ON N’AIME PAS IMPUNÉMENT
José Antonio Pagola.
Peu de phrases sont aussi provocatrices que celle que nous entendons aujourd’hui dans l’Évangile : « Si le grain de blé ne tombe pas en terre et ne meurt pas, il reste infructueux ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». La pensée de Jésus est claire. On ne peut pas engendrer la vie sans donner la sienne. On ne peut pas faire vivre les autres si l’on n’est pas prêt à « se dépenser » pour les autres. La vie est le fruit de l’amour, et elle jaillit dans la mesure où nous savons nous donner.
Le christianisme n’a pas toujours fait une distinction claire entre la souffrance que l’on peut supprimer et celle que l’on ne peut pas éliminer. Il y a une souffrance inévitable, reflet de notre condition de créature, qui nous révèle la distance qui existe encore entre ce que nous sommes et ce que nous sommes appelés à être. Mais il y a aussi une souffrance qui est le fruit de notre égoïsme et de notre injustice. Une souffrance par laquelle nous nous blessons les uns les autres.
Il est naturel que nous nous détournions de la douleur, que nous cherchions à l’éviter autant que possible, que nous nous efforcions de la faire disparaître de nous-mêmes. Mais c’est précisément pour cela qu’il y a une souffrance que nous devons assumer dans notre vie : la souffrance qui est acceptée comme étant le prix de notre effort pour la faire disparaître de la vie des hommes. « La douleur n’est bonne que si elle fait avancer le processus de sa suppression » (Dorothee Sölle).
Il est clair que dans la vie, nous pourrions nous épargner beaucoup de souffrances, d’amertumes et de contrariétés. Il suffirait de fermer les yeux sur les souffrances des autres et de s’enfermer dans la poursuite égoïste de son propre bonheur. Mais ce serait toujours à un prix trop élevé : en cessant tout simplement d’aimer.
Quand on aime et qu’on vit intensément, on ne peut pas rester indifférent à la souffrance, grande ou petite, des autres. Celui qui aime devient vulnérable. Aimer les autres inclut la souffrance, la « compassion », la solidarité dans la douleur. « Il n’y a pas de souffrance qui puisse nous être étrangère » (K. Simonow). Cette solidarité douloureuse est porteuse de salut et de libération pour l’être humain. C’est ce que nous découvrons chez le Crucifié : seulement celui qui partage la douleur et se fait solidaire de celui qui souffre a la capacité de sauver.
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Traducteur : Carlos Orduña