Les hirondelles de Chartres ne feront pas le printemps de l’Église
René Poujol.
La montée en puissance d’un catholicisme identitaire représente aujourd’hui un défi considérable.
Le 42e Pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté prévu pour le week-end de Pentecôte entre Paris et Chartres devrait connaitre un record d’affluence. Avec pour caractéristique essentielle une forte participation de jeunes catholiques. Il y a là, pour certains, matière à prophétiser sur l’avenir de l’Église catholique en France retrouvant enfin les chemins de la Tradition après des décennies d’errances post-concilaires. Si le succès de ce rassemblement est incontestable, son décryptage est sans doute plus complexe. Creuser cette complexité est d’autant plus nécessaire que fleurissent par ailleurs d’autres initiatives marquées par un retour en force de l’apologétique chrétienne comme outil privilégié de la Mission. Et que cette sensibilité catholique, loin d’être majoritaire, dispose désormais des relais médiatiques qui pourraient mettre à mal les médias chrétiens traditionnels, et partant la pastorale officielle de l’Église catholique en France.
« Le Pélé de Chartres, l’avenir de l’Eglise ? » La question a le mérite d’être directe. Certains y liront, sous-jacente, une réponse positive implicite. C’est là le titre d’une vidéo, sur YouTube, du frère Paul-Adrien, religieux dominicain suivi par 358 000 abonnés. Et les 5 clés de lecture qu’il propose en réponse, non sans humour parfois, ne manquent ni d’intérêt ni de pertinence malgré quelques réserves possibles. Chacun pourra se référer à la vidéo qui ne fait que huit minutes trente.
Le désir d’un religieux « qui ne pose pas de question »…
Que nous dit le frère Paul-Adrien ? Que le succès du pèlerinage tient d’abord au fait qu’il propose une démarche qui demande effort physique et exigence spirituelle, en rupture avec un contexte sociétal voire ecclésial de facilité ; que les jeunes apprécient de trouver là la « fierté » d’être et de se montrer catholiques (je suis chrétien c’est là ma gloire), contre la tentation du tout se vaut ; que la jeune génération refuse d’entrer dans la querelle des « rituels » (messe de Pie V contre messe de Paul VI) et à travers son adhésion spontanée à une liturgie ancienne qu’elle trouve belle, invite notre Église à se faire plus accueillante aux « tradis » ; que cela illustre la demande d’une jeune génération pour une approche simple de la religion, au travers de pratiques qui ont fait leurs preuve : pèlerinage, culte des saints, chapelet, adoration… ; et que cela doit nous interpeller sur le fait qu’une autre jeunesse issue, elle, des quartiers populaires, se retrouve ailleurs, en aussi grand nombre, dans une « Marche pour Jésus » initiée par les communautés protestantes évangéliques.
Il y a du vrai dans tout cela. Et l’on sait gré au frère Paul-Adrien de souligner malicieusement, que les initiateurs du Pèlerinage de chrétienté, volontiers accusateurs à l’égard de l’institution catholique qui « n’accepte pas la messe tradi » ne se montrent guère plus ouverts au regard de la messe de Paul VI. Mais à trop se montrer conciliant et compréhensif, il finit par donner le sentiment d’avaliser une démarche qui reste tout de même problématique. « C’est vous qui avez fait le meilleur choix », lance-t-il à l’adresse des jeunes marcheurs de Chartres ! Voire ! Peut-on, sans broncher, se contenter de prendre acte de l’adhésion des marcheurs à une vision de l’Église catholique comme unique voie de Salut ou suggérer que l’avenir de l’Eglise dépendrait de sa capacité à proposer à sa jeunesse ce à quoi elle aspire : « Des pratiques pour lesquelles on ne se pose pas de question » ?
Derrière les « belles liturgies »… un catholicisme antéconcilaire en embuscade.
Ne tombons pas dans les lectures faciles, car trop simplificatrices. Oui les marcheurs de Chartres, notamment parmi les jeunes, recouvrent « une certaine diversité ». Dans une enquête de Famille Chrétienne consacrée aux « Tradis en France » [1] Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, en charge des relations avec les communautés traditionalistes en France fait ce constat que l’on sait partagé : « Un nombre non négligeable de fidèles fréquentent à la fois le pèlerinage du Mont-Saint-Michel, organisé par les aumôneries étudiantes, celui de Notre-Dame-de-Chrétienté ou même des veillées de louange. » L’éventail des pratiques évoquées là reste tout de même limité au regard de la diversité de la jeunesse catholique. Et si cet attrait de nombre de jeunes pour une liturgie qui leur semble les mieux « introduire au mystère de Dieu » doit être pris au sérieux, cela ne peut gommer le questionnement de leur participation à un pèlerinage idéologiquement très marqué.
Il n‘est pas neutre, soixante ans après Vatican II, de proposer un « Pèlerinage de chrétienté ». Voilà une terminologie qui évoque tout à la fois la nostalgie d’un passé objectivement révolu et un projet de reconquête. Il faut lire ce que les organisateurs disent d’eux-mêmes :
Les trois piliers du Pèlerinage : Tradition, Chrétienté, Mission
« En relançant l’historique pèlerinage de Chartres pendant la Pentecôte en 1983, le Centre Henri et André Charlier puis Notre-Dame de Chrétienté ont voulu promouvoir la chrétienté, c’est-à-dire la réalisation dans la vie de la cité de la “royauté du Christ sur toute la création et, en particulier, sur les sociétés humaines” (Catéchisme de l’Église Catholique N° 2105). La vocation première de Notre-Dame de Chrétienté est celle d’œuvrer à la royauté sociale du Christ en pleine application de la lettre encyclique Quas Primas du Pape Pie XI du 11 décembre 1925. “Il est l’unique source du salut, de celui des sociétés comme de celui des individus : il n’existe de salut en aucun autre ; aucun autre nom ici-bas n’a été donné aux hommes qu’il leur faille invoquer pour être sauvés (Acte IV, 12)”. Pour faire connaître et rayonner la royauté sociale du Christ, Notre-Dame de Chrétienté s’appuie sur 3 piliers : la Tradition (que l’on reçoit), la Chrétienté (que l’on vit) et la Mission (que l’on transmet). »
Nous, sommes bien là dans la négation de la liberté religieuse, la prétention d’une Église catholique comme unique détentrice de la Vérité (alors que la Vérité est le Christ qui n’appartient à personne) et unique voie de Salut (ce que ne dit pas le Concile) ; le refus comme hérétique – cher au Syllabus de Pie IX – de toute séparation entre politique et religion, en contradiction totale avec le « Rendez à César ce qui est à César… » ; enfin la prévalence absolue de la Tradition sur la Parole de Dieu et l’Évangile qui n’est jamais cité. Fermer les yeux sur cet aspect des choses au motif de respecter la quête spirituelle de ces jeunes et leur goût déclaré pour de « belles liturgies », fussent-elles contraires aux orientations conciliaires est une forme de lâcheté et de démission.
Mille raisons de croire… et de prouver la supériorité de la foi catholique
Ceci est d’autant plus grave que cet engouement pour Chartres s’inscrit dans un contexte plus large de restauration d’une vision cléricale, sacralisée et totalisante de l’Église. L’apparition récente de 1000 raisons de croire en est la parfaite illustration. Porté par l’Association Marie de Nazareth, et son fondateur Olivier Bonnassies, la démarche entend « développer une grande action collective de promotion de la foi chrétienne » à travers un magazine mensuel, une news-lettre, un site internet, une web TV, des livres et livrets orientés sur un travail décomplexé d’apologétique cherchant à établir et populariser des preuves objectives de l’existence de Dieu. Ce n‘est d’ailleurs pas un hasard si Olivier Bonnassies est par ailleurs le co-auteur heureux du livre à succès Dieu, la science, les preuves [2] où il prétend démontrer l‘existence de Dieu par la science. Ce qui est contraire à l’enseignement constant de l’Eglise, sans quoi notre Credo (je crois…) aurait été remplacé par un Scio (je sais…) ! Et le choix des raisons de croire, majoritairement puisées dans un merveilleux chrétien (vie de saints, apparitions mariales, guérisons inexplicables, miracles eucharistiques et autres histoires providentielles) donne à penser.
Cinq influenceurs de choc pour « rétablir quelques vérités catholiques »
Or c’est cette même structure Marie de Nazareth qui vient de racheter, pour 30 000 €, le compte Tik Tok abandonné en décembre dernier par le père Matthieu Jasseron, influenceur catholique le plus suivi en France avec 1,2 million d’abonnés. Autant de followers, sans doute séduits par la « liberté de ton » du jeune prêtre et dont il n’est pas dit qu’ils restent durablement sous la charge des cinq apologistes [3] recrutés pour le faire vivre « qui entendent bien poursuivre l’œuvre d’évangélisation entreprise, en rétablissant, s’il le faut, quelques vérités tirées de l’enseignement de l’Eglise. » (Famille Chrétienne). On reste rêveur lorsqu’on apprend, par Témoignage Chrétien [4], que Matthieu Jasseron était prêt à céder gracieusement son compte à la Conférence des évêques de France qui aurait pu pressentir et solliciter des repreneurs d’une autre sensibilité ecclésiale, mais s’est défaussé ! Manque de moyens humains ? Indifférence ?
Demain, la messe selon le rite de Saint Pie V disponible dans tout l’Hexagone, en direct sur CNews ?
Et l’on pourrait poursuivre la description du déploiement sous nos yeux, d’initiatives du même ordre qui ont toutes pour objet la restauration d’une France catholique que certains appellent de leurs vœux. Avec cette circonstance particulière que leur promotion n’a plus besoin aujourd’hui du soutien, plus ou moins enthousiaste ou contraint, des médias catholiques globalement fidèles à la ligne pastorale des évêques de France. C’est désormais Vincent Bolloré qui s’en charge au travers de son empire médiatique. Et cette évolution pourrait avoir des conséquences considérables pour l’Église de France. Ce dimanche 19 mai à midi, CNews retransmettra la messe de Pentecôte en direct depuis le pèlerinage de chrétienté. Donc une messe en latin, dos au peuple, selon le rite de saint Pie V. Ce même dimanche le Jour du Seigneur aura installé ses caméras dans le parc de Jambville (Yvelines) où 12 000 collégiens d’Île-de-France sont attendus pour leur grand rassemblement du Frat. C’est l’archevêque de Paris, Mgr Ulrich, qui présidera la célébration et prononcera l’homélie. Les téléspectateurs pourront faire jouer la concurrence !
Qui ne pressent à court terme, une concurrence sans doute peu chrétienne entre des émissions religieuses du service public [5] soucieuses de faire vivre un catholicisme de communion avec Rome, et un « religieux de combat », initié par des laïcs catholiques identitaires bénéficiant du soutien opérationnel de l’empire médiatique de Vincent Bolloré ? Il ne dépendra plus alors d’aucun évêque que la messe selon le rite de Saint-Pie V ne puisse pénétrer, et pourquoi pas tous les dimanches, dans les foyers de l’Hexagone ! Et avec elle une vision du catholicisme droit sortie du XIXe siècle ?
Un vrai printemps pour l’Eglise
Avec pour conséquence ultime la disparition des écrans radars de tout un catholicisme conciliaire d’ouverture et de dialogue également nourri par les jeunes générations, porté par la vision prophétique de synodalité du pape François. Qui relèvera ce défi dans lÉglise en France ? Qui se risquerai à dire que c’est sans doute là, tout autant sinon plus que dans les foules pèlerines de Notre Dame de Chrétienté, que murit dans l’ombre le vrai printemps de l’Église ?
Notes :
[1] Famille chrétienne, n° 2418, semaine du 18 au 24 mai 2024, p.16 à 25. [2] Dieu, la science, les preuves, Tredaniel, 2021, 578 p., 24 €. (Ed. Pocket) est co-écrit avec Michel-Yves Bolloré, le frère aîné de Vincent Bolloré propriétaire entre autres de CNews et Europe 1. [3] Matthieu Lavagna, Frédéric Guillaud, Fabrice-Marie Gagnant, Benoît de Fleurac, Patrick Sbalchiero, [4] Bernadette Sauvaget écrit : « Il (Matthieu Jasseron) a d’abord proposé à la Conférence des évêques de France de reprendre l’intégralité de ses activités numériques. D’après la star des réseaux sociaux, celle-ci n’aurait pas donné suite. [5] Le Jour du Seigneur est, depuis sa création, entre les mains des frères dominicains, mais en dialogue avec les évêques de France.https://www.renepoujol.fr/les-hirondelles-de-chartres-ne-feront-pas-le-printemps-de-leglise