Vous ne savez pas ce qui est arrivé ?
Michel Deheunynck.
Et souvenons-nous de l’Évangile de dimanche dernier, quand Jésus les rejoint après sa mort, ils ont du mal à y croire. Une illusion ? Une hallucination ? Un esprit ? Un fantôme ? Mais Jésus n’aime pas qu’on se fasse des illusions ou qu’on croit aux fantômes. Ce qui l’intéresse, c’est notre vie bien réelle, concrète, pratique. Qu’est-ce qu’Il leur demande dans notre texte d’aujourd’hui : à manger ! On s’attendait à tout, sauf à ça ! Alors, ils lui donnent ce qui leur reste, un peu de poisson grillé, c’est tout. Mais ça tombe bien parce que Jésus, il aime ça les restes, les résidus, les déchets. Il aime bien les pêcheurs, les lépreux, les infirmes, les païens, les étrangers, tous ceux qui étaient considérés comme négligeables dans la société bien établie, civile ou religieuse. On a vu comment il tenait à leur rendre leur dignité qui leur était confisquée par les grands.
Et il en faisait même partie lui-même de ce petit reste, lui qui était accusé de faire du mauvais esprit ; de semer la perturbation ; lui qui a été ridiculisé, isolé, matraqué, déshonoré par tous les bien-pensants. Et nous, nous savons qu’en Jésus, Dieu s’est pris d’amour pour ce petit reste d’humanité. Et que c’est avec ce petit reste qu’Il entend faire triompher la vie nouvelle. Voilà le sens de la résurrection qu’il nous propose, surtout en ce temps de Pâques.
Alors, à nous d’en faire, à notre tour, l’expérience aujourd’hui. Avec tous ceux qui sont en galère, tous ceux qui ne comptent pas dans un monde économique bien cruel, souvent réservé aux gagnants. Avec tous ceux qui, comme Jésus, sont des gêneurs, des perturbateurs parce qu’ils sont trop humains. Et puis tous les autres : le migrant qu’on humilie, le révolté sur lequel on s’acharne, le militant qu’on fait chanter, le dissident qu’on remet au pas, le prophète dérangeant qu’on fait taire. Autant de crucifixions aujourd’hui. Jésus a vécu tout cela et il en porte les marques, les clous, les blessures. Non, ce n’est pas un fantôme. C’est bien lui qui est ressuscité et bien vivant avec nous aujourd’hui. Bien sûr, nous n’avons aucune preuve, si ce n’est les témoignages de ce qui s’est passé à Jérusalem. Mais nous l’avons reconnu en tous ceux qui étaient découragés, blessés dans leur cœur, leur tête, leur corps, leur foi et qui se sont relevés, libérés, dans la confiance et la dignité, qui se sont remis à aimer et à prendre goût à la vie, la tête haute. Alors, que ce temps de Pâques soit aussi pour chacune et chacun de nous le temps de cette vie nouvelle, de cette liberté nouvelle que Jésus nous propose toujours de conquérir sur notre vie, sur notre histoire et sur nous-mêmes.
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ? éd. Temps Présent, p. 221