Un message qui met la foi à l’épreuve
Michel Deheunynck.
Nous terminons aujourd’hui, bien qu’on n’ait jamais terminé une méditation comme celle-là, la lecture de ce discours de Jésus sur le pain de vie dans l’Évangile de Jean. Discours sur lequel nous sommes donc depuis plusieurs dimanches et qui semble aboutir à un échec, puisqu’il fait perdre à Jésus des disciples. Incompréhension, déception, désarroi ? Et même peut-être un certain vent de révolte… Certains sont ébranlés et décrochent. C’est vrai que Jésus attend d’eux de rudes dépassements. Il bouscule les idées reçues. Il choque. Voilà donc que le message de Jésus scandalise, non seulement à l’extérieur, mais jusque dans les fidèles pratiquants de ses propres rangs. Eh oui, il y a toujours une tension entre fidélité et décrochage. C’est comme cela dans beaucoup d’engagements quand il faut, par exemple, renouveler une adhésion. Et c’est vrai aussi dans l’expérience de la foi : la foi en l’autre, la foi en la vie, la foi en nous-mêmes et donc en lui que Jésus nous propose. Toute cette foi est, parfois, bien mise à l’épreuve.
Alors, certains de ses compagnons de l’Évangile sont tentés, comme d’autres aujourd’hui, par une vie de foi plus classique, plus ordinaire et de rejoindre les camps de ses opposants : les scribes du Sanhédrin, les pharisiens donneurs de leçons, les grands prêtres de la hiérarchie religieuse, cléricale, tous ceux qui ont cessé de marcher en humanité, qui s’enferment dans leurs vérités dogmatiques et leurs rites. Tout cela peut, en effet, paraître plus confortable, plus sécurisant, moins aventureux, moins révolutionnaire que ce que propose Jésus.
Mais Jésus qui, lui, était un laïc, ne l’oublions pas, ne fait rien pour les retenir avec des concessions attendrissantes pour les récupérer. Non, il tient toujours à laisser chacune et chacun de ses proches, et nous aujourd’hui, libre de ses choix. Mais rester avec Jésus, c’est accepter d’être dérangé et de se bouger. Avec lui, Il ne s’agit pas de réciter des formules de foi enfermantes, asphyxiantes, mais de toujours voir plus loin, au-delà des mots, des rites et des convenances religieuses. Avec lui, ce qui compte le plus, ce n’est pas d’obéir même à ce que, lui, dit de croire, de faire, de vivre, comme dans ce grand discours. Ce qui est bien plus important encore, c’est leur foi et leur espérance à eux, et à nous. Jésus ne cherche pas non plus à s’imposer, à régner sur le plus grand nombre. Alors, si certains s’en vont, dommage ! Mais l’essentiel serait qu’eux soient heureux, là où ils sont…
C’est alors que Pierre intervient. Non pas comme papabile, bien sûr, mais comme délégué, comme porte-parole. Il s’exprime en notre nom… « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » Et il ajoute une belle profession de foi : « Tu es le saint de Dieu ! » ou, selon un autre évangéliste, Matthieu : « Tu es le Fils du Dieu vivant ! ». Parole d’autant plus forte que d’habitude, Pierre, quand il ouvre la bouche dans l’Évangile, ce n’est plutôt… pas très bien inspiré… il n’en loupe pas une comme on dit.
Donc, Pierre dit à Jésus : on a fait des choix, des renoncements pour te suivre, marcher avec Toi. Tu nous as fait découvrir plein de choses. Alors, nous, on a envie de continuer. Voilà ! Comme à Pierre, Jésus ne nous demande pas de briller par de grandes déclarations ou célébrations de foi, mais d’intégrer spirituellement cette foi dans notre vie à nous.
Notre évêque Pascal, à la fin de ses visites pastorales en cités, était interrogé par des militants qui lui demandaient « Dans ce qu’on fait avec les autres, comment être croyants ? » Et il avait répondu « être croyant, ce n’est pas venir à l’église réciter des prières, c’est mettre sa vie en rapport avec l’Évangile ! » Merci à lui. Merci à saint Jean de nous avoir retranscrit ce discours de Jésus sur le pain de vie. Merci à notre délégué Pierre d’avoir été notre porte-parole en finale. Et merci à chacune et chacun de nous de répondre à l’invitation de partager ce pain et surtout d’en vivre.
La périphérie : un boulevard pour l’évangile ? ; éd. Temps Présent, p. 101