Vatican : l’affaire Rupnik se réveille
Régine et Guy Ringwald
L’affaire Rupnik en était restée à l’annonce du pape, autorisant la levée de la prescription afin qu’un procès puisse avoir lieu [1]. L’annonce remonte à fin octobre, depuis : silence. Ce silence vient d’être troublé par de méchants perturbateurs. Le 21 février était organisée une conférence de presse au siège de la Fédération nationale de la presse italienne.
C’était la première fois que deux victimes, anciennes religieuses, Gloria Branciani, italienne, et Mirjam Kovac, d’origine slovène, à qui l’on doit le travail en coulisses pour retrouver et réunir les victimes de Rupnik, acceptaient de parler publiquement, après s’être d’abord exprimées sous pseudonymes. « Nous avons décidé de parler pour nous opposer au “mur de caoutchouc” que les autorités ecclésiastiques ont érigé toutes ces années. » Bishop Accountability était l’instigateur de cette conférence de presse. Basée aux États-Unis, cette organisation tient, depuis 2003, un registre des évêques impliqués dans la couverture d’abus sexuels du fait de membres du clergé. Anne Barrett Doyle, codirectrice, était présente ainsi que l’avocate des victimes, Laura Sgro.
Mirjam Kovac explique : « Personnellement, je n’ai pas été abusée sexuellement, mais seulement psychologiquement. Pendant longtemps, je n’ai pas vu ce qui se passait autour de moi. Nous étions toutes de jeunes filles pleines d’idéaux. Ce n’est qu’après que Gloria a quitté la communauté de Loyola, à Ljubljana, que j’ai commencé à comprendre. Trois ans plus tard, je suis partie à mon tour. Les sœurs qui sont parties sont nombreuses et beaucoup d’entre elles vivent les conséquences de ce qu’elles ont souffert. » Puis Gloria Branciani a exposé le mécanisme psychologique de l’emprise et ses conséquences : « Je me suis échappée de la communauté en 1993 parce que je voulais mourir et ne plus souffrir. J’avais subi la perte totale de mon identité. Je n’arrivais pas à penser à quelque chose de positif pour ma vie. » Elle a repris en détail ce qu’elle a subi, notamment les traces de ce qui pourrait être qualifié de faux mysticisme : les relations sexuelles à trois « à l’image de la Trinité ». « Si je ne me pliais pas à ses exigences sexuelles, il disait que c’était à cause de mon appauvrissement spirituel. » N’en rajoutons pas, ces faits ont été déjà relatés par Golias quand l’affaire a été révélée [2].
Le hasard fait bien les choses. C’est justement ce même 21 février que la salle de presse du Vatican a publié un communiqué pour « informer » sur le développement de l’enquête : « Au cours des derniers mois, suite à la mission reçue du pape à la fin du mois d’octobre, le Dicastère pour la doctrine de la Foi a contacté les institutions impliquées à différents titres dans l’affaire pour recevoir toutes les informations disponibles sur le cas. Ayant élargi le rayon de recherche à des réalités non contactées auparavant, et venant de recevoir les derniers éléments de réponse, il s’agira maintenant d’étudier la documentation acquise afin d’identifier les procédures qu’il sera possible et utile de mettre en œuvre. » Nous voilà renseignés ! Mais la seule information, ici, c’est ce qui n’est pas dit : l’intervention de Bishop Accountability ne laisse pas indifférent au Vatican. Ils ont l’expérience et quelques références : le Chili, puis Mc Carrick. Il faut malheureusement que le scandale devienne public et international pour qu’« ils » bougent.
Les intervenantes de la conférence de presse ont rappelé toute l’opération de dissimulation dont a bénéficié Rupnik, mettant en cause aussi le pape lui-même. On dit qu’il est « agacé » par cette affaire. C’était la même expression qui courait au moment de l’affaire du Chili à propos des laïcs qui refusaient la nomination de l’évêque Barros.
Dans une interview à NCR (National Catholic Reporter), Anne Barrett Doyle juge que la seule mesure prise par François après le sommet mondial sur les abus sexuels (il y a cinq ans), « Vos estis lux mundi », a été de peu d’effet, notamment parce que l’on n’a aucune information ni sur le nombre d’évêques qui font l’objet d’enquêtes, ni sur leur nom. Elle pointe la déficience de la Commission pontificale pour la protection des mineurs : « Ils sont censés surveiller les progrès de l’Église en matière de protection sans être autorisés à examiner les cas individuels. C’est risible et impossible : la vérité n’apparaît que dans les cas individuels. » Anne Barrett Doyle estime que « la commission a été exploitée par le Vatican pour donner l’impression qu’il est responsable devant un organisme semi-extérieur, ce qui n’est pas le cas, et je pense que la commission a perdu sa crédibilité ». Quand on dit qu’« ils » n’ont pas encore compris… En attendant, les mosaïques sont toujours en place. À Lourdes, une commission ad hoc devrait rendre prochainement ses conclusions.
Notes :
[1] Golias Hebdo n° 790 (2-8 novembre 2023) [2] Golias Hebdo n° 751 (12-18 janvier 2023) et n° 787 (12-18 octobre 2023).Source : Golias Hebdo n° 807 (7-14 mars 2024)