Penser à partir des vécus
Joan Charras-Sancho [1]
Le thème de la famille et du couple résonne très fort en moi. Issue d’un milieu multiculturel où l’œcuménisme et les dialogues tous azimuts allaient de soi, j’ai été élevée par deux parents travailleurs sociaux, engagé·e·s à gauche, qui ont divorcé avec intelligence.
Plus tard, j’ai été élevée par une maman solo battante la moitié de la semaine et par deux papas l’autre moitié de la semaine. Dans cette grande non-conformité gaie, j’ai trouvé dans ma paroisse réformée un lieu d’ancrage, d’autant plus que ma marraine était mariée à un pasteur atypique, toujours sur le front des combats sociétaux.
Lors de mon entrée en faculté de théologie protestante à Strasbourg et pendant une bonne dizaine d’années, j’ai vécu un énorme bond en arrière. Alors que je me formais théologiquement, l’absence complète, en faculté et en paroisse, de dialogue sur les nouvelles formes de conjugalité et de parentalité m’a donné à voir ce qui est à présent évident : la société a changé sans que cela ne suscite de réel intérêt pour la théologie protestante francophone ou les Églises luthéro-réformées.
En une décennie, l’enchaînement des lois visant à une plus grande égalité entre les couples, que ce soit le PACS ou celle permettant enfin le mariage civil de personnes de même sexe, suivies très poussivement par celle encadrant la PMA – une pratique maintenant naturelle pour les couples de lesbiennes – a sorti nos Institutions d’une torpeur pathologique.
Et le consentement ?
Dès lors, une approche apologétique s’est développée : il s’agissait de trouver dans la Bible des modèles qui feraient le rapprochement entre ce qui s’observe autour de nous, voire dans nos propres familles et les réalités bibliques. Cette étape apologétique nous a enseigné une chose : la Bible est un condensé d’histoires qui nous parlent d’alliances, de cheminements et de sexualités, mais sans vraiment s’attarder sur une notion fondamentale. Cette notion, c’est celle du consentement.
La Bible parle certes de désir et bien souvent d’appropriation du corps des filles et des femmes, mais seul Jésus aborde cette question du consentement, et il le fait en montrant l’exemple, en refusant toute main mise sur la vie d’autrui.
Aujourd’hui, l’enjeu le plus brûlant, que ce soit dans la famille, dans l’éducation ou le couple, c’est de comprendre les besoins de l’autre dans la structure partagée. De comprendre les besoins et d’éduquer au consentement. Un consentement qui prenne en compte le désir et le refus ; qui ne mette l’accent sur aucune forme de conjugalité ou de famille, mais qui éduque à la prise en compte des privilèges, des enjeux de pouvoirs et de puissance.
Une grande diversité
L’émergence du mouvement #MeToo, qui a réveillé des femmes endormies par le consumérisme ambiant et stimulé des jeunes filles criant dans des déserts de patriarcat a été la porte ouverte aux dénonciations d’abus spirituels, sexistes et sexuels en Église. D’abord dans l’Institution sclérosée et malade romaine, et maintenant du côté protestant.
Vous l’aurez compris : je considère comme égale en importance et en dignité toute structure parentale, qu’elle soit hétéronormative, homoparentale, communautaire ou solo-battante. Leur grande diversité a toujours existé, même dans les temps bibliques, mais elle a toujours été invisibilisée, voire combattue.
Je ne crois pas non plus aux discours stigmatisants envers les pseudo-enfants rois ou les parents hélicoptères. Il me semble cependant urgent de revaloriser nos communautés de foi comme des lieux où s’exerce « la bienveillance de la boulangère », un concept sociologique qui décrit ces micro-interactions où chacun·e, à son niveau, peut s’intéresser à l’enfant des autres, lui faire sentir sa valeur humaine et lui donner une place dans la société. Une société où la diversité est une donnée, pour une vie en plénitude.
[1] Chercheuse-associée à l’Institut lémanique de théologie pratique.Article publié par https://www.christianismesocial.org/spip.php?article680, avec l’introduction :
La rédaction du journal d’une importante fédération protestante spécialisée a demandé à Joan Charras-Sancho, chercheuse-associée à l’ILTP (Institut lémanique de théologie pratique) un article sur les réalités contemporaines conjugales et familiales. Puis l’a refusé l’estimant trop « clivant » pour leurs lecteurs. Sa qualité et son intérêt pour comprendre ces questions, l’interrogation sur la frilosité d’une partie des institutions protestantes, justifiaient qu’il ne reste pas dans un tiroir, mais soit partagé.
Illustration : https://www.unil.ch/iltp/fr/home/menuinst/chercheures/chercheures-associees/joan-charras-sancho.html