Aimer jusqu’à ne pas juger
Michel Deheunynck.
La pointe de ce texte, comme de tout l’Évangile d’ailleurs, c’est l’Amour de Dieu pour notre monde, pour notre humanité, au point d’y être venu lui-même s’y impliquer en Jésus. Et cet amour pour nous va jusqu’à renoncer à nous juger. Non, s’Il nous a envoyés Jésus, ce n’est pas pour nous juger, vient de nous dire Saint-Jean.
Que Dieu soit Amour, ça, on le savait déjà, on le dit souvent, on le chante souvent et, si on a pris la peine de venir ce matin, c’est aussi un peu pour ça quand même. Mais cette période de Carême est peut-être l’occasion de creuser un peu plus le sens de cet Amour dans nos vies de croyants ou en recherche de cet Amour, un Amour sans jugement. Sans jugement au moins envers telle ou telle personne, parce que, bien sûr, au nom de cet Amour de Dieu, on peut être amenés à juger et à contester tel ou tel système d’organisation sociale ou même religieuse qui justement, empêcherait les uns et les autres de s’aimer.
Être chrétien, ce n’est pas d’abord une identité cultuelle, c’est d’abord reconnaître Jésus comme notre ami, notre pote aujourd’hui encore, comme notre complice pour relever les défis de nos vies en humanité. Être chrétien, c’est d’avoir comme Dieu, ce mec-là qui a déjà changé tant de choses dans notre histoire de croyants et qui continue encore à nous faire changer, à nous faire franchir des passages dans la façon de nous reconnaître comme ses amis. Je vous propose quelques-uns de ces passages :
1- Si Dieu, c’est vraiment lui, Jésus, alors, Il n’est plus là-haut, au ciel ou au Vatican à régner glorieusement et majestueusement. Non, Il est en bas, au milieu de la grande masse des plus petits, des plus fragilisés. Ce qui vient de lui vient de notre terre, de nos combats pour une vie plus juste, plus solidaire entre tous ;
2- Le parti-pris du chrétien n’est pas pour les vertueux, les méritants, les meilleurs, mais pour les exclus, les oubliés, les marginalisés ;
3- C’est le passage du camp de l’ordre établi par les puissants de la société ou de la religion à celui des dérangeants, des non conformes, voire des subversifs comme Jésus qui a bousculé le désordre trop bien établi au temple dans l’Évangile de dimanche dernier : un geste de libération !
4 C’est aussi le passage d’une religion faite seulement de tradition à des chemins de foi toujours nouveaux. Et d’une moralisation faite de règles à respecter, à l’amour sous toutes ses formes, pourvu qu’il soit vrai.
Et n’oublions pas que tous ces passages, Jésus les a franchis lui-même avant de nous appeler à les franchir à notre tour avec lui. Passer d’un dieu qui juge à un Dieu qui aime et qui libère. Passer d’un dieu qui nous met à genoux devant lui à un Christ frère qui nous met tous debout avec lui.
Mais cette libération de tous, nous savons qu’elle passe d’abord par celle des plus laissés pour compte. Car, disait un jésuite, le père Pedro Arrupe « C’est seulement ainsi que l’on peut aimer tous les hommes : en libérant les opprimés de leur oppression et donc les oppresseurs de leur domination ».
Poursuivons donc ce chemin de Carême et bien au-delà avec ce Dieu de Jésus qui a choisi de ne pas être dans le camp de ceux qui se croient bons, mais de passer avec nous dans le camp du « tous ensemble ! », du camp du jugement à celui de l’Amour.
Et comme nous y invite la conclusion du passage d’Évangile que nous avons lu ce matin, que chacun de ces passages soit une lumière de plus pour éclairer notre foi.
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ?, p. 201