Démonter la normalisation du discours antiféministe catholique
Denise Couture [1].
Dans son article sur L’Église et les femmes, Stéphane Bürgi met de l’avant « l’égalité baptismale » dans l’Église catholique romaine. Il prend position pour l’accès des femmes à la prêtrise dans l’Église, car seul cet accès aurait la force de manifester concrètement et véritablement le principe d’égalité des sexes soutenu, en principe, par les dirigeants de l’Église.
On peut honorer le geste et la posture de l’auteur qui publiait sur ce sujet à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars.
Stéphane Bürgi s’engage également dans une interprétation de la vision de la femme selon Jean-Paul II qui exige cependant quelques clarifications.
Selon sa lecture, Jean-Paul II se serait prononcé clairement contre la discrimination envers les femmes et il aurait déclaré avec force l’égalité des femmes et des hommes. Mais, un « réflexe conservateur », lié à une compréhension des rapports entre les hommes et les femmes venue du passé, aurait empêché Jean-Paul II d’aller au bout de la logique de ses propres positions. Il a ainsi conservé l’idée de « caractéristiques féminines » spécifiques et d’un « génie féminin » qui placent la femme du côté de la passivité et l’homme du côté de la production du sens. Jean-Paul II a reconduit de la sorte une hiérarchie des sexes reflétée dans la structure de l’Église, dont l’interdiction, proclamée définitive par le pape, de l’accès des femmes à la prêtrise (dans Ordinatio sacerdotalis, lettre apostolique sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, 1994).
La notion d’égalité selon Jean-Paul II
S’il est pourtant un élément qui ressort des multiples lectures féministes de la théologie de la femme de Jean-Paul II, depuis une quarantaine d’années déjà, c’est bien au contraire que le pape présente une pensée des plus cohérentes.
Car l’égalité entre les femmes et les hommes que soutient Jean-Paul II signifie une égalité en dignité humaine dans la complémentarité des caractéristiques humaines essentielles et des fonctions sociales et ecclésiales. Le pape se démarque de la signification sociale habituelle du terme « égalité » dans les chartes des droits. Il ne s’agit pas d’une égalité de droits, de participation ou de fonctions. Jean-Paul II soutient que les femmes sont également humaines aux hommes. C’est ce qu’il veut dire par « égale dignité humaine », idée immédiatement accolée à celle selon laquelle la femme (au singulier, c’est-à-dire toutes les femmes) possède une vocation spécifique et essentiellement différente de celle de l’homme.
En ce qui concerne la position contre la discrimination envers les femmes, Jean-Paul II la comprenait en sens contraire de la pensée féministe contemporaine. Pour le pape, on discrimine la femme lorsqu’on l’empêche de vivre sa vocation spécifique de mère, physique ou spirituelle, au service désintéressé des autres. Jean-Paul II tient la position insolite qui suit, sans le dire crûment avec ces mots : le féminisme contemporain discrimine la femme, car il veut l’affranchir de son rôle de mère pour lui faire adopter des rôles masculins.
Une pensée qui inverse le sens du féminisme contemporain
Il m’a semblé utile de répondre à l’article de Stéphane Bürgi pour faire ressortir un élément crucial lorsque l’on aborde la question de l’Église catholique et des femmes : la théologie de la femme de Jean-Paul II, réitérée par les papes subséquents jusqu’à François, ne reconduit pas une pensée du passé. Elle représente une création récente et originale en réponse au féminisme contemporain, utilisant l’inversion de sens des termes féministes.
Le même jour de la parution de l’article de Stéphane Bürgi, le 9 mars, le groupe Catholic Women’s Council (www.catholicwomenscouncil.org) tenait une session internationale en vidéoconférence, traduite en cinq langues, sous le thème Critique de l’anthropologie de l’Église catholique et de son impact sur la dignité et l’égalité des femmes. On y a poursuivi la critique féministe de la politique anti-femmes du Vatican. Mary Anne Case, professeure à la University of Chicago a abordé l’originalité de la politique contemporaine du Vatican sur la dignité de la femme. Cette pensée, a-t-elle expliqué, se démarque de la pensée historique sur les femmes qui affirmait leur infériorité hiérarchique par rapport aux hommes. Sa nouveauté consiste à énoncer plutôt une complémentarité des sexes dans l’égale dignité qui sépare les femmes des hommes de manière drastique.
La vision actuelle de la femme développée par les dirigeants du Vatican est une réponse au féminisme. Elle s’avère le choix politique d’une posture frontalement antiféministe : anti-égalité au sens social du terme, anti-contraception, antiavortement, anti-participation des femmes à la pensée théologique, à la gouvernance de l’Église et à l’accès à la prêtrise.
Il importe de la nommer telle. Une lecture édulcorée de la vision de la femme selon le Vatican a pour effet de normaliser sa politique antiféministe aux effets néfastes sur les femmes catholiques et sur toutes les femmes du monde.
Le pape François a témoigné avoir vécu une conversion écologique qu’il a décrite comme un grand retournement. Mary Anne Case a suggéré qu’il a besoin de vivre une conversion intellectuelle en ce qui concerne les rapports entre les femmes et les hommes. Nous attendons ce retournement.
Note :
[1] Denise Couture est professeure associée à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, autrice de Spiritualités féministes. Pour un temps de transformation de relations (Montréal, PUM, 2021), dont le chapitre 5 présente une lecture féministe de la vision de la femme selon les autorités catholiques romaines.