a fait comprendre. Notre meilleur ami, notre conjoint nous a trahis. Il nous quitte alors qu’il s’était engagé « pour le meilleur et pour le pire ». Le chômage nous menace et nos projets s’effondrent. On oublie dans ces cas-là les dangers de la planète et le texte de ce jour est insupportable : « Croyez à l’Évangile ! » L’Évangile, une « bonne nouvelle » ? Folie !
Là encore, ne nous laissons pas entraîner sur les chemins du désespoir. « Convertissez-vous ! » Si nous sommes du côté de ceux qui souffrent, tournons-nous du côté de ceux dont nous connaissons l’estime et la tendresse à notre égard. Confions-nous à eux et leur amour changera notre regard. Si, au contraire, nous traversons un temps privilégié, ouvrons les yeux. Ne laissons pas nos amis sombrer dans la tristesse ; entourons-les de notre tendresse. Bien sûr, n’hésitons pas à nous engager au service des plus démunis, des sans-abris, des femmes battues : les causes à défendre sont innombrables. Tout cela c’est de la morale et l’Évangile nous y conduit. Mais la « conversion » dont parle Jésus au désert est peut-être d’un autre ordre. Elle consiste à trouver le chemin où nous souffrirons en vérité avec autrui, où sa douleur sera la nôtre. En quoi est-ce une « bonne nouvelle ? »
En souffrant sa passion, Jésus rejoignait chacun d’entre nous au plus profond de sa détresse. « J’ai versé telle goutte de sang pour toi » : Pascal entendait ce message en méditant la Passion de Jésus. Ce faisant, Jésus transformait le mal en promesse ; tel est le dernier mot de l’Évangile, la Bonne Nouvelle. Partager en vérité, comme le pain dans un repas, la souffrance d’un seul revient à entrer en compassion, à partager la Passion de Jésus. Et, si nous avons la foi, la souffrance est Espérance. C’est une « Bonne Nouvelle » : croyez à l’Évangile !
« Allons de l’avant »
En lisant ce texte de Marc j’ai eu présente à l’esprit la mort de Sœur Marie-Boniface. On la connaît bien : ses œuvres illustrent généreusement ce site. Au moment où « elle allait dans le mur » comme on dit vulgairement, c’est-à-dire à l’instant de sa mort, avant son dernier souffle, elle a prononcé ces simples mots : « Allons de l’avant ! ». C’est qu’en réalité, elle savait que ce mur était une porte. « Je suis la porte », avait dit Jésus. Quittant ce monde qui bien souvent est pire que le désert où Jésus vécut quarante jours, elle savait qu’elle quittait un univers où les puissants de ce monde sont pires que des bêtes sauvages, mais elle croyait que le chemin existe qui conduit à travers des communautés humaines où l’on peut s’aimer, tant bien que mal, jusqu’au seuil de ce monde inconnu où règne l’Amour et où Jésus nous attend.
Le Carême commence. Temps de Pénitence ? Si vous voulez, mais surtout temps où l’on rend grâce pour les capacités d’aimer semées en notre cœur, pour ceux qui nous entourent, qui nous aiment et que nous aimons. Temps pendant lequel il faut réapprendre à dire « je t’aime ».
« Heureux les cœurs purs ! »