La loi sur l’immigration et l’asile, retour au passé et condensé d’idées reçues
Catherine Withol de Wenden [1].
Adoptée le 19 décembre 2023, la trentième loi votée depuis 1980 « pour contrôler l’intégration et améliorer l’intégration » qui porte sur l’immigration et l’asile en France a été qualifiée de « loi de la honte », par les associations de défense des droits des migrants. Le Rassemblement national s’est félicité de cette lepénisation des esprits (une « victoire idéologique » selon Marine Le Pen). Elle est surtout le fruit du texte adopté au Sénat, qui s’est ingénié à en durcir le contenu pour obtenir un vote favorable de la droite. Immédiatement après son adoption à l’Assemblée nationale, le Président de la République a saisi le Conseil constitutionnel alors qu’il s’est félicité, dans son discours du 31 décembre, de la fermeté du gouvernement sur l’immigration grâce à cette loi. De son côté, la présidente de l’Assemblée nationale en a appelé à ne pas promulguer la loi.
La plupart des idées reçues qui circulaient sur l’immigration y ont trouvé un débouché, car la majorité des Français ont de fausses croyances sur l’immigration, notait François Héran dans son livre, Immigration, le grand déni, publié en 2023 : l’appel d’air (limiter les prestations sociales et sanitaires), les sans-papiers qui freinent l’intégration de ceux qui sont là, les coûts et les avantages, faire la guerre à l’immigration en fermant les frontières pour éviter l’invasion et en rendant la vie impossible aux migrants, réduire l’accès au droit du sol.
Les juristes interrogés par la presse considèrent qu’il s’agit là de la pire loi jamais votée : déshumanisation et précarisation des étrangers et de ceux qui en sont issus, portant atteinte à la dignité humaine et au principe d’égalité, en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’homme et aux traités européens, logique de préférence nationale pour l’accès aux droits sociaux, continuité d’un processus de durcissement progressif de la législation et rupture avec des principes non encore remis en cause (Danièle Lochak, GISTI), mise en œuvre de la préférence nationale dans certains secteurs.
Les démographes et, plus largement, ceux qui se penchent sur les nécessités démographiques et économiques des flux migratoires déplorent que, dans un pays où l’immigration est le principal facteur de croissance démographique comme dans tous les pays développés, et où les étudiants étrangers font de la France le quatrième pays d’accueil, on rencontre une telle frilosité à l’égard des flux migratoires. La population immigrée représente aujourd’hui 10,3 % de la population totale, un chiffre qui situe la France dans la moyenne européenne et où l’accueil des Syriens et des Ukrainiens a été assez faible.
Revenons sur les points principaux de la nouvelle loi
– L’examen du droit d’asile en deuxième instance, devant la Cour nationale du droit d’asile se fera avec un seul juge, ce qui rompt avec la collégialité antérieure, favorable à une décision mûrie pour un verdict qui engage la vie future des requérants dans un contexte où le droit d’asile s’amenuise.
– Des conditions supplémentaires supprimeront la délivrance de plein droit de la carte de dix ans, automatiquement renouvelable acquise en 1984 suite à la « marche des beurs » de décembre 1983, avec suspicions sur les mariages mixtes, les mères d’enfants français, l’état civil à l’étranger et les critères du regroupement familial.
– Renforcement du contrôle des étudiants étrangers avec des droits d’inscription dix fois plus élevés que pour les nationaux, le versement d’une caution considérable pour ceux venus du sud et des difficultés accrues pour accéder au marché au travail une fois terminées les études en France, ce qui est contradictoire avec l’affichage de l’attractivité de la France dans le monde et de la francophonie.
– Développement des mesures d’éloignement et des refus de séjour.
– Accroissement des pouvoirs de contrôle de l’administration et de la police sur les régularisations, les critères d’admission des familles, rétablissement du délit de séjour irrégulier.
– Accès aux droits sociaux (prestations familiales, hébergement d’urgence, aide médicale d’État, Aide personnalisée à l’autonomie, accès au logement) remis en cause sous des conditions très strictes avec des aspects qui s’apparentent à la préférence nationale.
Remise en cause du droit du sol : une régression
Il s’agit là d’un retour autour au passé, celui de la loi Pasqua de 1993, qui cédait au thème des « Français de papiers », des « Français malgré eux », un thème favori à partir de 1985 pour le Club de l’Horloge, cercle de réflexion du Front national. Une commission des Sages, présidée par Marceau Long s’était réunie en 1988 et 1989 et avait conclu à l’absence de nécessité de réformer le droit de la nationalité, héritage d’une loi de 1889 destinée à « faire des Français avec des étrangers », suivie par des réformes successives en 1927 et 1973 élargissant les bénéfices du droit du sol (électorat et éligibilité).
Cette mesure, qui demande à nouveau aux mineurs nés en France de manifester par un acte de volonté auprès de l’administration leur désir d’acquérir la nationalité française avant la majorité a été mise en œuvre jusqu’en 1998 et barrait l’acquisition de la nationalité aux auteurs de délits, même mineurs, comme la récidive, tout en occasionnant une importante bureaucratie et des risques d’oublis de se manifester de la part des mineurs. Suite à un rapport de Patrick Weil, la loi Guigou de 1998 est revenue à l’équilibre droit du sol/droit du sang caractéristique de la France.
Dans l’entre-deux-guerres, le thème de la restriction du droit du sol était répandu dans les courants de l’extrême droite, et la déchéance de nationalité a été pratiquée pendant le régime de Vichy à l’encontre des naturalisés juifs. Aujourd’hui, tous les pays européens, initialement de droit du sang, ont adopté, sauf l’Italie, l’équilibre droit du sol/droit du sang entre les années 1990 et 2000 pour mieux incorporer des nouveaux venus, prenant conscience qu’ils étaient devenus des pays d’immigration d’installation, ce qui nécessitait d’être plus inclusif grâce à davantage de droit du sol. Même l’Allemagne, très attachée à son droit du sang inscrit dans une loi datant de 1913 et emblématique de sa définition de la nation fondée sur la langue, la culture plus que sur le sol y a procédé en 2000. L’Italie conserve le droit du sang à cause de son importante émigration à laquelle elle permet la réacquisition de la nationalité italienne avec liberté d’installation en Italie. Les pays de droit du sol, non conquis par Napoléon 1er qui avait instauré dans le Code civil le droit du sang conformément aux vœux des philosophes des Lumières qui le trouvaient plus émancipateur que le droit du sol attachant le paysan à la terre, sont restés fidèles au droit du sol, comme le Royaume-Uni et ses colonies, États-Unis, Canada, Australie. Une fois leur indépendance acquise, ces pays ont conservé le droit du sol, qui permettait d’inclure plus rapidement les nouveaux venus en leur accordant la nationalité par la naissance dans ces terres d’immigration de peuplement. Une mesure qui a aussi permis d’attribuer la nationalité américaine aux esclaves (Aristide Zolberg, A nation by design, Harvard University Press, 1996).
La remise en cause du droit du sol facilite la mise en œuvre de la préférence nationale aux Français de naissance, c’est-à-dire du fait du droit du sang (qui caractérise l’essentiel des Français) et contribue à souligner l’illégitimité des nouveaux venus par rapport aux Français dits « de souche », une approche contradictoire avec l’objectif d’intégration dans un pays qui, comme ses voisins européens, est dépendante de l’immigration pour son marché du travail, son équilibre démographique, sa créativité ainsi que pour son rayonnement international.
[1] Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche émérite au CNRS.