Le christianisme actuel doit se réformer en profondeur ou mourir
Par Jacques Musset
Dans les premières lignes de son livre « Pour un christianisme d’avenir », John Spong le formule « Il est désormais impossible pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui d’être croyants. Pourquoi ? » Ce n’est pas pour lui une boutade, mais la réalité. Cette affirmation résulte de sa longue expérience de chrétien, de prêtre et d’évêque. Dès ses études théologiques, il s’est aperçu qu’il ne pouvait adhérer au christianisme traditionnel qu’on lui avait enseigné en raison des exigences intellectuelles acquises précédemment lors de ses études scientifiques et philosophiques. Il lui fallait le repenser.
Son premier ministère de prêtre auprès d’étudiants critiques le confirma dans son approche. Il écrivit ses trois premiers livres sur la nécessité de réinterpréter la foi chrétienne en raison du renouvellement des connaissances sur le monde et sur l’homme au cours des derniers siècles. Lorsqu’il fut élu évêque, il dut subir une campagne de dénigrement de la part des traditionalistes qui le considéraient comme un hérétique, se “prostituant” par ailleurs dans la défense des femmes, des homosexuels, des droits civiques. Ces attaques, venant même de chrétiens de sa propre Église, ne le découragèrent pas. Luttant contre la lecture fondamentaliste des textes bibliques et évangéliques très répandue aux États-Unis, il poursuivit patiemment son travail d’éducation à une lecture critique de ces textes auprès de son clergé et des membres de son Église. Ses efforts de promotion d’un christianisme réfléchi et engagé dans les problèmes de la société lui valurent d’être invité par les médias. Ce fut l’occasion de se faire connaître et de débattre avec ses contradicteurs. Il ne dévia pas de son cap en dépit des insultes et même des menaces qu’il encaissa. Il continua à écrire de nombreux livres jusqu’à sa retraite et même après. Son dernier livre est son testament spirituel : un solennel appel à repenser le christianisme dans la culture moderne, condition pour lui d’une renaissance et d’une crédibilité pour nos contemporains.
De toute évidence s’est produit un changement considérable dans l’attitude des gens envers la religion. Ce n’est pas seulement une phase ou un phénomène passager. C’est une marée montante qui a tout l’air de devenir la norme de demain. Si rien n’est fait face à cette crise, le résultat final apparaît clair. Le christianisme semble destiné à prendre sa place parmi d’autres religions et divinités éteintes de l’histoire humaine… Si pourtant le christianisme doit survivre, il doit subir une transformation si radicale que les gens pourraient bien ne voir aucune continuité entre le christianisme d’hier et le christianisme de demain. La mort pourrait venir de l’une ou l’autre direction. Faut-il cependant faire un choix ? Les chrétiens doivent-ils être paralysés par la peur de l’échec ? Je ne souhaite pas suivre cette voie. Je suis partisan d’une réforme qui sera si complète que beaucoup penseront que le christianisme est désormais mort. Ce livre va pousser dans cette nouvelle direction.
La problématique d’une Réforme du christianisme
Pour l’anglican Spong, dont l’Église a été fortement marquée par la réforme luthérienne, la Réforme qu’il envisage pour le présent et l’avenir est beaucoup plus profonde que celle du XVIe siècle. Luther a contesté radicalement le pouvoir clérical masculin qui prétendait détenir la Vérité et être le canal obligatoire par lequel le chrétien devait passer dans sa relation à Dieu.
“Aujourd’hui la réalité qui incite à une nouvelle réforme radicale… ne portera pas sur des questions d’autorité ; elle doit porter sur la substance même du christianisme. Les questions que les chrétiens sont obligés de poser aujourd’hui sont qualitativement différentes de celles des chrétiens du seizième siècle. Il nous faut savoir si l’idée de Dieu a encore du sens. Demandons-nous si les croyances historiques nous engagent à des choses qu’il nous est désormais impossible de croire. Demandons-nous comment et si nous pouvons encore utiliser honnêtement ces mots de la croyance. Ces documents du quatrième siècle font-ils encore autorité ? La vérité ultime peut-elle encore être définie ? L’infaillibilité du pape ou l’inerrance de la Bible ne sont-elles pas des prétentions insensées dans le monde d’aujourd’hui ? Voilà notre base de départ pour trouver de nouveaux mots pour notre foi. Les mots anciens ne peuvent plus servir.“
J’ai décidé de présenter douze thèses, qui couvrent tout, de Dieu au Christ, à l’éthique, à la prière, à la vie après la mort. Finalement, j’ai décidé que le temps était venu de rassembler toutes ces thèses pour une base de discussion, afin de provoquer un débat vigoureux. »
Méthode : Distinguer expérience et explication
Cette précaution est capitale et s’impose en tous domaines. L’expérience du soleil est une chose commune par-delà les siècles, les explications sur l’astre reflètent les connaissances d’une époque. “L’expérience du désordre physique appelé épilepsie est toujours actuelle, la façon dont l’épilepsie était expliquée au premier siècle est bien différente de celle du vingt-et-unième siècle.”
“Il en va de même pour toutes les réalités de la foi : une chose est l’expérience que les croyants peuvent en faire et une autre, les explications qu’ils en donnent et qui sont toujours datées et par conséquent relatives. Si l’expérience a besoin de s’exprimer, ce qui en est dit est tributaire de la pensée et des représentations de son auteur.”
“Ainsi de Jésus, personne du premier siècle ; les gens ont cru expérimenter en lui ce qu’ils appellent “le divin”, tout en l’identifiant comme “l’humain”. C’est l’expérience. Ce que nous trouvons dans le Nouveau Testament, ce sont des explications avec des modes de pensée du premier siècle, Il est donc impossible de prendre mot pour mot la narration biblique sans prendre au pied de la lettre une mentalité à la fois dépassée et vouée à l’oubli. Ainsi le littéralisme biblique devient vite un non-sens. Les credo de l’Église représentent une tentative du quatrième siècle pour codifier l’expérience de Jésus… Les mots pris au sens littéral deviennent toujours des mots surannés, étant donné que notre perception de la vérité se déploie et change constamment.”
L’explosion des connaissances au cours des cinq cents dernières années en Occident a rendu impossibles à croire la plupart des présupposés de la Bible et des credo….
“Peut-on faire la distinction entre l’expérience du Christ et les explications moribondes du passé ? Voilà pour la théologie l’impératif actuel. Si toutefois nous réussissons, il faudra d’abord une reformulation si radicale que dans ce processus pourrait mourir le christianisme tel que nous le connaissons.“
“J’inscris dans ce livre un appel pour une nouvelle réforme… Il faut que les gens sentent le poids mort que sont les affirmations théologiques traditionnelles avant de pouvoir s’ouvrir et ouvrir leurs mots anciens à des possibilités nouvelles… Ce n’est pas chose aisée, car nous devons utiliser des mots humains pour définir des vérités non humaines…” Impossible pourtant de s’y soustraire, à moins de vivoter dans une répétition mortelle.
Source : Golias Hebdo n° 571
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