Chemin synodal allemand : les Allemands ne désarment pas
Régine et Guy Ringwald.
Après le coup d’arrêt que Rome avait donné, en février, au processus synodal mis en œuvre par les Allemands, le blocage semblait presque inévitable. La rencontre qui a réuni à Rome une délégation des évêques allemands et les représentants de la curie ne permet pas de savoir si une avancée reste possible. D’un côté, les organes d’information conservateurs et les opposants de toujours continuent leur pilonnage, de l’autre les Allemands prennent des initiatives de nature à faire avancer leurs vues. Le changement de pied du pape François concernant le synode romain touche les sujets portés par le Chemin synodal. Cela ne simplifie pas les choses.
En mars 2023, le Chemin synodal allemand avait adopté un document final qui traitait des différents sujets qu’il s’était appliqué à étudier pendant ses trois années de travaux. Ce document, nous l’avons constaté et expliqué précédemment [1], était très en retrait par rapport aux ambitions d’origine. Cependant, il maintenait les quatre sujets des travaux : la place des femmes et leur statut, la morale sexuelle et l’accueil des homosexuels, le mode de vie des prêtres et le célibat obligatoire, le mode de gouvernance. Sur ces sujets, il manifestait les besoins ressentis par les catholiques allemands quoi que dans des formes bien édulcorées par rapport même au document provisoire voté en septembre 2022. C’est que le Chemin synodal n’a cessé d’être soumis à la pression grandissante de l’opposition de la curie romaine, et y compris du pape François bien qu’il se soit gardé d’intervenir en première ligne.
Ainsi, et cela était apparu comme un blocage définitif, les trois cardinaux en charge de la question [2] avaient envoyé à la Conférence des évêques une lettre comminatoire et même menaçante, à la veille même de la tenue de son assemblée plénière, le 22 février dernier. Cette assemblée avait prévu d’entériner les statuts d’un comité synodal chargé de mettre en place, d’ici à 2026, un nouvel organe de gouvernance, réunissant évêques et laïcs, dénommé Conseil synodal. Prise de court, l’assemblée avait retiré ce point de son ordre du jour [3]. La perspective pour l’avenir du Chemin synodal n’était pas réjouissante ; restait pourtant une possibilité d’ouverture : des rencontres à Rome étaient prévues entre évêques allemands et représentants de la curie.
Une rencontre à Rome
Une délégation des évêques allemands s’est rendue à Rome, le 22 mars, pour rencontrer six cardinaux de la curie. La réunion a duré toute la journée. Elle a fait l’objet d’une déclaration commune diffusée par Vatican News, particulièrement discret, de la plus pure « langue de buis ». On y lit que les discussions ont concerné les questions théologiques soulevées dans les documents du « Chemin synodal » de l’Église en Allemagne, qu’il s’agissait de poursuivre le dialogue entamé lors de la visite ad limina des évêques allemands en novembre 2022 – dialogue que nous avons pu, sans forcer le trait, qualifier de dialogue de sourds – et que cette rencontre s’est déroulée dans un « climat positif et constructif ».
Dans leur déclaration, les deux parties notent qu’il existe des points de « différences et de convergences », mais qu’il a été convenu de maintenir « un échange régulier entre les représentants de la Conférence épiscopale allemande et le Saint-Siège sur la suite des travaux du Chemin synodal et du comité synodal… Les évêques allemands ont précisé que ce travail visera à identifier des formes concrètes d’exercice de la synodalité dans l’Église en Allemagne, conformément à l’ecclésiologie du Concile Vatican II, aux dispositions du droit canonique et aux fruits du Synode de l’Église universelle, et qu’il les soumettra ensuite au Saint-Siège pour approbation ». On reste bien dans les règles du langage diplomatique, et on n’apprend pas grand-chose. C’était voulu, et on pouvait s’y attendre, puisqu’une autre rencontre est prévue avant l’été, et que les grandes déclarations publiques participaient plus à envenimer le débat qu’à le faire avancer.
La question en est là, les commentaires sont aussi rares que les informations. Pour nous en tenir aux faits, nous pouvons en distinguer trois qui résument l’état actuel, encore bien incertain, de l’évolution à venir du Chemin synodal.
Les conservateurs maintiennent la pression
Notons d’abord que les organes d’information liés de près ou de loin au Vatican, citons Vatican News, Infovaticana, Omnes, [4] ne cessent d’entretenir ce qui pourrait apparaître comme une propagande, vu ses excès et son caractère répétitif. Mais avant cela, remarquons que ce qu’a retenu cette presse-là est que les décisions que prendront les évêques allemands seront soumises au Saint siège pour approbation. On ne connaît pas exactement la portée de cette disposition, mais pour eux, les évêques allemands se soumettent. Nous verrons plus loin que ce n’est pas si simple. Mais déjà nous pouvons voir que la présentation que font certains de cette information est biaisée. Sur le site d’Omnes, on peut lire : « En l’absence d’approbation par le Vatican d’un tel “Conseil synodal”, les représentants de la Voie synodale sont convenus de mettre en place dans un premier temps un “Comité synodal” qui, sur une période de trois ans, préparerait un tel Conseil ». Faux ! Comme nous l’avons déjà écrit, le Chemin synodal a bien prévu, depuis les textes qu’il a votés en 2023, un processus de préparation, par un comité synodal, en vue de la création d’un Conseil synodal, processus d’ailleurs logique. Ce n’est pas dû à une opposition du Vatican, c’était prévu et c’est ce contre quoi s’était élevée la lettre du Vatican en février dernier.
Quant à la campagne de dénigrement, pour ne pas dire plus, citons : « les évêques allemands, conduits par leur président, Georg Bätzing, évêque du Limbourg, et l’un des plus radicaux en rupture avec la doctrine catholique » [5]… » Rien que cela ! Ailleurs une attaque à double détente : d’abord à portée générale, dans la ligne du conservatisme ambiant : « au cours des dernières décennies, dans les facultés de théologie, la “liberté de recherche” semble l’emporter sur l’obéissance ou la loyauté envers le Magistère. Cela a des conséquences concrètes, par exemple, dans la “voie synodale” allemande », ensuite, et par conséquent, contre le vice-président de ZdK : « l’un de ses principaux représentants, Thomas Söding, vice-président du Comité central des catholiques allemands (ZdK) et de la Voie synodale elle-même, est professeur d’exégèse du Nouveau Testament à l’université de Bochum ».
Les Allemands ne lâchent pas prise
Ni le résultat (en fait à peu près inconnu) de la rencontre de Rome ni les assauts incessants des opposants n’ont arrêté les Allemands dans leur travail de mise à jour de leur pastorale.
Le 29 avril s’est tenu à Spire la « Journée des diaconesses » [6] (Tag der Diakonin). En Allemagne, une quarantaine de femmes sont « dans les starting-blocks » pour devenir diaconesses, assure l’agence de presse KNA. Quelques jours avant, Mgr Ludger Schupers, évêque auxiliaire d’Essen [7] avait nommé 13 femmes « diaconesses dans l’esprit », treize diplômées qui ont suivi une formation de trois ans et demi au sein du « Réseau diaconal des femmes ». Elles sont donc reconnues capables d’assurer des services, mais ne sont pas ordonnées. L’honneur est sauf, si l’on peut dire. Une ancienne assistante pastorale, qui a participé à la formation continue, Brigitte Schmidt a exprimé un espoir : « il y a beaucoup de choses qui bougent en ce moment… Nous avons actuellement un fort vent arrière grâce au chemin synodal». Le président de la Conférence épiscopale allemande, Georg Bätzing, a envoyé aux femmes qui ont suivi la formation un message de félicitations dans lequel il dit : « Vous êtes une bénédiction pour notre Église ». Et pour ne pas perdre une si bonne occasion, le site Aciprensa signale : « Sur ces questions, divers membres de la Voie synodale ont exprimé, publiquement et à plusieurs reprises, des positions contraires à la doctrine catholique ».
Reparlons maintenant du comité synodal. Malgré tout ce qu’on en dit, ses statuts, approuvés en novembre par le ZdK, mais qui n’avaient pas pu être débattus en février, ont été approuvés le 24 avril par la Conférence des évêques. Il se réunira les 14 et 15 juin à Mayence. Quatre évêques refusent de s’associer à cette décision, les quatre qui refusent depuis le début la création d’un tel organisme : Rainer Maria Woelki Cologne), Rudolf Voderholzer (Ratisbonne), Stefan Oster (Passau) et Gregor Maria Hank (Eichstatt), opposants depuis le début à la démarche du Chemin synodal.
Et pour compliquer encore un peu les choses
Les interférences entre le Chemin synodal allemand et le synode romain dit « synode sur la synodalité » sont évidentes depuis longtemps au point qu’on pouvait se demander si les manœuvres en cours n’avaient pas pour but de noyer le Chemin synodal allemand. Sans nous avancer sur ce point, on peut au moins constater que la récente décision du pape François n’arrange pas les choses de ce point de vue.
Le 14 mars, le Vatican annonçait que dix des thèmes qui étaient au programme du synode feraient l’objet des travaux de groupes de travail, constitués d’experts, de théologiens et de membres de la Curie romaine [8]. Ces groupes de travail devront rendre leurs conclusions en juin 2025. La session d’octobre prochain du synode se trouve recentrée sur la synodalité de l’Église catholique.
Certes, le nombre des sujets abordés et mis au programme de la deuxième session du synode aurait été difficile à traiter en trois ou quatre semaines. Mais se trouvent alors écartés du processus synodal des thèmes sur lesquels l’attente était forte et, pour ce qui nous occupe ici, des sujets directement traités justement par le chemin synodal allemand, notamment la place des femmes et leur accès aux ministères, la formation des prêtres, les rapports entre les laïcs et les évêques. Il en résulte un sentiment de frustration. Thomas Söding, qui est aussi membre consultatif du synode, a appelé le Vatican à ne pas décider seul des réformes de l’Église à l’avenir. « À moyen terme, l’objectif doit être qu’aucune décision isolée ne soit prise, mais que la coopération synodale entre les évêques et les membres de l’Église conduise à des consultations et à des décisions communes [9] ».
Ce sentiment dépasse d’ailleurs les frontières de l’Allemagne [10]. Helena Jeppesen-Spuhler, religieuse suisse l’une des femmes qui ont reçu le droit de vote au synode, s’est montrée surprise. Elle souligne le fait que les questions centrales sont maintenant présentées séparément et n’aboutiront pas avant 2025. « Il est important pour l’Église de Suisse et dans une grande partie de l’Europe que des décisions audacieuses soient prises à l’automne ». Thomas Söding abonde dans le même sens : « il est cohérent d’aborder de manière synodale tous les sujets liés au contenu pour lesquels des groupes d’étude ont été créés ».
Notes :
[1] Golias Hebdo n°763 (6 au 12 avril 2023) [2] Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat, Manuel Fernandez (Dicastère pour la doctrine de la foi), Robert Prevost (Dicastère pour les évêques) [3] Golias Hebdo n°806 (29 fév-6 mars 2024) [4] Omnes, site d’information espagnol, « la voix de son maître » [5] https://www.religionenlibertad.com/vaticano/226894255/obispos-alemanes-reconocen-decisiones-aprobadas-santa-sede.html [6] https://www.cath.ch/newsf/en-allemagne-des-femmes-dans-les-starting-blocks-pour-le-diaconat/ [7] Mgr Ludgert Schupers a été le premier évêque catholique allemand à assister à une « bénédiction » homosexuelle en 2022 [8] https://www.la-croix.com/religion/synode-sur-l-avenir-de-leglise-le-pape-change-de-methode-pour-cadrer-les-debats-20240318 [9] Interview accordée au Service de presse évangélique (EPD). [10] https://infovaticana.com/2024/03/18/la-iglesia-en-alemania-expresa-su-frustracion-por-el-carpetazo-dado-por-el-papa-al-sinodo/Source : Golias Hebdo n° 817