Une théologie de la laïcité
Troisième et dernière partie de l’intervention du pasteur Christophe Cousinié sur le christianisme libéral : « Une foi crédible dans un monde sécularisé » (voir la première partie : Le christianisme libéral de Jésus à Ferdinand Buisson et la deuxième partie Une foi crédible.)
Le protestantisme comme méthode
Je me base ici sur les lettres de Buisson échangées avec Charles Wagner.
Buisson montre l’évolution que propose le protestantisme.
Avec la Réforme, une première brèche est largement ouverte. C’est le refus d’une autorité. Même si le dogme n’est pas remis en cause, la pensée religieuse est libérée du despotisme ecclésiastique.
Viendront ensuite d’autres penseurs tels Castellion ou Servet qui inaugureront une nouvelle méthode religieuse, celle du libre examen. Le dogme lui-même est questionné.
Cette méthode préfigure déjà la philosophie de Descartes autour de la question du doute pour découvrir le vrai.
Le protestantisme libéral choisit la méthode rationnelle, il suscite la libre réflexion et la libre discussion. Peu importe les résultats où cela va le conduire. Il reste fidèle à la libre réflexion de l’individu qui cherche le vrai plutôt que de s’enfermer dans une définition autoritaire.
Pour Buisson, le protestantisme conscient et conséquent n’est autre chose que la première application de la méthode de la libre-pensée.
Il écrit : « On dit parfois que le protestantisme aboutit à la libre-pensée. Non : il est déjà la libre-pensée. »
Oui le protestantisme est une méthode.
– Il rejette l’autorité extérieure
– Il rejette les aprioris dogmatiques ou historiques
– Il écarte le surnaturel notamment dans la révélation d’un absolu.
Le protestantisme n’est donc ni une doctrine ni une confession de foi, il est une méthode, celle du libre-penseur religieux, ou du libre-croyant. On peut donc être un catholique protestant.
La neutralité
Buisson s’élève contre ce qu’il appelle la fausse neutralité. Celle qui encore aujourd’hui (et peut être encore plus aujourd’hui) est réclamée à l’École. Celle qui consiste à faire de l’instituteur « un distributeur automatique de leçons de calcul et d’orthographe », n’exprimant aucune conviction. Cette neutralité-là, c’est un effacement, c’est l’impuissance et c’est l’insignifiance.
Si on l’applique à une réflexion sur Dieu, et par extension à l’Église, en tant qu’elle est le lieu où l’idée de Dieu se dit, cette fausse neutralité serait le non-questionnement. L’acceptation de ce qui est et qui a toujours été. Ce serait cette sorte de « faire avec ». Pas vraiment satisfait ou d’accord, mais on fait avec et du coup c’est ne pas oser autre chose. Pire que cela c’est la posture de celui ou celle qui se dit « qui suis-je pour dire ce que je crois vraiment ? »
C’est la neutralité qui vient neutraliser, qui vient rendre comme mort, immobile, absolue.
Pour Buisson, il n’y a pas de neutralité au sens absolu et total de ce mot. Et si pour Buisson, l’École ne doit pas être une école de combat (contre le religieux), nous pouvons dire la même chose de l’idée de Dieu et de l’Église. Ne faisons pas de l’Église un espace de lutte. Lutte contre la pensée contemporaine ou contre la sécularisation. Une lutte sous forme de résistance, mais aussi d’attaque. On se perdrait à vouloir lutter contre un phénomène inéluctable et nos armes ne seraient même pas les bonnes.
La véritable neutralité est le fait de se dégager de tout dogmatisme, c’est-à-dire de toutes idées affirmées comme fondamentales et incontestables. Ce n’est pas facile, mais c’est salutaire.
En reprenant Buisson, « il faut définir le mot neutre par le mot laïque ». Tout comme pour l’École, l’idée de Dieu n’est pas neutre, mais elle doit être laïque d’esprit, laïque de méthode, laïque de doctrine. C’est-à-dire qu’on peut concevoir Dieu, le divin, avoir un sentiment religieux indépendamment de toute autorité extérieure à notre conscience.
Et la conscience c’est justement ce sanctuaire inviolable où se trouve Dieu.
La laïcité c’est donc la liberté de conscience et une théologie de la laïcité, c’est croire en un Dieu, un divin qui se présente librement à la conscience ou une conscience libre qui adhère à une idée de Dieu ou du divin.
L’Église, communauté ou assemblée ?
Tout ceci a une incidence sur la conception même de l’Église. Et je conclurai mon intervention sur cela.
Il y a deux manières de concevoir l’Église. Soit elle est une Koinonia, c’est-à-dire une communauté, soit elle est une Ecclesia, c’est-à-dire une assemblée.
Une communauté implique qu’il y ait du commun. Les membres de la communauté partagent des intérêts communs. Ils partagent une foi commune, une confession de foi commune, une pratique commune, etc., cela implique donc une règle, une définition commune et donc une adhésion.
Mais le problème de cette conception de l’Église c’est que ceux qui ne partagent pas le commun, sont exclus, ils sont hors de la communauté à moins de contraindre leur conscience d’accepter ce qu’elle ne peut accepter. Au final la communauté laisse peu de place à la liberté individuelle. Et vous savez, plus que quiconque, cette difficulté de vivre la foi dans une communauté.
Une Assemblée, elle, surgit dès lors que 2 ou 3 personnes se réunissent. Et c’est l’objet de la réunion qui fait l’Église. L’Église doit donc être la réunion de toutes celles et ceux qui décident de se retrouver. Et ce qui les convoque (définition de l’ecclesia), peut-être une quête spirituelle, une recherche de sens, un désir d’être avec l’autre, l’envie d’œuvrer pour le bien commun, etc.
Il faut pour cela accepter la liberté totale en matière de foi, de croyance et d’expression de cela. Il faut accepter cette neutralité dont je parlais. Pour nos Églises instituées, c’est là la grande difficulté, mais il me semble qu’il n’y a que ce modèle d’Église qui, dans notre monde sécularisé, peut encore surgir et annoncer un Évangile issu de la moelle du vieil Évangile.