Récupérer l’égalité des sexes dans le christianisme
Juan José Tamayo.
« Sans les femmes, le christianisme n’aurait peut-être pas vu le jour ».
« Démasculiniser l’Église ».
Lors de son audience devant les membres de la Commission théologique internationale, composée de 25 hommes et de 5 femmes, le Pape François a déploré la faible présence féminine, il leur a dit que « l’un des grands péchés que nous avons commis est de masculiniser l’Église » et qu’il était nécessaire de « la démasculiniser, et de le faire à partir de la théologie ». Dans cet article, j’essaierai de fournir une base théologique et biblique à cette tâche importante et nécessaire confiée par François aux membres de la Commission théologique internationale. J’espère que ce raisonnement leur sera utile et facilitera leur travail tout en contribuant à la création de communautés chrétiennes qui mettent en pratique l’égalité et la justice entre les sexes.
Les religions se sont toujours mal entendues avec les femmes
Dans son ouvrage « La Cité des dames », publié au début du XVe siècle, l’écrivaine française Christine de Pisan note l’écart entre l’image négative que les hommes ont des femmes et la connaissance qu’elle a d’elle-même et des autres femmes. Les hommes affirmaient que le comportement des femmes était plein de vices, un jugement qui, selon Christine, témoignait de la bassesse d’esprit et de la malhonnêteté. Elle, en revanche, après avoir parlé à de nombreuses femmes de son temps qui lui ont confié leurs pensées intimes et étudié la vie de femmes prestigieuses du passé, leur a reconnu le don de la parole et une intelligence particulière pour l’étude du droit, de la philosophie et du gouvernement.
Cette situation se répète aujourd’hui dans la plupart des religions, qui sont configurées de manière patriarcale et n’ont pas fait bon ménage avec les femmes. Souvent, les femmes ne sont pas considérées comme des sujets religieux ou moraux, elles sont donc placées sous la direction d’un homme qui les guide sur le chemin des « vertus féminines », qu’elles doivent pratiquer de manière patriarcale, telles que l’obéissance (=soumission), la modestie (=invisibilité), le silence (renoncement à la parole, liberté d’expression)), l’humilité (=humiliation), le service (=servitude), l’abnégation (= renoncer à ses propres désirs, affections ou intérêts au profit d’autrui), le sacrifice (= renoncer à son propre projet de vie), la modestie, la prudence, etc. Et tout cela est souvent présenté comme une volonté divine.
On leur refuse le droit à la liberté de choix, en partant du principe qu’elles en font un mauvais usage. On leur interdit d’assumer des responsabilités managériales au motif qu’elles n’en ont pas la capacité et qu’elles sont irresponsables par nature. Elles sont exclues de l’espace sacré parce qu’elles sont impures et incapables de représenter Dieu. Elles sont réduites au silence parce qu’on pense qu’elles sont bavardes et qu’elles s’expriment de manière inappropriée.
On leur fait subir toutes sortes de violences : anthropologiques, en les considérant comme inférieures ; morales, en leur déniant la capacité de se guider elles-mêmes ; religieuses, en leur rendant difficile l’accès direct au sacré ; symboliques, en les considérant comme mineures ; culturelles, en ne leur reconnaissant pas les mêmes capacités qu’aux hommes ; théologiques, en leur déniant la capacité de penser l’expérience religieuse et en leur interdisant – ou du moins en limitant – le droit d’enseigner, etc.
Le mouvement égalitaire de Jésus de Nazareth
Cependant, les religions auraient difficilement pu naître et survivre sans elles. Par exemple, sans les femmes, le christianisme n’aurait peut-être pas vu le jour et ne se serait peut-être pas répandu comme il l’a fait. Elles ont accompagné son fondateur, Jésus de Nazareth, du début en Galilée jusqu’à la fin sur le Golgotha. Elles ont parcouru avec lui les villes et les villages en proclamant l’Évangile (= la bonne nouvelle de la libération), l’ont aidé avec leurs biens et ont participé à son mouvement sur un pied d’égalité avec les hommes.
La théologienne féministe Elisabeth Schüssler Fiorenza a montré dans son livre En mémoire d’elle : Essai de reconstruction des origines chrétiennes selon la théologie féministe (Éditions du Cerf) que les premiers disciples de Jésus étaient des femmes galiléennes libérées de toute dépendance patriarcale, qui s’identifiaient en tant que femmes solidaires d’autres femmes et se réunissaient pour des repas communs, des expériences de guérison et des réflexions en groupe.
Le mouvement de Jésus était un collectif égalitaire de disciples masculins et féminins, sans discrimination fondée sur le sexe. Il n’identifiait pas les femmes à la maternité, comme le montre le texte dans lequel une femme fait l’éloge de la mère de Jésus, la qualifiant de bénie pour sa maternité, et Jésus déclare que sont plutôt bénies celles qui écoutent sa parole et la mettent en pratique. Il s’est opposé aux lois juives discriminatoires à leur égard, telles que le blasphème de répudiation et la lapidation, et a remis en question le modèle familial patriarcal.
Dans le mouvement de Jésus, l’option pour les pauvres et l’émancipation des structures patriarcales étaient harmonieusement combinées. Les femmes ont été les amies, les confidentes et les disciples de Jésus, qui l’ont accompagné jusqu’au moment le plus dramatique de la crucifixion, lorsque les disciples masculins l’ont abandonné.
Dans le mouvement de Jésus, les femmes ont retrouvé la dignité, la citoyenneté, l’autorité morale et la liberté qui leur avaient été refusées par l’Empire romain et la religion juive. Elles ont été reconnues comme des sujets religieux et moraux sans avoir besoin d’une médiation ou d’une dépendance patriarcale. Un exemple en est Marie-Madeleine, figure du mythe, de la légende et de l’histoire, pionnière de l’égalité et icône de la lutte pour l’émancipation des femmes.
Marie-Madeleine est sollicitée aussi bien par les mouvements féministes laïques que par les théologies du genre, qui la considèrent comme un maillon fondamental dans la construction d’une société égalitaire et respectueuse de la différence. Marie Madeleine répond, je crois, au profil d’Ethel Smyth dressé par Virginia Woolf : « Elle appartient à la race des pionniers, de ceux qui ouvrent la voie. Elle est allée de l’avant, a abattu des arbres, a creusé des rochers, a construit des ponts et a ainsi ouvert la voie à ceux qui viendront après elle ».
Les femmes ont été les premières à faire l’expérience de la résurrection, alors que les disciples masculins étaient d’abord incrédules. C’est cette expérience qui a donné naissance à l’Église chrétienne. Raison d’affirmer que sans elles, il n’y aurait pas de christianisme. Parmi les responsables des communautés fondées par Paul de Tarse, un certain nombre étaient des femmes, conformément au principe qu’il a lui-même établi dans la Lettre aux Galates : « il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » (Ga 3,28) et conformément à la liste des femmes ayant des responsabilités dans les communautés de base à Rome, dont il fait l’éloge dans le chapitre 16 de la Lettre aux Romains.
Cependant, les choses ont rapidement changé. Pierre, les apôtres et leurs successeurs – le pape et les évêques – se sont emparés des clés du Royaume et ont pris le bâton, qui n’a rien à voir avec le bâton du berger pour nourrir les brebis, tandis que les femmes se voyaient imposer le voile, le silence et la clôture monastique ou domestique. Cela s’est produit lorsque les églises ont cessé d’être des communautés domestiques pour devenir des institutions politiques.
Quand cette injustice à l’égard des femmes dans le christianisme sera-t-elle réparée ? Nous devons revenir aux origines, plus en phase avec les mouvements d’émancipation qu’avec les églises chrétiennes d’aujourd’hui. Il faut remettre en cause la primauté – la primauté – de Pierre, qui implique la concentration du pouvoir sur une seule personne et empêche l’accès des femmes aux responsabilités partagées et la participation des laïcs aux fonctions de direction de l’Église au niveau local et universel.
Récupérer le christianisme égalitaire et l’autorité de Marie-Madeleine
La condition de disciple de Marie-Madeleine, « Apôtre des Apôtres », reconnaissance qui lui a été accordée dans l’antiquité chrétienne et récupérée par la théologienne féministe Elisabeth Schüssler Fiorenza dans un article du même titre, pionnière de la recherche féministe sur le Testament chrétien, doit être récupérée. Il est nécessaire de faire revivre et de refonder le christianisme de Marie Madeleine, incluant les hommes et les femmes, en continuité avec les prophètes et les prophétesses d’Israël et avec le prophète Jésus de Nazareth, mais pas avec la succession apostolique, avec un accent hiérarchique-patriarcal et clérical marqué, de la théologie scolastique, qui a compris l’Église comme une monarchie.
Ce christianisme a été oublié dans les ruines clôturées de la ville de Magdala, lieu de naissance de Marie Madeleine, que j’ai visitée il y a quelques années, à sept kilomètres de Capharnaüm, où Jésus de Nazareth a vécu à l’époque de son activité publique. Une importante synagogue a été découverte en 2009 lors de fouilles à Magdala. C’est là que se trouve la mémoire subversive du christianisme originel mené par Jésus et Marie-Madeleine, qui a été vaincu par le christianisme officiel.
De ce christianisme enfoui sous les ruines émerge un christianisme libérateur vigoureux, défiant et puissant, à travers les mouvements égalitaires qui émergent en marge des grandes églises chrétiennes, tout comme le premier mouvement de Jésus, de Marie-Madeleine et des autres femmes qui l’accompagnaient pendant son activité publique a émergé en marge.
Il est nécessaire de récupérer l’autorité morale et spirituelle de Marie de Magdala en tant qu’amie, disciple, successeur de Jésus et pionnière de l’égalité. Il est nécessaire de reconstruire la ligne de continuité des mouvements émancipateurs à travers l’histoire et d’établir de nouvelles alliances inclusives, créées à partir de la base et non du pouvoir, dans la lutte contre le néolibéralisme sexuel, contre l’exclusion sociale, politique et religieuse des femmes, qui conduit à la violence patriarcale, et contre la discrimination à l’égard des femmes, qui est de nature intersectionnelle : par la classe sociale, la culture, l’ethnicité, la religion, le genre, l’identité affectivo-sexuelle, etc.