La papauté romaine est-elle capable de s’adapter au monde moderne ?
Robert Ageneau.
Dans le contexte de la nécessaire réforme ou mise à jour de l’Église catholique, que seuls contestent des groupes conservateurs, s’interroger de manière libre sur le fonctionnement de la papauté, et a fortiori sa pertinence au XXIe siècle, est une démarche encore quasi taboue. Beaucoup de catholiques ont tendance à refuser d’y entrer, tant le culte de la papauté est ancré dans l’éducation reçue.
Prenons l’exemple des travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), présidée par monsieur Sauvé. La grande partie de catholiques, à commencer par les évêques français eux-mêmes qui avaient commandité l’enquête, a salué l’exemplarité de ce travail. Les victimes de la pédophilie y ont vu une issue pour sortir du silence et pouvoir pratiquer plus ouvertement la résilience. L’épiscopat avait alors demandé à ce que la Commission et son président soient reçus par le pape à Rome. C’était en 2021. Nous sommes trois ans après et ce rendez-vous n’a toujours pas été honoré. Or, pour un certain nombre, ce ne serait pas le pape qui refuserait, mais la cause en serait la pression exercée sur lui par la Curie romaine. Comme si le pape n’avait aucune marche de manœuvre propre ! Ces catholiques respectables cherchent à protéger le pape. Rien pourtant n’interdit de penser le contraire, à savoir que c’est lui-même,
François, qui refuse de cautionner publiquement la qualité des travaux de la CIASE, quand on sait qu’il a géré de manière confuse et contradictoire la crise de la pédophilie au Chili.
Le comportement du pape actuel n’est pas sain
Le pouvoir que s’octroie le pape vient d’être mis en lumière en mai 2024 par le niet absolu qu’il a opposé à l’hypothèse envisagée que des femmes puissent accéder au diaconat. Une prise de position qui intervient en pleine démarche synodale où la reconnaissance du rôle des femmes est devenue une revendication majeure, non seulement en Allemagne, mais aussi dans beaucoup de pays. Par sa prise de position, le pape ferme la porte à cette demande. Même si le diaconat n’apparaît pas à tous comme la panacée pour revitaliser l’Église, il reste que la méthode est détestable et renvoie à un comportement monarchique. Un nombre grandissant de catholiques ne peuvent plus accepter un tel état des choses. Certains en viennent à se demander si le pape François, en bon jésuite qu’il est, n’a pas mené son monde en bateau depuis le début. Des théologiennes réformistes comme Sylvaine Landrivon, membre du Comité de la jupe, ou Anne-Marie Pelletier, membre d’une commission préparatoire du Synode romain, en viennent à évoquer elles-mêmes ce scénario [1]. José Bergoglio se comporte comme ses prédécesseurs postconciliaires, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, qui ont pris de larges libertés avec la dynamique de Vatican II qui avait rassemblé en 4 sessions l’ensemble des évêques de la planète.
Par un phénomène de mémoire courte, beaucoup de nous ont également oublié les circonstances douteuses de la mort du pape Jean-Paul Ier dans la nuit du 28 septembre 1978, après seulement 33 jours de pontificat. Les causes avancées pour cette mort sont loin de faire l’unanimité, encore aujourd’hui. Le Vatican, relayé par un certain nombre de journalistes, affirme et réaffirme que Jean-Paul Ier est décédé d’une embolie pulmonaire, voire d’une défaillance cardiaque. Mais de nombreux catholiques en doutent toujours et sont de l’avis de l’enquêteur britannique David Yallop dans son livre paru en français en 1984 sous un premier titre, Au nom de Dieu, qui se vendra dans le monde à plus de 6 millions d’exemplaires [2]. Cette enquête apporte une série d’arguments convaincants pour la thèse de l’assassinat de ce pape, Jean-Paul Ier risquant de devenir pour la Curie et les responsables de la Banque du Vatican un second et dangereux Jean XXIII qu’il fallait éliminer. Dans n’importe quelle société moderne, les dirigeants recourent dans ce cas à la solution d’une autopsie. Procéder autrement constitue un scandale démocratique. Il est encore possible qu’elle soit prise en compte au Vatican, sans attendre des temps futurs, incertains.
Mais en dépit de la demande répétée au cours de ces quarante dernières années, cette mesure a toujours été ignorée et écartée par le Saint-Siège. Le pape Bergoglio a béatifié lui-même tranquillement Jean-Paul Ier, le 4 septembre 2022, sans l’évoquer le moins du monde. N’est-il pas permis d’y voir une ignorance monarchique de la demande d’une partie de l’opinion catholique ? Il nous faut continuer la lutte contre l’oubli.
Les catholiques cherchent à sortir d’une gouvernance monarchique
Est-il acceptable, en ce premier quart avancé du XXIe siècle, d’être représenté d’une manière non démocratique ? Car le pape, comme les évêques, est toujours élu au terme d’un tel processus. Aucun des cardinaux, qui élisent le pape lors d’un conclave, n’est élu de manière démocratique. Toute la chaîne épiscopale ou cardinalice relève d’un choix qui dépend du nonce, des représentants des conférences épiscopales, entériné in fine par un département de la Curie romaine et par le pape lui-même, dans un entre-soi caractérisé.
Il en va de même pour cette anomalie qu’est devenue la Curie romaine : une bureaucratie qui s’arroge le droit de contrôler la vie des croyants, sans autre légitimité que d’être l’émanation du pouvoir papal, même si ce dernier n’arrive pas toujours à contrôler ses propres créatures. Il n’existe donc pas de processus électifs chez les catholiques, contrairement à ce qui se passe chez les protestants ou les anglicans. Chez ces derniers, par exemple, c’est un triple collège (les évêques en fonction, les prêtres, les laïcs) qui concourt au choix de l’évêque. Et encore, faut-il qu’il y ait majorité dans les trois collèges ! C’est ainsi que l’évêque anglican américain John Shelby Spong a été élu en 1976 pour le diocèse de Newark, dans le New Jersey, une des banlieues de New York [3]. La situation catholique est affectée à des degrés variés par cette culture non démocratique. Les, catholiques s’échelonnent aujourd’hui sur un spectre qui va de la papolâtrie la plus infantile et de la répétition scolaire « comme le dit le pape François » à ceux, nombreux, qui veulent un changement profond par l’intégration de processus électoraux.
Le maintien de la papauté dans, son état actuel est une anomalie
Les chrétiens vivent dans leur époque avec tous les acquis politiques et sociaux apportés par les découvertes et les luttes liées à des changements de natures diverses, à l’éducation, au rôle de la culture scientifique… La conquête de la démocratie est l’un de ces acquis. Elle a gagné une grande partie de la planète, mis à part les régimes autoritaires ou régis par des dictatures où la démocratie est momentanément impossible (la Chine, la Russie, la Corée du Nord en particulier). Un grand nombre de catholiques ne comprennent pas pourquoi leur Église est administrée en dehors de toute culture démocratique. Que l’on justifie cela par la rhétorique du sacré ou des arguments bibliques et théologiques n’est plus partagé par une grosse proportion des catholiques, du moins en Europe. Le Vatican reste une entité politique archaïque, voire folklorique, au fonctionnement médiéval.
Comme déjà évoqué, le mouvement d’émancipation des femmes y est quasiment absent. Ce formidable acquis des sociétés civiles, qui progresse à des vitesses différentes selon les sociétés et les pays, n’y a pas sa place. Partout sur la planète, des femmes occupent aujourd’hui les fonctions et les métiers autrefois monopolisés par les hommes. Cela touche aussi la famille où le partage des tâches se modifie. Cela vaut aussi pour les politiques où la supériorité des mâles est mise à mal. Au Mexique, une femme, ancienne maire de la ville de Mexico, vient d’être élue présidente du pays. La gouvernance n’y est pourtant pas facile à cause de la violence des narcotrafiquants. Une élection d’une femme à la tête de l’État qui, dans un vieux pays comme la France, n’a jamais eu lieu. Face à cette évolution, le statut actuel de la papauté est devenu intenable. Qu’y a-t-il comme explication crédible dans le christianisme romain pour refuser la démarche démocratique et l’accession des femmes à de hautes charges, sinon l’ancrage dans une culture patriarcale ? Comment les théologiens catholiques occidentaux peuvent-ils justifier par leur silence une telle situation, contraire aux acquis du monde actuel ? C’est là une revendication de base qu’une théologie moderne, appelée aussi libérale, peut faire sienne sans la moindre hésitation.
Nous partageons la conclusion de l’historienne et théologienne Agnès Desmazières dans sa tribune récente du Monde sur « Les violations de la justice sociale dans l’Église font le lit des violences sexuelles » [4]. « L’Église catholique est invitée à revaloriser les critères de l’expertise, de la compétence et du respect de la déontologie professionnelle dans ses processus de recrutement et de progression de carrière. Une telle évolution suppose aussi un changement de culture ecclésiale, laissant davantage de place à la liberté – liberté d’expression, libertés syndicales, libertés académiques, etc. – ainsi qu’à la transparence dans ses modes de fonctionnement et, par conséquent, à en rendre compte. C’est en reconnaissant ses propres carences en matière de justice sociale que l’Église catholique pourra témoigner de la cohérence entre ses actes et son discours. » Il n’entre pas dans les limites de cette tribune d’évoquer des problèmes pratiques, comme le statut du pape à vie, le maintien à son poste après l’âge de 80 ans, alors que les évêques doivent, démissionner à 75 ans et que les cardinaux en situation d’élire le pape ne doivent pas avoir dépassé les 80 ans. Le pape actuel, rappelons-le, marche sur ses 88 ans et sa, récente position sur les femmes et le diaconat n’est pas une démonstration de sagesse.
Notes :
[1] Voir la page 1 du n° 4060 de Témoignage chrétien du 30 mai 2024, avec l’édito de Christine Pedotti et l’article de Bernadette Sauvaget.
[2] Cette enquête a connu deux éditions en français. La première avait pour titre Au nom de Dieu (Christian Bourgois Éditeur, 464 p., 1984). Une nouvelle édition est parue en 2007. Son titre se démarque de celui de 1984 : Le pape doit Mourir. Enquête sur la mort suspecte de Jean-Paul Ier (Nouveau Monde Éditions, 490 p.). Voir aussi ma tribune parue dans Golias Hebdo du début septembre 2022 Sur la mort suspecte de Jean- Paul Ier, résumant les trois motifs qui rendent crédible son assassinat.
[3] Cet évêque anglican américain commence à être connu en France avec la traduction et la publication du 8 de ses ouvrages publiés aux États-Unis.
[4] Rubrique Idées, Le Monde du mercredi 5 juin 2024, p. 28.
Robert Ageneau est Directeur de la collection Sens & Conscience. Email : pourunchristianismedavenir@gmail.com
Source : Golias Hebdo n° 830, p. 14