Des voix protestantes s’engagent avant le scrutin
Laure Salamon.
Alors que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir, des responsables et personnalités protestantes exposent leurs raisons de se battre et d’espérer.
« Pas une voix pour le RN », lance Christian Albecker, président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (Uepal). « Le front républicain avant tout », insiste le philosophe Olivier Abel. « Je compte sur un sursaut démocratique pour ne pas avoir d’extrêmes à la tête de la France », plaide Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. Le Conseil national des évangéliques de France préfère, quant à lui, rappeler des valeurs chrétiennes fondamentales pour « apporter des éléments de réflexion sans donner du prêt-à-penser, explique Erwan Cloarec, son président. Chacun doit choisir le candidat le plus approprié selon ses convictions, selon le contexte local ».
Avec le Rassemblement national (RN) aux portes du pouvoir, Henry Masson, président de la Cimade, une association d’origine protestante qui vient en aide aux migrants, est très inquiet : « Notre projet est en totale opposition avec l’analyse économique, sociologique, politique et humaine du RN sur l’immigration. Ce parti tient un discours fondamentalement xénophobe. »
Et Olivier Abel redoute que la société française ne soit reprise dans un processus de « fabrication de l’étranger », comme ce fut le cas au siècle dernier, et jadis avec la Saint-Barthélemy.
L’historien et sociologue Jean Baubérot-Vincent alerte : « S’il accédait au pouvoir, le RN n’arriverait pas à mettre en œuvre son programme et, pour justifier son échec, il taperait fort sur son bouc émissaire, à savoir les étrangers. Pourtant, ils sont indispensables à la France. Je le vois avec mon épouse malade, qui bénéficie de l’intervention quotidienne de soignants et d’aidants d’origine étrangère. »
Le Medef ne dit pas le contraire en matière économique. Patrick Martin, son président, le rappelait encore en décembre 2023 au moment du vote de la loi « immigration » : « D’ici 2050, nous aurons besoin, sauf à réinventer notre modèle social et notre modèle économique, de 3,9 millions de salariés étrangers. »
Une parole authentique
Passée une forme de sidération après l’annonce des résultats du premier tour des législatives, la théologienne Marion Muller-Colard se dit déterminée à combattre les thèses de l’extrême droite. Une combativité à la hauteur de son angoisse. « Nous ne pouvons pas nous payer le luxe du désespoir et nous avons le devoir de dépasser la facilité des stigmatisations et des éléments de langage, pour créer les espaces nécessaires à une parole à la fois authentique et mûrie. »
Doyenne de la faculté de théologie protestante de Paris, Anna Van den Kerchove dénonce l’instrumentalisation de faits divers (affaire Lola, Crépol…), de références ou de personnalités pour légitimer des propositions politiques. « On mélange tout, on utilise l’histoire en lui donnant une valeur prophétique. Qu’aurait fait de Gaulle ? On ne sait pas, mais tout le monde cherche à bénéficier de son aura. »
Beaucoup de protestants interrogés placent une grande espérance dans les institutions républicaines. Olivier Abel croit dans ces régulations institutionnelles, même s’il pense que beaucoup de libertés publiques fondamentales, notamment associatives, ont été fragilisées ces dernières années. Pour Xavier Moreno, chef d’entreprise et président du cercle Charles-Gide, cercle protestant de réflexion sur l’économie, « l’équilibre constitutionnel des pouvoirs, les disciplines économiques qui s’imposent à la France en économie ouverte, comme la Grèce et le Royaume-Uni en ont fait le douloureux constat, le cadre juridique des traités européens, enfin, limiteront la marge d’action du futur gouvernement. L’important n’est pas la personne qui sera aux commandes, mais la politique qu’elle proposera ».
Dans cette situation incertaine, la présidente de l’Église protestante unie de France, Emmanuelle Seyboldt, se dit confiante dans la capacité des églises à rester des espaces de fraternité. « Dans chaque paroisse, tous les votes et toutes les opinions sont présents. Depuis toujours, les membres de l’Église savent que quelque chose de plus grand qu’eux les relie, qu’un Autre les convoque et les rassemble, avec et malgré des différences qui, en d’autres lieux, seraient inconciliables. »
Marion Muller-Colard, aussi directrice des éditions Labor et Fides, est heureuse de pouvoir s’appuyer sur la pensée de grands théologiens protestants. « Ils m’éclairent sur l’orientation à prendre et sont comme une lumière, ils transmettent de l’espérance. » Et de citer Jürgen Moltmann, décédé récemment : « Ce n’est pas le désespoir, mais l’espérance qui donne sa clarté à la pensée, parce que l’espérance ne dirige pas la pensée sur les faits existants, mais sur leur pouvoir-être dans le processus du devenir. »
Réparer la société
Quelle que soit l’issue du vote au soir du 7 juillet, le pays sera plus divisé que jamais. Pour Christian Albecker, la réparation de la société passera par l’écoute des personnes qui votent RN et la prise en compte de leur sentiment d’exclusion, de déclassement.
Olivier Abel acquiesce : « Il ne faut pas nier les propos racistes et violents, mais les apprivoiser et les réguler. Entendons la plainte de ceux qui se sont sentis relégués et répondons aux exclusions en renforçant les services publics et les liens de solidarité. »
Sur le terrain, les inquiétudes demeurent toutefois. « La Cimade a eu des vitres de permanence cassées, a reçu des lettres de menace et même des lames de rasoir par courrier », souligne Henry Masson. Le président de l’association craint que la nouvelle situation politique ne favorise les passages à l’acte après une libération sans précédent des propos racistes.
Rechercher le consensus
Jean Baubérot-Vincent affiche davantage d’espoir en la société civile que dans les partis politiques pour faire rempart à l’extrême droite.
Et Anne Dehestru, élue municipale à Guebwiller (Haut-Rhin) et protestante engagée dans son église, d’ajouter : « On attend trop des politiques et en particulier de leaders charismatiques qui, de leur côté, promettent trop pour être élus. La réponse aux maux de la société est avant tout collective. »
L’entrepreneur Xavier Moreno incite à voir au-delà du vote, et à anticiper les conditions du vivre-ensemble : « Les députés et la nouvelle équipe gouvernementale découvriront vite qu’on ne peut diriger le pays longtemps sans rechercher un minimum de consensus des citoyens. »
Dans cette phase de reconstruction à venir, quel rôle pourront jouer les églises ? « Elles sont appelées à être des exemples pour guérir les fractures et les peurs de la société », affirme Erwan Cloarec du Cnef. « Nous y arriverons en refusant de rejeter ceux avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, car ce sont aussi nos frères et sœurs, explique Emmanuelle Seyboldt. Assurément, si je n’aime que celui ou celle qui a les mêmes idées que moi, le monde sera bien triste ! L’Église est le bon lieu pour exercer à la fois notre esprit critique et notre capacité à dialoguer sans exclure, à débattre sans invectiver, à dire sans maudire. »
Tout comme l’Institut protestant de théologie, qui aide les étudiants à former leur sens critique. « Nous apprenons à nos étudiants à avoir de la distance par rapport aux textes, en tenant compte de l’environnement dans lequel ils ont été écrits. Dans notre établissement, les gens cohabitent et travaillent ensemble. Ils débattent, s’écoutent et parfois se laissent déplacer par les convictions des autres », se félicite Anna Van den Kerchove.
Enfin, Christian Krieger souhaite que la culture protestante du débat « encourage notre pays à expérimenter un accord de gouvernement dans l’intérêt de la nation ».
http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1806.htm (article paru dans l’hebdomadaire protestant Réforme)