Corruption au Vatican et procès hors des normes
Régine et Guy Ringwald.
La sentence rendue le 16 décembre 2023 par le Tribunal pénal de l’État de la Cité du Vatican dans le procès Becciu, pour spectaculaire qu’elle soit – un cardinal des plus en vue de la Curie condamné à la prison -, non seulement ne clôture pas l’affaire de « l’immeuble de Londres », mais pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Ce procès, qui a remué bien du monde et bien des aspects sombres de l’État du Vatican, laisse à tout le monde un goût amer. Il devait changer d’époque en instaurant un mode plus de notre temps – un procès pénal – pour sanctionner ce qui est présenté comme une somme de délits et de crimes concernant dix personnes et quatre sociétés dépendant de ces mêmes personnes.
Le procès Becciu apparaît dans les faits comme un procès hors des normes communément admises dans un État de droit. Il met au jour l’opposition de la Secrétairerie d’État (personnifiée ici par le cardinal Becciu, ex-numéro 3 du Vatican) aux réformes de la gestion financière du Vatican voulue par le pape et initiée par le cardinal Pell. Il révèle certaines mœurs de la Curie : réseaux personnels, culture de l’espionnage interne, utilisation discrétionnaire de fonds dont le volume donne le vertige.
Après deux ans et demi d’une procédure parfois étrange, l’affaire n’est pas close par la sentence du 16 décembre 2023. Un procès en appel est d’ores et déjà réclamé tant par les accusés maintenant condamnés que par le procureur. Ce qui conduit à refaire le procès, sans doute pas avant la fin de 2024… Sous quelles formes et pour durer combien de temps ? Avec (normalement) d’autres juges, mais avec le même procureur, et peut-être le risque que d’autres personnes soient appelées, voire impliquées. Le déroulement du procès, comme déjà l’instruction et l’acte d’accusation donnent à voir, et que la sentence ne peut pas clore, en disent déjà trop sur le fonctionnement du Vatican pour que le titre de l’article de La Croix, « La Curie sous le choc », ne soit pas pris avec tout son poids. Au-delà du Vatican, au-delà de la Curie, c’est la tête de l’Église catholique qui est atteinte, comme elle l’est déjà par la manière dont est traité le cas Rupnik, pour ne citer que le dernier exemple.
La première grande conclusion qu’on peut tirer de cette histoire est l’incroyable légèreté avec laquelle sont traités les investissements. Les hommes en charge de ce rôle sont canonistes ou diplomates, et leur mission première n’est pas de gérer des centaines de millions. On a cité, à propos de cette affaire, un investissement abandonné dans les pétroles en Angola. On a pu voir les énormes sommes d’argent manipulées par des hommes qui n’ont pas été formés. On a vu qu’ils pouvaient faire appel à des financiers douteux qu’ils ne savaient pas choisir et qu’ils ne contrôlaient pas. On a compris que le denier de Saint-Pierre pouvait être mobilisé là où il n’a rien à faire. On a pu voir aussi l’étendue des commissions payées aux intermédiaires financiers par les organes de la Secrétairerie d’État.
Le procès Becciu était le deuxième volet des réformes que le pape François avait entreprises, le premier concernait les finances. Sur cette autre question, des avancées sont tangibles, mais on aura pu constater les résistances de la Secrétairerie d’État, qui ont conduit le pape à dessaisir cet organe central du Vatican de toute possibilité d’intervention, au point d’affaiblir considérablement l’organisme le plus proche du pape. L’affaire Cecilia Marogna, référence à l’agente spéciale recrutée par le cardinal Becciu, a mis au grand jour le fait que le Vatican paie des rançons aux preneurs d’otages. On pouvait s’en douter, mais les États font en sorte que ce ne soit jamais connu officiellement. Les capacités judiciaires du Vatican ont été mises à mal dans le procès qui s’est tenu à Londres contre le financier Gianluigi Torzi. Et que dire de la guerre interne permanente qui règne dans la maison : lettre anonyme glissée sous la porte d’Edgar Peña Parra, Substitut à la Secrétairerie d’État qui a succédé au cardinal Becciu en 2018, écoutes téléphoniques, notamment entre la Secrétairerie d’État et le Secrétariat à l’Économie ? Sur ce dernier point, un procès est intenté par Libero Milone, professionnel chargé de l’audit de toutes les structures de la Curie romaine, qui assistait le cardinal Pell au Secrétariat de l’Économie et s’était heurté à l’opposition du cardinal Becciu et d’Alberto Perlasca, son adjoint à l’époque des faits. Libero Milone avait été, selon toute vraisemblance, démissionné abusivement.
Bien peu de commentaires sont venus de membres de la Curie. Les quelques échos rendus publics restent anonymes. Ils font état d’un « choc », d’un sentiment d’insécurité. Remarquons qu’à un moment où diverses décisions du pape François soulèvent des polémiques, la sentence du procès Becciu s’entoure d’un épais silence. Ce procès aura participé à flétrir, c’est peu dire, l’image du Vatican.
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Source : Golias Hebdo n° 803, 8-14 février 2024